Égypte : des centaines de disparus dans les geôles d'Al-Sissi
le 15/09/2015 11:01:12
Égypte

A 21 ans, Nour Khalil, étudiant en droit à l'université de Tanta, une ville du delta du Nil, ne comprend toujours pas pourquoi des inconnus encagoulés sont venus l'interpeller en pleine nuit à son domicile, il y a deux mois environ, et pourquoi il a séjourné durant quelques jours dans les bâtiments de la Sécurité nationale, les services égyptiens du renseignement intérieur.

Nour reconnaît volontiers qu'il est un activiste, mais il n'a rien d'un militant encarté. Avec cette troisième arrestation en quatre ans, il paie cher son intérêt pour la politique...

Alors que sa mère porte le niqab (voile intégral) et que son père est un militaire à la retraite, Nour, quant à lui, relève plutôt de la figure classique du gauchiste égyptien, biberonné aux écrits marxistes et à la mythologie guévariste. Lors d'une précédente arrestation, en 2014, après une manifestation en mémoire du soulèvement contre Hosni Moubarak, il avait écopé de six mois de prison.

>> Notre dossier: L'Egypte sous la botte des militaires

Après sa libération, son corps portait des traces de brûlures de cigarette, mais aussi les marques des chocs électriques qu'il a subis ainsi qu'une cicatrice à la lèvre, souvenir d'un coup de poing. De sa détention de mai 2015, en revanche, il ne conserve que des bleus. Et beaucoup de culpabilité.

Le jeune homme se sent responsable du sort de son père et de son frère, arrêtés en même temps que lui, car ils s'opposaient à son interpellation sans mandat. Son père a été libéré au début de juin. Mais Islam, son frère, âgé de 26 ans, décrit par Nour comme une personne tranquille et apolitique, s'est volatilisé... "Nous ne savons pas s'il est vivant ou mort, confie-t-il. Que l'on m'en veuille pour des actions de solidarité auprès d'ouvriers, parce que j'ai participé à une manif ou à cause de mes prises de position sur Facebook, admettons. Mais pourquoi garder mon frère? J'ai une peur terrible qu'ils l'aient torturé à mort et qu'ils ne sachent pas comment étouffer l'affaire."
Des détenus battus, électrocutés, humiliés, privés de sommeil

Nour a été libéré sans la moindre charge. Son cas n'est pas isolé. Depuis le début de l'année, plus de 500 Egyptiens ont disparu, en dehors de toute procédure judiciaire, dans les geôles des services de renseignement ou de l'armée. Quelques jours, un mois, parfois bien plus longtemps. Le régime du maréchal Abdel Fattah al-Sissi est "en guerre contre le terrorisme" et nombre de détenus ont un profil de sympathisant islamiste. Mais ce n'est pas toujours le cas. Il arrive aussi que des opposants laïques au régime militaire ou des parents de personnes disparues soient enlevés à leur tour.

Au Caire, le 1er août. Doaa lit une lettre envoyée par sa soeur Esraa, emprisonnée, avant de la publier sur les réseaux sociaux.

Vinciane Jacquet pour L'Express

"Ces détenus si particuliers sont libérés après quelques jours, semaines, ou mois, explique Mohammed Abdel Ghani, juriste, membre de l'ONG égyptienne ECRF, qui a compilé il y a peu des centaines de cas de disparition. Certains confessent des crimes, des confessions qu'ils doivent ensuite répéter, au cours d'une procédure légale, devant le procureur."
Les aveux des détenus? "C'est de la propagande!"

Oussama fait des provisions afin de les porter à son frère Sohaib, arrêté en juin, et qui, sous la torture, a avoué être coupable d'activités terroristes.

Vinciane Jacquet pour L'Express
Le droit de manifester a pratiquement disparu

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