À cinq mois de la fin de son premier mandat, le chef de l'État a deux priorités : en finir avec l'épidémie d'Ebola et contenir une opposition acharnée à contester sa légitimité. Entretien exclusif avec un président militant bien décidé à remporter toutes les batailles.
Au Sékhoutoureya d'Alpha Condé, tout au bout de la presqu'île de Kaloum, on est longtemps entré (presque) comme dans un moulin.Il a fallu une attaque contre sa résidence et les conseils pressants de ses proches pour que le président guinéen consente enfin à ce que son palais républicain se mette aux normes sécuritaires.
Aujourd'hui, on y montre patte blanche et obligatoirement désinfectée : fouilles et savon bactéricide de rigueur. L'épidémie d'Ebola, tueuse d'hommes et d'espérances dans un pays qui commençait à peine à sortir du marasme grâce à la stabilisation de son cadre macroéconomique et au retour des investisseurs, est venue anéantir les rêves de décollage à l'asiatique que nourrissait ce chef d'État de 77 ans, candidat pour un second mandat en octobre prochain.
Certes, il en faut plus, beaucoup plus pour faucher l'énergie du camarade Alpha, aussi acharné à micromanager les 11 millions de Guinéens qu'à entretenir, avec l'aide d'un coach, son corps d'ascète.
Mais quand on s'aperçoit qu'aux coups de boutoir d'un virus d'autant plus dangereux qu'il est en phase d'extinction s'ajoutent ceux d'une opposition politique déterminée à en découdre dans les rues d'une capitale au bord de l'infarctus, on se demande si Dieu ne prend pas un malin plaisir à maintenir les Guinéens dans son éternel purgatoire.
On le pense, et voici que surgit d'une porte dérobée notre président aux allures d'Obi-Wan Kenobi blanchi sous le harnais des sept épisodes de Star Wars. Sous le bras, une pile de dossiers. Dans la main, un petit sac contenant cinq téléphones portables : un pour la hotline Ebola, un avec les numéros des chefs d'État, un pour les ministres, un pour la sécurité, un pour la famille et les amis.
Dans sa poche, une missive. Parce que, en Guinée, c'est quand toutes les portes du dialogue semblent closes que s'ouvre enfin l'issue de secours, le président vient d'adresser au leader de l'opposition Cellou Dalein Diallo une invitation à se rendre au palais pour déminer ensemble le chemin qui mène à l'élection présidentielle.
Las : après avoir tergiversé, ce dernier, manifestement sous pression de sa base et de ses partenaires, finira par décliner la proposition. Atypique, disponible, torrentiel, attentif au moindre détail, aussi hâtif que réfléchi, aussi méthodique qu'impatient, Alpha Condé reste le président à part d'un pays à part.
D'une fidélité absolue en amitié, impitoyable envers ceux qui le trahissent, injuste parfois envers des proches tellement proches qu'il ne paraît plus les voir, cet homme capable d'improvisations étonnantes et dont les excès ne sont qu'apparents a une qualité que personne, partisans comme adversaires, ne peut lui dénier. Sa passion jalouse, minante et dévorante pour l'une des plus belles femmes d'Afrique : la Guinée.
Jeune Afrique : Les périodes électorales se suivent et se ressemblent en Guinée et celle-ci ne déroge pas à la règle. Contestations, tensions, violences, intervention de la communauté internationale : d'où vient cette désespérante répétitivité ?
Alpha Condé : Dans une large mesure, la Guinée continue d'être victime de son passé. Pendant quarante ans, hormis la courte période d'euphorie qui a suivi l'indépendance, ce pays n'a connu que la dictature et la non-gouvernance.
D'un pouvoir extrêmement autoritaire sous Sékou Touré, on est passé sous Lansana Conté et les militaires qui lui ont succédé à une démission totale de l'État et à un effondrement de l'esprit civique, sur fond de repli ethnique.
Le paradoxe guinéen veut que ceux-là qui ont à l'époque dirigé les gouvernements responsables de cette faillite soient les mêmes qui, aujourd'hui, font tout pour empêcher la Guinée d'avancer. Ajoutez à cela l'habitude qu'a prise la communauté internationale d'intervenir ici à la manière des proconsuls romains, encourageant de facto les chefs de l'opposition dans leur surenchère agressive et vous avez les ingrédients du mal que chacun constate.
