Décideurs politiques, hauts fonctionnaires, patrons, avocats, journalistes, hommes de culture... Ils incarnent la passerelle entre les deux rives de la Méditerranée. Une histoire d’amitié, de rivalités, de business et de petits secrets.
Comparaison n’est pas raison. Il y a six mois, J.A. publiait une longue enquĂŞte sur la rĂ©surgence des rĂ©seaux de la nĂ©o-Françafrique, soulignant Ă la fois leurs interconnexions multiples et leur centralisation, Ă Paris, entre les mains d’une poignĂ©e de dĂ©cideurs multicartes. Rien de tel au Maghreb. D’abord parce que la France n’a jamais eu de politique maghrĂ©bine au sens oĂą l’on parle de politique africaine, mais des politiques franco-marocaine, franco-ÂalgĂ©rienne, franco-tunisienne distinctes. Ensuite parce que les identitĂ©s (et parfois les rivalitĂ©s) sont Ă ce point marquĂ©es entre ces pays de la rive sud de la MĂ©diterranĂ©e qu’il est quasi impossible pour un lobbyiste, par exemple, de travailler avec plus d’un d’entre eux Ă la fois. Enfin parce que ces rĂ©seaux opèrent depuis toujours Ă fronts renversĂ©s : ils sont beaucoup plus des agents d’influence des rĂ©gimes maghrĂ©bins en France que des vecteurs de la politique française au Maghreb.
On ne trouvera donc, dans l’enquête qui suit, guère de passerelles parisiennes entre les cinq pays de la fantomatique Union du Maghreb arabe. Tout juste une appétence commune et de plus en plus envahissante pour le « business first ».
Ainsi le réseau franco-libyen se résume-t-il pratiquement à cela, tant il est vrai que le régime du colonel Kaddafi a toujours su mille fois mieux vendre ses appas financiers que son image de marque. Même chose, finalement, pour l’Algérie, le sécuritaire en plus. Par volonté politique, Alger n’a jamais voulu jouer de l’atout qu’auraient pu représenter en France les réseaux militants issus de la guerre de libération et encore moins de la communauté des pieds-noirs pour se constituer une clientèle d’influence dans l’Hexagone. Sauf en de courtes périodes de lune de miel – le début des années 1980, quand Claude Cheysson était ministre des Affaires étrangères, puis l’époque des cohabitations quand le couple Pasqua-Pandraud rêvait de « terroriser les terroristes » –, la relation algéro-française a toujours, au demeurant, évolué sous le signe des rendez-vous manqués.
Sous l’impulsion d’un roi, Hassan II, passé maître dans l’art de communiquer, le Maroc s’est par contre doté d’un réseau français au sens plein du terme dont son successeur Mohammed VI bénéficie largement, même si l’extraversion n’est pas sa caractéristique première. Ici, toutes les cartes sont utilisées, des juifs originaires du royaume à l’« effet Mamounia », du clan des Français nés (ou ayant vécu) au Maroc aux hommes d’affaires conviés à investir dans la « Californie du Maghreb », du lobby des retraités en quête de soleil à celui du showbiz amateur de riads à Marrakech. Les Français aiment être aimés, et, au Maroc, ils ont l’impression qu’ils le sont. D’où un modèle de séduction efficace qui, de Chirac à Sarkozy, n’a jamais laissé insensible l’Élysée. Et une recette dont s’est inspirée la Tunisie pour renouer, après l’accession au pouvoir du président Ben Ali, avec la communauté des Français qui ont vu le jour entre Bizerte et Djerba – en particulier avec sa communauté juive.
RĂŞve gaulliste
À ce tableau contrasté, il convient évidemment d’ajouter une touche essentielle : la présence en France d’une forte immigration, largement binationale, issue des pays du Maghreb. À son égard, les États d’origine ont toujours hésité entre une politique de séduction et une volonté de surveillance, mais il ne fait aucun doute qu’ils ont là à leur disposition de formidables réseaux d’influence, même si pour diverses raisons ils ne les utilisent qu’avec parcimonie. Si le rêve gaulliste d’une politique arabe de la France a vécu, Paris est toujours une capitale maghrébine…
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