Burkina Faso : Macky Sall sur la crise burkinabè: «Les problèmes sont complexes»
le 19/09/2015 15:46:08
Burkina Faso

Au Burkina Faso, les entretiens se sont succédé jusque tard dans la nuit, dans la chambre 1006 de l'hôtel Laïco de Ouagadougou. C'est là que Macky Sall a établi son quartier général. Le président sénégalais est arrivé vendredi 18 septembre dans la capitale burkinabè avec son homologue béninois Thomas Boni Yayi pour assurer une médiation. Les deux dirigeants ont rencontré les acteurs de cette crise, à commencer par le chef des putschistes, le général Diendéré, qu'ils doivent revoir ce samedi. Objectif : trouver une issue à cette crise politique.

Tractations toujours en cours au Burkina Faso, pour tenter de dénouer la crise. Arrivé vendredi dans la capitale, au lendemain du coup d'Etat militaire qui a porté le général Diendéré à la tête du pays, le président sénégalais Macky Sall, dirigeant en exercice de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), estime qu'il faut « créer une dynamique de réconciliation nationale ».

« Les problèmes posés sont des problèmes complexes », a-t-il fait remarquer, après s'être entretenu, en compagnie du président béninois Thomas Boni Yayi, avec toutes les composantes politiques burkinabè. Les deux hommes ont enchaîné près de douze heures de rencontres avec des diplomates, des députés, des membres de la société civile. A commencer par le général Diendéré lui-même, dont l'arrivée à l'hôtel Laïco a été irréelle.

Au cœur de la nuit, alors que l’hôtel était vide et que Macky Sall avait regagné sa chambre, des éléments du Régiment de sécurité présidentiel (RSP) ont en effet discrètement sécurisé le bâtiment. Et Gilbert Diendéré est monté directement dans les étages, où il est resté environ une heure. « J’ai eu un entretien avec les deux chefs d’Etat, un entretien en tête à tête », a-t-il ensuite confirmé, jugeant cet échange « constructif ».

« Des propositions ont été faites par ces deux hautes personnalités. Je préfère ne pas devancer l’iguane dans l’eau, parce que nous n’avons pas décidé de quoi que ce soit pour l’instant. [Ce samedi], vous aurez la synthèse de ce que nous avons eu comme discussions, comme débats ce soir », a par ailleurs expliqué le chef des putschistes aux journalistes présents, sans plus de précision.

MM. Sall et Boni Yayi lui ont-ils demandé de quitter le pouvoir ? « Je préfère ne pas donner de détail », a répondu le général Diendéré, avant de justifier le coup d’Etat de ses hommes par ces mots : « C’est parce que le dialogue était rompu qu’il y a eu ces problèmes. S’il y avait eu un dialogue depuis fort longtemps, je crois qu’on n’en serait pas arrivés à cette situation. »

« Tant qu’ils ne bougeront pas du palais présidentiel... »

En amont, les deux chefs d'Etat africains ont également rencontré d'autres protagonistes, notamment des membres de la classe politique. Le bilan : certains perlent de statu quo, d’autres de radicalisation des positions. Deux camps s’opposent clairement. Les pro-putschistes, soutenus par les anciens partis au pouvoir durant l’ère Compaoré, voient dans ce coup d’Etat une nouvelle chance et estiment que le RSP est en mesure d’assurer une transition pour aller vers des élections inclusives.

Au sein du Conseil national de la transition (CNT) et de la société civile, la position est diamétralement opposée. Un retour du président Kafando, des institutions et de la transition est mis en avant. « Nous l’avons dit à Macky Sall, nous l’avons dit au président béninois, nous n’allons pas dialoguer avec ces gens-là. Qu’ils remettent le pouvoir, et incessamment », assure Assad Mamadou Ouedraogo, un porte-parole de la société civile.

« On ne va pas se laisser faire ; vaille que vaille, on va les déloger. Et le mot d’ordre est clair : tant qu’ils ne bougeront pas du palais présidentiel, nous serons toujours là ! », promet-il. Macky Sall « nous a répondu, tout simplement, qu’actuellement nous devrions donner un mot d’ordre pour que les jeunes puissent rentrer chez eux et que nous puissions nous asseoir ensemble pour dialoguer, pour trouver une solution favorable », continue Assad Mamadou Ouedraogo.

Mais il est visiblement peu convaincu : « Nous avons dit : à la limite nous pouvons permettre que les partis politiques se retrouvent pour échanger tous ensemble et voir quelle sera la conduite à tenir pour qu’on puisse avoir les élections. Mais il n’est pas question de permettre à ces gens-là de passer une minute de plus à Kosyam ! »

« Dire à sa milice d'arrêter de tirer sur la population »

D’autres représentants de la société civile avaient également pris rendez-vous avec les présidents étrangers à l'hôtel Laïco de Ouagadougou. Les membres du Balai citoyen, qui ne se sentent pas en sécurité et vivent cachés - les domiciles de plusieurs membres ont été visités ou saccagés -, ont d'ailleurs dû prendre des chemins de traverse pour se rendre à l'hôtel et faire part de leurs attentes et de leurs préoccupations aux chefs d'Etat sénégalais et béninois.

Guy Hervé Kam est le porte-parole de l’organisation. « Nous avons deux séries de préoccupations », énumère-t-il. « Déjà, avoir une situation des otages. Le président Kafando, le Premier ministre et les autres ministres sont-ils vivants ou non ? »

« J'ai échangé il n'y a pas très longtemps avec l'épouse d'un ministre, qui m'a confirmé que son mari n'a pas été libéré, mais qu’en plus, elle aurait reçu un appel d'un élément du RSP lui demandant d’amener des effets de rechange, ce qui veut dire que dans leur esprit, sans doute, il ne sont pas prêts à les libérer avant que l'on puisse discuter. »

« La deuxième préoccupation, continue le porte-parole, c'est de dire à sa milice d'arrêter de tirer sur la population. Plus fondamentalement, nos exigences sont simples : la libération des otages, le rétablissement immédiat des autorités de la transition et le respect du calendrier électoral sans remise en cause du processus. »

« Créer une dynamique de réconciliation et de pardon »

Après cette longue première journée de négociations, Macky Sall n’était pas en mesure de faire des propositions concrètes, tant le fossé se creuse. Son unique constat : les Burkinabè ont perdu le sens du dialogue et cela met en danger la démocratie.

« Au-delà des aspects de rupture de la marche constitutionnelle, ou même de la transition par la suite, il se pose véritablement un manque de dialogue entre acteurs politiques burkinabè, pointe le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall. Cela est extrêmement dangereux pour la cohésion nationale, pour l’unité nationale et pour la concorde nationale. »

Selon Macky Sall, « il faut créer une dynamique de réconciliation et de pardon. Arrêter la violence. Faire en sorte que, bien entendu, un schéma accepté par tous et par la communauté internationale puisse permettre au pays de se repositionner dans sa voie et dans se marche vers la démocratie. »

Le président a évoqué l’idée d’un nouveau sommet extraordinaire de la Cédéao, mais sans donner de date. Cela montre la complexité de la tâche. Dès ce samedi matin, il devait reprendre ses consultations après une courte nuit. Il y a un décalage certain avec la position ferme privilégiée par l'UA envers les putschistes. La crainte des médiateurs Macky Sall et Thomas Boni Yayi, c’est que cette position froisse et complique des discussions déjà très complexes.

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