L'opposition exige l'inversion du calendrier électoral : les locales avant la présidentielle d'octobre. Pourquoi refusez-vous ?
Gouvernement et opposition ont signé en juillet 2013 un accord concernant les élections législatives et présidentielle. Nulle part il n'y est question des communales. En outre, la Commission électorale nationale indépendante [Ceni], à laquelle il revient d'établir le chronogramme, a jugé et démontré qu'il était impossible de tenir ces consultations communales avant mars 2016.Ma position est donc conforme à celle de la Ceni.
Le problème est que, le mandat des maires élus étant depuis longtemps expiré, ces derniers ont été remplacés par des délégations spéciales nommées par le pouvoir. Or ce sont elles qui distribuent les cartes d'électeur et le matériel électoral pour la présidentielle. D'où la défiance de l'opposition.
Vous faites erreur. Le nouveau code électoral a exclu toute participation des maires ou délégations au processus électoral, et une partie de ces dernières a été nommée avant mon accession au pouvoir.
Cela dit, je ne suis pas hostile à une discussion complémentaire sur ce point entre mon gouvernement, la mouvance présidentielle et les chefs de l'opposition. Tout ce qui doit être clarifié et amélioré le sera. Mais on ne reviendra pas sur le chronogramme.
L'opposition se base sur une annexe de l'accord du 3 juillet 2013, laquelle recommande une inversion du calendrier Ă©lectoral. Est-ce exact ?
Non. L'annexe à laquelle vous faites allusion n'a été rédigée et signée que par les deux facilitateurs nationaux de l'accord. Ni la mouvance ni l'opposition ne l'ont paraphée. Elle n'engage qu'eux.
Si l'opposition consent à un report de l'élection présidentielle au-delà du 11 octobre, afin que les communales puissent être organisées auparavant, changerez-vous de position ?
Jamais. Vous me voyez accepter de devenir un chef d'État hors délais constitutionnels ? Le piège est un peu grossier et je ne suis pas né d'hier.
Autre problème : la Ceni. Vos opposants estiment qu'elle n'est plus paritaire et exigent sa recomposition. Qu'en dites-vous ?
J'ai toujours été favorable à une Ceni technique, et ce sont eux qui ont imposé une Ceni politique. À eux d'assumer les conséquences de leur choix. La transhumance politique fait partie des risques. On ne change pas de Ceni en fonction de ses intérêts. C'est un faux débat.
Le recensement de 2014 pose problème. L'opposition estime que les statistiques ont été gonflées dans vos fiefs électoraux au détriment des siens. Que répondez-vous ?
Ce recensement a été effectué avec l'expertise et l'accompagnement des Nations unies. Et tout le monde sait que la démographie est évolutive, en Guinée comme ailleurs. Là encore, c'est un faux procès.
Le dialogue est-il toujours possible entre vous et les leaders de l'opposition ?
Dès mon élection en 2010, j'ai souhaité mettre en place un gouvernement d'union nationale pour redresser la Guinée. Depuis Dakar, Cellou Dalein Diallo a aussitôt répondu qu'il n'en voyait pas l'intérêt et qu'il ne voulait pas travailler avec moi.
Le dialogue, oui, mais il faut être deux pour cela. J'ai donné mandat à mon ministre de la Justice pour discuter avec l'opposition des concessions réciproques que nous devons faire pour décrisper la situation. J'attends les propositions.
Compliqué tout de même : si l'on en croit Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté, vous êtes illégitime, et, au cas où vous ne céderiez pas sur la question du calendrier électoral, il conviendra de vous "dégager" avant octobre !
Oui. Et ils ont déclaré cela depuis Paris. Est-ce intelligent ? Est-ce responsable de jeter des jeunes gens dans la rue en espérant qu'il y ait des morts, afin de déclencher un coup d'État militaire ?
Mon problème en ce moment est de tout faire pour que les forces de l'ordre, auxquelles j'ai interdit l'utilisation d'armes létales, parviennent à gérer les provocations de façon civilisée. Malgré cela, ma porte reste ouverte.
