Un télégramme diplomatique américain révélé par le site internet WikiLeaks alimente une vive polémique à Nouakchott. Au prix de quelques petits accommodements avec la réalité…
Nouakchott, dimanche 5 décembre. Quatre amis bavardent dans un salon autour d’un plateau encombré de verres d’eau minérale et de miettes de pain. Le petit-déjeuner se termine et la semaine commence (en Mauritanie, les deux jours de week-end sont le vendredi et le samedi). Il y a là notamment le conseiller d’un ministre, en costume, et un journaliste, en boubou.
La conversation porte sur Mohamed Ould Maouloud, le président de l’Union des forces de progrès (UFP), un parti d’opposition qui compte six députés à l’Assemblée nationale (sur 95). On parle fort, on s’indigne. Le conseiller : « Quand même, de la part de quelqu’un comme lui ! » Le journaliste : « S’il avait fait ça avec la Chine, on aurait pu comprendre ! »
La veille, le site mauritanien d’information Al-Akhbar et la chaîne qatarie Al-Jazira, très regardée en Mauritanie, ont rapporté le contenu d’un télégramme diplomatique américain diffusé par le site WikiLeaks. Il porte sur la Mauritanie et révèle une discussion du 14 avril 2009 entre Mohamed Ould Maouloud et le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis à Nouakchott, Dennis Hankins.
Lobbying contre Aziz
À l’époque, la Mauritanie est en pleine crise politique. Le général Mohamed Ould Abdelaziz, l’actuel président, a pris le pouvoir huit mois plus tôt par un coup d’État (le 6 août 2008). Il dirige la junte mais s’apprête à démissionner - ce qu’il fera le 16 avril - pour mieux revenir comme candidat à une élection présidentielle taillée sur mesure, à l'époque prévue le 6 juin 2009.
Mohamed Ould Maouloud, fervent militant communiste dans les années 1970 et 1980, qui a conservé ses accents anti-impérialistes, dénonce le putsch depuis le début.
Avec d’autres leaders politiques (comme Messaoud Ould Boulkheir, le président de l’Assemblée nationale), il fait partie d’un « Front » pour le retour de « Sidi » (Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi), le chef de l’État renversé. Le projet est irréalisable sans soutien diplomatique. Les membres de ce rassemblement voyagent, font du lobbying, communiquent. La France, après avoir condamné le putsch, a choisi le camp d’Aziz. Les États-Unis penchent plutôt pour celui du Front. Mais quels que soient leurs choix, les ambassadeurs à Nouakchott rencontrent tous les camps.
Au cours d’un rendez-vous au siège de l’UFP, le chargé d’affaires de l’ambassade américaine interroge Mohamed Ould Maouloud. Ce dernier explique qu’il a encore l’espoir de voir les plans d’« Aziz » s’écrouler. « Ould Maouloud dit que le Front voit la possibilité que certaines personnes qu’Aziz est en train de placer pour veiller à ses intérêts dans l’intervalle entre sa démission et son élection se retournent contre lui », rapporte Dennis Hankins dans son télégramme. Selon Mohamed Ould Maouloud, le numéro deux d’Aziz, le général Ould Ghazouani, pourrait faire partie de ces lâcheurs. Dennis Hankins demande alors à Ould Maouloud ce qu’il proposerait à Ould Ghazouani en échange de sa défection. Mohamed Ould Maouloud imagine d’en faire un « super ministre de la Défense ».
Accusations de trahison
Rien de tout cela ne s’est finalement produit mais depuis sa diffusion, le télégramme révélé par WikiLeaks fait parler dans les salons de Nouakchott. « Comploteur », « pro-américain », « traître »… Certains racontent même que Mohamed Ould Maouloud prévoyait un coup d’État avec Washington. « Quand même, de la part de quelqu’un comme lui ! Il incarne le combat contre l’impérialisme, alors, qu’il puisse aller dans les bras des Américains ! », m’explique, l’index tendu, le conseiller du ministre.
Qu’en pense Mohamed Ould Maouloud ? Rencontre le 6 décembre au siège de son parti. « Il n’y a rien d’embarrassant pour moi dans WikiLeaks », dit-il. Le président de l'UFP confirme le contenu de sa discussion avec Dennis Hankins telle que rapportée par le site. « Dennis Hankins venait régulièrement ici », poursuit-il en montrant un fauteuil à l’autre bout de son grand bureau. Mais les bavards sont ensuite allés vite en besogne. Dans les salons de Nouakchott, l’entretien au conditionnel avec un diplomate s’est transformé en complot de coup d’État. Une discussion avec un diplomate américain est devenue une alliance avec Washington.
Mohamed Ould Maouloud a hésité puis renoncé à faire une conférence de presse pour rectifier. « Inutile de faire une conférence de presse contre un paravent », dit-il. « Paravent » ? Il s’explique : « C’est le pouvoir qui est derrière cette déformation. » Quelles sont ses preuves ? « Je suis au courant », argumente-t-il. Et voilà que les déformations et amalgames entraînés par la diffusion des télégrammes diplomatiques deviennent le fruit de manigances ourdies en haut lieu.
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