Cameroun : une tradition d'inscriptions sur les listes électorales peu courues ?
le 30/05/2011 18:17:45
Cameroun

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Xinhua
YAOUNDE, 29 mai (Xinhua) -- A la date du 29 avril, sur une estimation d'environ 9 millions d'électeurs potentiels pour une population de quelque 20 millions d'habitants, Elections Cameroon (ELECAM), organisme chargé de la gestion des élections au Cameroun, déclarait un fichier électoral de 6.591.866 électeurs dont 1.524. 030 nouveaux inscrits depuis août 2010.

A l'évidence, à l'approche de la prochaine élection présidentielle attendue en octobre, ce décompte dénote d'un faible engouement diversement interprété des Camerounais pour les inscriptions sur les listes électorales, une opération qui, d'après la loi, s'ouvre le 1er janvier et se referme le 31 décembre de chaque année. En année électorale, elle est suspendue dès la convocation du corpsélectoral, pour reprendre le lendemain su scrutin.

De l'avis du sociologue Pierre Titi Nwel, enseignant à l' Université catholique d'Afrique centrale (UCAC) à Yaoundé, « les gens n'ont pas l'impression que leur vote peut compter. Le président de la République, qui a toujours été là, s'il se présente comme on croit, les gens se disent que ce sera une élection de pure forme. Si par exemple il n'est pas là, ça peut changer. Si le système électoral est plus transparent, les gens peuvent s'inscrire et aller aux élections ».

« Souvenez-vous des premières élections qu'on peut dire de l'ère démocratique. En mars 1992, il y avait beaucoup de gens qui sont allés aux urnes. Le taux a été très très élevé et ça s'est manifesté dans le choix des électeurs. Il y a eu 68 députés de l'UNDP, 18 de l'UPC, 6 du MDR, moins de 92 (88) du RDPC (au pouvoir). Le RDPC n'a pas pu former un groupe parlementaire ; il était obligé de faire alliance », rappelle-t-il.

Pour le retour au multipartisme consacré deux ans plus tôt comme dans bien des pays africains secoués par une vague de revendication de la démocratie, l'intérêt des Camerounais pour les élections avait été sans précédent en 1992.

Face à une opposition très en verve et jouissant d'un immense capital de sympathie auprès de l'électorat, le pouvoir avait été mis à mal.

A la présidentielle de cette année-là, le président Paul Biya l'avait emporté de justesse par 39,97% des voix contre 35,93% pour son principal challengeur Ni John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF), d'après les résultats officiels. « Il n'y a plus jamais eu d'élections claires et transparentes. Tout a été faussé. On a refait des lois pour faire en sorte que les élections ne traduisent plus le choix des candidats », commente le Pr. Titi Nwel.

Le jugement peut paraît excessif, d'autres analystes comme le politologue Firmin Mbala, aussi enseignant à l'UCAC, renchérissent que quand les gens ont le sentiment que les jeux sont faits, ils votent avec leurs pieds, c'est-à-dire qu'ils ne trouvent pas nécessaire de se déplacer en masse pour aller voter. Pour cette année, la position ambiguë du Social Democratic Front (SDF), principal parti d'opposition, ne favorise guère non plus une inscription massive. « On ne sait pas s'il appelle à voter ou s'il appelle à ne pas aller voter ».

Titi Nwel, généralement observateur électoral pour le compte de la Commission Justice et Paix de l'Eglise catholique, condamne toutefois l'abstention en indiquant qu'« il faut que les gens sachent que tant qu'on a 20 ans (âge électoral au Cameroun, ndlr) et plus, nous avons le droit et le devoir de choisir nos dirigeants. Il faut donc s'inscrire sur les listes électorales et aller voter ».

Dans un ouvrage intitulé « La démocratie en transit », le philosophe Fabien Eboussi Boulaga a pour sa part relevé qu'« il n'y a pas eu l'avènement toujours attendu de la nouvelle race d'électeurs, jeunes, instruits et politiquement informés, dans la tranche d'âge située entre 20 et 30 ans. Ce trou est vertigineux, le prix d'une « paupérisation anthropologique » partout visible et aux indicateurs sociaux bien connus ».

Lors du lancement d'une campagne de sensibilisation des citoyens à l'exercice du droit de vote vendredi à Yaoundé, le président de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés (CNDHL), Chemuta Divine Banda, a décrit le fait que « le cadre juridique des élections est mal connu, l'environnement ne permet toujours pas un vote en toute dignité de certaines personnes (allusion aux personnes handicapées, ndlr), les populations n'ont pas toujours l'éducation requise en la matière, la pauvreté ambiante n'est pas un facteur d'encouragement, .. »

Comme l'a relevé récemment dans son ouvrage « La pratique des élections au Cameroun (1992-2007) – Regards sur un système électoral en mutation », Abdoulkarimou, responsable au ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation (Minatd) , les autorités admettent que les inscriptions sur les listes électorales sont le talon d'Achille du système électoral camerounais.

A l'origine selon elles cependant, « le vote n'est pas obligatoire au Cameroun, l'inscription sur les listes non plus. Celle-ci n'est pas automatique comme dans certains pays ayant couplé le fichier de l'état civil avec le fichier électoral ». Une évaluation faite par Abdoulkarimou établit que de 1976 à 1992, le nombre d'inscrits sur les listes électorales a stagné à trois millions en 16 ans. Or, entre cette période, la population camerounaise a pratiquement doublé, passant de 7,5 millions à 12 millions.

En 2007, lors des dernières élections législatives et municipales, pour une population d'un peu moins de 20 millions d' habitants, le nombre d'inscrits sur les listes électorales tournait autour de 5 millions, rapporte encore Abdoulkarimou pour qui, « en exagérant sur l'espoir d'une inscription plus enthousiasmée des électeurs potentiels, l'on pourrait s'attendre, tout au plus, à un nombre d'inscrits de 6.067.836, soit une hausse maximale d'un million d'inscrits lors de la prochaine élection ».

Depuis 1992, le Cameroun a organisé 10 consultations populaires dont trois présidentielles (1992, 1997 et 2004), quatre élections législatives (1992, 1997, 2002 et 2007) et trois élections municipales (1996, 2002 et 2007). Abdoulkarimou fait état d'une baisse de 102.623 inscrits en 1996-1997, contre une hausse de 904. 203 en 1997-2002 puis une autre baisse de 282.455 en 2002-2004 et une remontée de 409.988 nouveaux inscrits en 2004-2007.

« Certes, l'on n'a pas atteint les 100% de taux d'inscription sur les listes électorales au Cameroun, mais le pays n'a rien à envier aux grandes démocraties qui servent très souvent de base de comparaison », assène le fonctionnaire.

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