Cellou Dalein Diallo est statutairement le chef de cette opposition et je n'ai aucun problème à discuter avec lui. La fois dernière, c'est même moi qui lui ai téléphoné pour le rencontrer !
Eux me considèrent comme leur ennemi, et certains ne cachent pas leur haine à mon égard. Pour moi, ce sont des citoyens guinéens comme les autres, à cette différence près que je les rends responsables de l'état de désastre économique et social dans lequel j'ai trouvé ce pays en 2010.
En quinze ans de gestion, aucun d'entre eux n'est parvenu à conclure un accord avec le FMI. Moi, je l'ai fait en 2012, avec le point d'achèvement de l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés [PPTE].
Apparemment, ils ont juré de m'empêcher de réussir là où ils ont échoué, quitte à ramener les Guinéens à l'âge de pierre. Je ne les laisserai pas faire. Ceux qui y parviendront ne sont pas encore nés.
Pourquoi le débat national est-il toujours aussi communautarisé en Guinée ?
C'est un substitut Ă l'absence de vision politique et Ă©conomique. La manipulation de l'irrationnel tient lieu de programme. Quand on n'a rien Ă proposer, on a recours Ă la religion ou Ă l'ethnie, parfois aux deux Ă la fois.
Ce sont des entrepreneurs politiques malhonnêtes qui manipulent le communautarisme, ce n'est pas le peuple. En 1958, la Guinée a voté comme un seul homme en faveur de l'indépendance. C'est cette unicité que nous devons retrouver.
Pourtant, vos opposants ne cessent de répéter que vous avez un problème avec les Peuls...
Faux, évidemment. Mon ex-épouse est peule, originaire de Kankalabé, dans le Fouta-Djalon. Beaucoup de mes amis camerounais, sénégalais, mauritaniens sont peuls. Lorsque je combattais Sékou Touré, la plupart de mes proches alliés étaient peuls.
Aujourd'hui, beaucoup de personnalités peules me soutiennent, mais elles n'osent pas le dire de peur de subir les représailles de la part du parti de Cellou Dalein. On casse leurs maisons, on brûle leurs voitures, on impose l'ethnocentrisme.
Prenez le cas de Boubacar Barry, qui, à la veille du second tour de la présidentielle de 2010, vient me voir et me dit : "Je te soutiens, mais comme je dois protéger ma famille, je vais plutôt prôner l'abstention."
Ou ce membre actuel de la Ceni, peul, qui a dû renoncer à être le représentant de Lansana Kouyaté au sein de cette instance de peur qu'on lui détruise son domicile de Labé.
Est-il facile pour un Malinké de se revendiquer de l'opposition ?
Kouyaté est malinké et opposant. A-t-il été menacé ? S'en est-on pris à sa famille ? à sa maison ? J'ai été opposant, je n'ai jamais eu recours à la violence, je n'ai jamais armé la jeunesse. Je n'ai pas changé. Le panafricain que je suis n'a que mépris pour l'ethnicisme.
Oui, mais les réalités vous rattrapent. Votre parti, le RPG, est majoritairement malinké et son fief est en Haute-Guinée...
Non. Je suis malinké, c'est vrai, mais né en pays soussou et arrivé en France à l'âge de 15 ans. J'ai combattu le régime de Sékou Touré, qui était malinké, dès 1961. Certes, les Malinkés, qui ont vécu de fortes périodes de discrimination dans les années 1980, se sont reconnus en moi à l'époque, et leur attachement m'honore.
Mais je vous signale que le numéro deux du RPG est une femme soussoue. Encore une fois, le tribalisme ne fait pas partie de mon itinéraire. Contrairement à certains cadres de l'opposition, qui pensent que seuls les Peuls sont capables de diriger la Guinée, je ne me nourris pas de ce pain-là .
Tout de même. Vous ne vous privez pas de jouer sur les clivages internes à la communauté peule, en soutenant les revendications des Rundes, qui sont aux Peuls ce que les Haratins sont aux Maures. C'est de bonne guerre ?
Ne mettez pas sur mon dos ce qui relève des réalités sociologiques guinéennes ! Hormis chez les Soussous, les castes font partie des pesanteurs culturelles de ce pays. Elles existent chez les Peuls tout comme chez les Malinkés, et je les dénonce dans un cas comme dans l'autre avec la même énergie.
