Afrique du Sud : Dlamini-Zuma s’y voit déjà
le 29/02/2016 14:40:32
Afrique du Sud

Son mandat à la tête de la Commission de l'UA arrivera à échéance en juin, et tout porte à croire qu'elle a choisi d'en rester là pour mieux se concentrer sur une autre bataille : celle qui pourrait lui permettre de remporter la présidence de l'ANC et, partant, celle du pays.

La nuit tombe sur Addis-Abeba en ce 31 janvier. Le 26e sommet de l’Union africaine (UA) vient de s’achever, et l’effervescence de ces dernières quarante-huit heures a déjà quitté le siège de l’organisation. Mais, dans le hall d’acier et de verre, un petit groupe de journalistes sud-africains continue de faire le pied de grue. Ils savent que, comme chaque année, leur compatriote et présidente de la Commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, 67 ans, prendra le temps de les débriefer.

La voici qui finit par arriver, pas lent et sourire doux, malgré une fatigue visible. Quelques journalistes étrangers tentent de se mêler à leurs confrères. Ils ne seront pas admis – consigne de la présidente. Des années 1990 et de l’époque où, jeune ministre de la Santé de Nelson Mandela, elle a été critiquée pour avoir mal géré la lutte contre l’épidémie du sida, elle a gardé une défiance certaine à l’égard de la presse. Pour ne rien arranger, depuis qu’elle a ravi à Jean Ping la présidence de la Commission de l’UA, en juillet 2012, elle est sans cesse accusée de faire passer son pays avant le reste du continent.

Un poids lourd de l’ANC

La critique est récurrente ces derniers mois. Il faut dire que, en Afrique du Sud, une autre bataille s’annonce et que la campagne promet d’être au moins aussi violente que celle qui l’a opposée au candidat gabonais : en 2017, Jacob Zuma quittera la présidence du Congrès national africain (ANC). La place est à prendre, et l’enjeu est simple : le vainqueur de cette super-primaire sera le prochain président de l’Afrique du Sud. Or Nkosazana Dlamini-Zuma est un poids lourd de l’ANC. En 2007 déjà, son nom avait circulé pour succéder à Thabo Mbeki à la présidence. Aujourd’hui, elle fait partie des favoris au côté de Cyril Ramaphosa, vice-président du parti et du pays.

Comme de coutume à l’ANC, aucun des deux prétendants ne s’est déclaré officiellement. Mais leurs soutiens sont déjà sortis du bois. Trois influents gouverneurs de province (ils appartiennent à ce que l’on surnomme la premier league) ont appuyé la candidature de Dlamini-Zuma. Son ex-mari et père de ses quatre enfants ne fait pas non plus mystère de ses préférences (« L’Afrique du Sud est prête pour avoir une femme à sa tête », a-t-il déclaré) -, et ce soutien n’est pas mince quand on connaît l’habileté tactique du chef de l’État.

Bref, elle se prépare sans doute au combat d’une vie, et l’on comprendrait sans peine que cela accapare son esprit. À Jeune Afrique, qu’elle a finalement accepté de recevoir dans un salon immaculé du 18e étage du siège de l’UA, elle soutient pourtant le contraire. Cette femme autoritaire, qui a déjà rang de chef d’État, arrive précédée d’une délégation crispée. Se représentera-t-elle à la présidence de la Commission lors du prochain sommet de l’UA, à Kigali, en juin ? « Pour l’instant, je veux me concentrer sur ce qu’il me reste à faire pour le continent. »

Elle est plus prolixe pour évoquer son bilan à Addis-Abeba : « Je suis fière de mon travail ici », assure-t-elle, citant notamment l’Agenda 2063, son plan pour le développement du continent. Elle a soin d’insister aussi sur la féminisation de l’institution (il y a deux fois plus de femmes parmi les cadres de l’UA qu’avant son arrivée, ce qui suppose qu’il a fallu leur faire de la place…) ou de rappeler la création d’une académie pour former les futurs employés de l’UA.

Comme lors de son passage au ministère sud-africain de l’Intérieur, entre 2009 et 2012 (le portefeuille qui lui a valu le plus d’éloges), elle s’est donc concentrée sur les réformes administratives. Sa gestion de l’épidémie d’Ebola, dont elle se dit fière – 800 professionnels de santé ont été envoyés pour combattre la maladie en Afrique de l’Ouest – ne fait en revanche pas l’unanimité. Beaucoup lui opposent la lenteur de la réaction de l’UA. Les mêmes affirment qu’il y a bien peu de crises sécuritaires qu’elle pourrait se targuer d’avoir aidé à résoudre même si, en évoquant la possibilité d’envoyer une force au Burundi sans avoir l’aval de Bujumbura (projet aujourd’hui enterré), la Commission avait adopté une position particulièrement audacieuse. « J’ai participé à de nombreuses réunions sur le Burundi, le Soudan du Sud ou la Somalie, poursuit-elle. Mais les négociations de paix, cela ne se fait pas en public. Je ne veux pas non plus que mes discours donnent l’impression que l’Afrique est tout entière traversée de conflits : ce n’est pas vrai ! »

À vouloir projeter une vision idéalisée du continent, ne se voile-t-elle pas la face ? « Elle est très convaincue de la puissance de son pays, assure un ancien diplomate français. Elle croit aussi fondamentalement à la supériorité du dialogue sur la force. Lorsque nous travaillions ensemble sur la crise ivoirienne, au début des années 2000 [lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangères], elle torpillait systématiquement toute mesure coercitive. »

Quels sont les reproches qui lui sont faits ?

