Des proches du président Abdelaziz Bouteflika ont pour la première fois émis des doutes sur ses capacités à diriger l'Algérie, confrontée selon eux à un "climat général dégradé", et demandé à le rencontrer pour s'en assurer.
L’ex ministre Khalida Toumi, la sénatrice et célèbre combattante de l’indépendance Zohra Drif-Bitat, la députée trotskyste Louisa Hanoune, l’écrivain Rachid Boudjedra et d’autres partisans du chef de l’État font partie des dix-neuf personnalités algériennes qui ont demandé -dans une lettre rendu publique vendredi- à rencontrer M. Bouteflika.
« Je connais très bien le président et je doute que certaines décisions soient de sa propre initiative », a affirmé Mme Toumi, qui a fait partie du gouvernement de 2002 à 2014, date à laquelle le président algérien a été réélu pour un quatrième mandat.
M. Bouteflika, 78 ans, a été victime en 2013 d’un AVC qui a affaibli sa mobilité et sa faculté d’élocution. Ses activités publiques sont devenues très rares et il n’apparaît à l’écran de la télévision officielle que lorsqu’il reçoit des invités étrangers.
Ses opposants, à l’instar de son rival à la présidentielle de 2014, Ali Benflis, n’hésitent pas à parler d’une « vacance de pouvoir ».
« Nous estimons qu’il est de notre devoir de patriotes algériens d’attirer votre attention sur la dégradation du climat général dans notre pays », affirment les 19 signataires de la lettre, qui demandent une audience au chef de l’État.
Selon eux, « la déliquescence des institutions de l’État, la grave dégradation de la situation économique et sociale, l’abandon des cadres algériens livrés à l’arbitraire et aux sanctions partiales » sont des « signes notoires » des maux du pays.
L’Algérie a perdu environ 50% de ses revenus pétroliers à cause de la chute des prix du brut et se voit maintenant contrainte de prendre des mesures d’austérité budgétaire pour diminuer le coût énorme des transferts sociaux qui permettent d’acheter la paix sociale.
Le gouvernement prévoit notamment une augmentation des prix des carburants, selon le ministre des finances Abderahmane Benkhalfa.
« Extrême gravité »
Les signataires de la lettre, transmise le 1er novembre au secrétaire particulier du chef de l’État, affirment vouloir « faire partager (à M. Bouteflika) (leurs) inquiétudes quant à l’avenir du pays et solliciter (ses) interventions sur l’extrême gravité de la situation ».
Par leur initiative, les 19 personnalités algériennes « expriment franchement leur doute quant à la paternité des décisions prises et annoncées » au nom du chef de l’État, analyse le quotidien Liberté, qui y voit « un tournant dans ce quatrième mandat de M. Bouteflika ». Ce dernier se trouve « mis en demeure de montrer qu’il gouverne », selon le journal.
« En filigrane, les doutes exprimés à la faveur de cette démarche laissent croire que le chef de l’État est tenu à l’écart des grandes décisions politiques », analyse de son côté El Watan, qui évoque une prise du pouvoir par des « groupes informels » et ose une comparaison avec la « Russie de (Boris) Eltsine », premier président russe de l’ère post-soviétique. Parmi les décisions récentes prises par Bouteflika et qui ont suscité des inquiétudes figurent le démantèlement des puissants services de renseignement et le renvoi de leur patron, le général Mohamed Mediene, dit Toufik, en poste depuis 25 ans.
Pour le politologue Rachid Tlemçani, les signataires de la lettre « tentent de se repositionner dans le paysage politique car ils ont été écartées de la sphère décisionnelle ces derniers temps alors qu’ils avaient été pendant longtemps des clients du pouvoir ».
Selon lui, ces personnalités veulent en fait avoir leur mot à dire dans la préparation de la succession du président Bouteflika, dont le mandat court jusqu’en 2019, alors que l’Algérie est « à la veille de profondes mutations politiques et économiques ».
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