Qu'ils soient descendants d'esclaves à qui l'on interdit d'égorger un mouton ou de diriger la prière dans les mosquées du Fouta, qu'ils soient forgerons ou griots discriminés de par leur ascendance en Haute-Guinée, tous sont des Guinéens avec les mêmes droits au respect et à la considération. Ce combat-là n'a rien de politicien.
Les manifestations contre vous font des blessés et parfois des morts. Vous en rejetez la responsabilité sur l'opposition. N'est-ce pas un peu facile d'exonérer ainsi les forces de l'ordre ?
Je n'exonère personne. Cette police et cette gendarmerie, je ne les ai pas créées, j'en ai hérité et je suis en train de les réformer, tout comme j'ai réformé l'armée. Pour que ces fonctionnaires habitués à la répression acquièrent des réflexes démocratiques, cela prend du temps et je ne nie pas que des bavures surviennent, mais j'insiste sur un point : les forces de l'ordre ne tirent pas à balles réelles. Les fusils de chasse et les frondes, c'est l'opposition qui en fait usage.
Contrairement à la situation qui prévalait jusqu'en 2010, l'armée est invisible dans les rues de Conakry. Ce qui n'empêche pas l'opposition de vous reprocher de procéder à des nominations selon des critères ethniques. Que répondez-vous ?
La réalité est exactement inverse. C'est justement pour éviter le favoritisme que je fais procéder à des enquêtes chaque fois qu'un avancement significatif m'est soumis par les chefs de l'armée.
Autrefois, on pouvait passer du grade de sous-lieutenant à celui de colonel en dix mois, alors que d'autres végétaient pendant dix ans au même niveau parce qu'ils n'étaient pas de la bonne ethnie. J'ai mis fin à ces tares.
Le chef de ma propre garde présidentielle n'est pas malinké, il est soussou, et l'un de ses parents a même été impliqué dans l'attaque contre ma résidence en juillet 2011. Et pourtant, il a toute ma confiance.
Vous semblez ménager l'ex-chef de la junte Dadis Camara, qui vit à Ouagadougou, en dépit de son implication dans le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry. Le vote de la Guinée forestière est-il à ce prix ?
Le drame du 28 septembre relève de la justice, et elle est indépendante. J'ai donné tous les moyens au collectif des juges d'exercer leur mission. C'est ma garde qui assure leur sécurité, et j'ai invité la CPI à venir voir ici comment les choses se passent.
Pour le reste, ce n'est pas à moi de définir les responsabilités de tel ou tel, même si j'ai mon propre avis sur cette affaire bien plus complexe qu'on le dit généralement.
Idem pour votre prédécesseur, le général Sékouba Konaté.Vous n'en dites rien, même si lui ne se gêne pas pour vous critiquer.
Écoutez, le président Sékou Touré m'a fait condamner à mort. Cela ne m'a pas empêché d'organiser des lectures du Coran pour le repos de sa mémoire, ni d'apporter ma contribution pour l'anniversaire de son décès.
Le président Lansana Conté m'a fait emprisonner, cela ne m'empêche pas d'aller prier sur sa tombe. La rancune m'est étrangère et je veux montrer que l'on peut gouverner autrement. Je n'ai donc aucun commentaire à faire sur M. Sékouba Konaté.
L'épidémie d'Ebola a fait perdre à la Guinée quatre points de croissance et un demi-milliard de dollars de recettes. Vous considérez-vous toujours en état de guerre contre ce fléau ?
Oui. Par rapport à cela, les élections sont pour moi une préoccupation secondaire. Je sais qu'il est très difficile d'atteindre le niveau Ebola zéro, mais c'est une priorité absolue.
L'argent de la communauté internationale n'est pas versé aux États concernés, mais aux ONG et aux institutions spécialisées de l'ONU. Est-ce pour cela que vous avez eu la dent dure contre ces dernières ?
Je n'ai rien dit de nouveau. Chacun sait qu'après le tremblement de terre en Haïti 10 % seulement des sommes débloquées ont directement bénéficié aux victimes. Le reste est parti en frais de fonctionnement.Soit dit en passant, il y a là de quoi rendre ridicules ceux qui accusent le gouvernement guinéen de détourner une aide qu'il ne reçoit pas !