Dans les couloirs de l’UA, certains (et ils sont surtout francophones) ont une explication plus simple : pour avoir des résultats, encore faudrait-il qu’elle passe plus de temps à Addis-Abeba et moins en Afrique du Sud… « Quand on ne la voit pas ici, cela ne veut pas dire qu’elle est en Afrique du Sud, répond son porte-parole, Jacob Enoh Eben. Son planning est très chargé. Elle veut délocaliser au maximum ses activités pour rapprocher l’UA des Africains. » Il n’empêche : Nkosazana Dlamini-Zuma n’a jamais quitté ni la Ligue des femmes de l’ANC ni le comité exécutif national du parti, son organe suprême. « Elle assiste toujours à leurs réunions », confirme un diplomate européen en poste à Pretoria. Son agenda, qui permettrait de trancher la question, n’est pas rendu public.

L’autre reproche qui lui est fréquemment adressé concerne son entourage, majoritairement constitué de ressortissants d’Afrique australe. Son ancien directeur de cabinet, le Burkinabè Jean-Baptiste Natama, n’est resté que deux ans et demi avant de démissionner pour se présenter à l’élection présidentielle dans son pays – il a été remplacé par une Zimbabwéenne, Jennifer Susan Chiriga. « Même s’il l’avait voulu, je ne suis pas sûr que Natama aurait tenu beaucoup plus longtemps », confie un membre du cabinet qui insiste sur la rivalité et le soupçon qui empoisonnaient les relations entre Natama et Baso Sangqu, le « conseiller principal » de Dlamini-Zuma.

Ancien ambassadeur sud-africain à l’ONU, cet homme constamment pendu à son téléphone est le véritable chef d’orchestre de l’équipe. Lui, comme deux autres conseillers et plusieurs autres membres de son staff aux fonctions moins prestigieuses, est directement payé par Pretoria. De quoi faire grincer quelques dents à Addis-Abeba. « C’est un mauvais procès, conteste Jacob Enoh Eben. Connaissez-vous un dirigeant qui ne choisisse pas des collaborateurs en qui il a toute confiance ? »

Malgré tout, Dlamini-Zuma nie toute mainmise sud-africaine sur l’UA. « Cette présidence était au contraire un moyen de remercier le continent pour les sacrifices consentis pour la liberté de l’Afrique du Sud », affirme-t-elle, parlant déjà au passé. Il est vrai que l’Afrique du Sud est l’un des principaux pays contributeurs au budget de l’organisation. Mais son élection, en 2012, a pulvérisé pour longtemps la règle non écrite qui voulait qu’aucun grand pays n’occupe ce poste stratégique. Désormais, l’Algérie, l’Égypte ou encore le Nigeria seront fondés à le revendiquer… « Avant son élection, il y a eu un deal, affirme d’ailleurs un diplomate algérien. Il était entendu qu’elle ne ferait qu’un seul mandat et qu’après ce serait au tour de l’Afrique du Nord. Les Sud-Africains ont l’air de vouloir tenir parole. »

Mais comment Zuma a-t-il pu promettre aussi facilement que sa candidate ne ferait qu’un seul mandat ? Faut-il en déduire que, fin stratège, il avait tout prévu ? Qu’il réfléchissait, depuis plusieurs années déjà, aux possibles scénarios de sa succession et à la manière de s’assurer une retraite tranquille, à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires ? Divorcés depuis 1998, les anciens époux ont conservé de bonnes relations et, rétrospectivement, l’hypothèse est séduisante. Cela expliquerait pourquoi l’Afrique du Sud a mis tant d’énergie à détrôner Jean Ping au terme de son premier mandat et pourquoi Dlamini-Zuma a conservé un pied sur la scène politique sud-africaine. Si tout se passe comme prévu (mais la partie est loin d’être gagnée), le poste de présidente de la Commission aura été, pour elle, un marchepied de luxe vers le sommet de sa carrière.

LA PRÉSIDENTE DONT L’AFRIQUE DU SUD A BESOIN ?

Contrairement à son principal rival, le vice-président du parti et du pays, Cyril Ramaphosa, Nkosazana Dlamini-Zuma a peu de contacts dans les milieux d’affaires – contacts qui seraient sans nul doute utiles pour relancer une machine économique grippée. Elle a pour elle en revanche une réputation d’intégrité et de sérieux dans la gestion des administrations publiques.

Cette image, elle se l’est forgée au fil de ses passages au gouvernement (elle a été ministre sans discontinuer de 1994 à 2012 sous les présidences de Nelson Mandela, Thabo Mbeki et Jacob Zuma) et ce n’est pas rien compte tenu de la piètre efficacité de certains ministères – notamment celui de l’Éducation – et du climat de prédation qui anime une bonne partie de l’élite sud-africaine… Mais aura-t-elle les mains suffisamment libres si elle obtient ce poste grâce à son ex-mari ? Jacob Zuma, à n’en pas douter, a ses propres intérêts à cœur et ne jettera pas tout son poids dans la bataille sans avoir obtenu au préalable quelques garanties.

Format imprimable Envoyer cet article ŕ un ami Créer un fichier PDF ŕ partir de cet article
Les commentaires appartiennent Ă  leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.