On vous a reproché d'avoir sous-estimé l'ampleur de l'épidémie. Qu'en dites-vous ?
Je suis chef d'État, je ne suis pas médecin. Pour savoir qu'Ebola existait en Guinée, il a fallu attendre la réponse d'un laboratoire de Dakar, alors que l'épidémie avait déjà atteint Conakry. C'est le décès suspect de deux médecins guinéens à l'hôpital de Kipé qui nous a alertés.
Si l'Institut Pasteur de Kindia fonctionnait toujours et si nous avions nos propres laboratoires, nous aurions sans doute réagi plus vite, isolé les populations touchées et cantonné le mal aux dimensions d'une sous-préfecture. Pour le reste, comme vous le savez, nous sommes en année électorale et tous les arguments sont bons. On a même dit que Bernard Kouchner et moi avions introduit Ebola en Guinée !
Eau, électricité, éducation, santé, chômage, formation : sur tous ces chantiers, la Guinée est à la traîne en Afrique de l'Ouest. Et ce constat impacte forcément votre bilan...
Vous n'avez manifestement pas idée de l'état dans lequel j'ai trouvé ce pays en arrivant : un désastre. Et vous n'avez pas idée de ce que nous avons réalisé depuis dans tous ces domaines.Ce que j'ai fait en quatre ans, mes adversaires politiques ne l'ont pas fait en quarante ans.
"Alpha Condé avait promis de vendre le sac de riz à 25 000 francs guinéens", a dit Cellou Dalein Diallo lors d'un meeting en janvier à Conakry, "aujourd'hui, beaucoup de Guinéens ne mangent pas deux repas par jour". Exact ?
Faux ! Je n'ai jamais dit cela. Il faudrait être fou pour avancer pareille promesse. Le même Cellou a d'ailleurs prétendu que j'utilisais l'argent d'Ebola pour ma campagne. Tout cela relève de la malhonnêteté. Lorsque je suis arrivé au pouvoir, le sac de riz était à 300 000 francs.
Grâce au travail accompli en faveur des paysans producteurs et à la lutte contre les commerçants spéculateurs, il est aujourd'hui à 180 000. La vérité est là . Le reste n'est que démagogie.
La Constitution guinéenne en vigueur a été adoptée en mai 2010, avant votre accession à la présidence. Vous convient-elle ?
Elle est améliorable sous certains aspects, dans le cadre évidemment d'un débat national et d'un consensus populaire.
Le président est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cela vous paraît-il suffisant ?
La question est complexe. Les pays asiatiques ont fait des progrès économiques et sociaux considérables avec des dictatures. Aux pays africains, on demande de réaliser la même chose, mais avec des démocraties exemplaires, si possible parfaites.
L'ancien Premier ministre Mahathir, le père du miracle malaisien, qui est resté vingt-deux ans au pouvoir, ne m'a pas caché qu'il était hostile aux limitations de mandats : s'il avait dû partir au bout de dix ans, m'a-t-il dit, son pays ne serait jamais parvenu à de tels résultats. Il a raison. Mais son raisonnement ne tient que si l'on a affaire à un bon président. Conclusion : le débat est ouvert.
En Guinée aussi ?
L'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle est capable de résoudre, disait Karl Marx. Mon problème, aujourd'hui, c'est Ebola.
Vous en avez voulu au président sénégalais, Macky Sall, d'avoir fermé votre frontière commune au plus fort de l'épidémie. La crise est passée ?
Je considère le président Macky Sall comme un jeune frère, et ce qui unit nos deux peuples dépasse largement les divergences ponctuelles entre leurs dirigeants. Je comprends que l'apparition d'Ebola ait pu susciter de l'affolement. Les erreurs sont humaines.
L'invitation de vos deux principaux opposants, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, à la convention d'investiture d'Alassane Ouattara comme candidat à la présidentielle, fin avril à Abidjan, n'a pas pu se faire sans l'accord de ce dernier. Comment l'interprétez-vous ?
Cela ne m'offusque en aucune manière. Quand j'étais opposant, j'ai moi aussi été invité aux congrès de partis au pouvoir, ainsi que par des chefs d'État.
Inviterez-vous les dirigeants du parti de Laurent Gbagbo Ă votre propre convention d'investiture ?
Non. Pour une raison très simple : les rapports entre mon parti et celui de Gbagbo n'ont jamais été bons, contrairement à ceux qui nous lient avec les partis frères du Sénégal, du Mali ou du Niger. Le Front populaire ivoirien a plutôt soutenu mes adversaires, je ne l'oublie pas. Je ne recevrai ni Pascal Affi N'Guessan ni un autre.
François Hollande vous reçoit à chacun de vos passages à Paris, même impromptus. Que vous vaut ce traitement de faveur ?
François Hollande est un camarade sincère et un homme de principes. Nous nous connaissons depuis longtemps. Ni lui ni moi ne relevons de la Françafrique. Il sait que je suis un patriote, un militant et un panafricaniste.
Hollande vote Alpha Condé ?
Il n'est pas guinéen et la France ne fait pas les élections en Guinée.
Tout de même : c'est votre ami. Et Cellou Dalein Diallo est celui de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy.
Ne soyez pas aussi simpliste ! J'ai de bons rapports avec Nicolas Sarkozy. Nous nous sommes parlé au téléphone lors de mon dernier séjour à Paris fin avril. Il m'a invité à venir le rejoindre dans le Midi, où il se trouvait, ce que je n'ai pas pu faire faute de temps. Et il m'a promis de se rendre à Conakry. Je n'ai aucun tropisme de ce genre.
OĂą en ĂŞtes-vous de votre conflit avec le milliardaire Beny Steinmetz Ă propos du gisement de fer de Simandou ?
Nous avons récupéré les concessions de Simandou 1 et 2 dans les conditions que vous connaissez. Nous sommes en train d'élaborer les appels d'offres internationaux les concernant.
Steinmetz et sa société BSGR ont mené une longue guérilla contre vous. Ont-ils renoncé ?
Vous êtes mieux placé que moi pour le savoir. Je ne répondrai donc pas à votre question.
La Guinée est l'un des rares pays d'Afrique de l'Ouest à ne pas avoir aboli la peine de mort. Comptez-vous le faire bientôt ?
Personnellement, je suis contre la peine de mort et je ne l'applique pas. À moi de convaincre les Guinéens de la nécessité de son abolition. C'est un processus qui viendra en son temps. Pour l'instant, la population est préoccupée par Ebola et par ses conditions de vie. Je ne gouverne pas sous le diktat des ONG.
Depuis votre arrivée au pouvoir, les urgences et les crises se succèdent. Vous n'en avez pas assez de gouverner sous stress permanent ?
La Guinée est un pays à part et personne ne m'a obligé à en devenir le chef. Je savais ce qui m'attendait, et il serait inacceptable de ma part de ne pas assumer ma tâche. Le président béninois Boni Yayi m'a dit un jour : "Tu es président, mais tu te comportes toujours comme un opposant." Dans un sens, il n'a pas tort : je ne cesserai jamais de m'opposer à ceux qui veulent du mal à la Guinée.
Questionnaire intime
Votre principale qualité ?
La patience.
Votre principal défaut ?
L'impulsivité.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
La tolérance.
Le défaut que vous détestez le plus ?
L'hypocrisie.
Votre personnage favori ?
Mandela.
Celui que vous regrettez le plus ?
Malick, mon jeune frère, décédé à cinq jours de mon investiture. Il connaissait tout le monde en Guinée, et tout le monde l'appréciait. Il me manque chaque jour.
Votre passe-temps favori ?
Westerns et matchs de foot à la télévision. Cuisine. J'avais la réputation de réussir le meilleur gigot de Paris.
Musique préférée ?
Afro-cubaine et variété française : Dassin, Aznavour, Brel, Ferré, Nougaro...
Chanson fétiche ?
Potemkine par Jean Ferrat et Guantanamera par Carlos Puebla, Compay Segundo ou qui vous voulez.
L'argent, pour vous ?
Un moyen, pas une fin. On dit que je suis communiste Ă ce sujet et que j'ai le bras plutĂ´t court.
Votre épitaphe, après votre mort ?
"Il a contribué à l'unification de l'Afrique et au progrès de la Guinée."
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