Le mouvement islamiste Ennahda semblait se diriger lundi vers une nette victoire aux premières élections libres organisées la veille en Tunisie, selon des résultats préliminaires. Un scrutin historique qui a fortement mobilisé, le taux de participation dépassant les 90%.
Le scrutin de dimanche, qui intervient neuf mois après la chute le 14 janvier du régime autoritaire du président Zine el Abidine ben Ali, vise à élire une Assemblée constituante de 217 membres, chargée de désigner un gouvernement transitoire et de rédiger une nouvelle Constitution avant la tenue de futures élections.
Les résultats définitifs devraient être annoncés mardi après-midi, a déclaré Kamel Jendoubi, président de l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Mais on sait d'ores et déjà que la participation a été très élevée: plus de 90% des 4,1 millions d'électeurs (sur 6,5 millions de votants potentiels) se sont rendus aux urnes dimanche, selon le secrétaire général de l'ISIE, Boubaker Bethabet.
Favori du scrutin, Ennahda semblait se diriger vers une victoire nette: la radio tunisienne Mosaïque FM a diffusé lundi des résultats en provenance d'un certain nombre de bureaux de vote, dont beaucoup donnent le parti islamiste modéré largement en tête.
Le directeur de campagne d'Ennahda, Abdelhamid Jelassi, a déclaré que son parti avait recueilli près de 30% des voix. "Nous avons obtenu la première place à l'échelle nationale et au niveau des circonscriptions électorales", a-t-il affirmé. Le parti islamiste aurait également obtenu neuf des 18 sièges réservés à la communauté tunisienne à l'étranger.
De son côté, le Congrès pour la République (CPR) du militant des droits de l'Homme Moncef Marzouki, opposant au régime Ben Ali qui a vécu longtemps en exil en France, créerait la surprise: il serait en effet au coude à coude pour la deuxième place avec Ettakatol (le Forum démocratique pour le travail et les libertés, FDTL) du Dr Mustapha Ben Jaâfar.
Les résultats obtenus par le CPR et Ettakatol avoisineraient les 15%, selon leurs dirigeants. Bien que laïque, le CPR apparaît ouvert à l'idée de participer à une coalition avec Ennahda.
Autre surprise, l'effondrement du Parti démocratique progressiste (PDP), parti d'opposition légal le plus important sous l'ancien régime, donné initialement comme l'un des favoris du scrutin. Ce parti de centre gauche ambitionnait de damer le pion à Ennahda, se présentant en défenseur des valeurs laïques, mais n'arriverait qu'en quatrième position.
Le PDP a reconnu sa défaite. L'un de ses deux leaders, Maya Jribi, première femme à diriger un parti politique en Tunisie, a dit "s'incliner devant les résultats des urnes".
Ces premières élections dans un pays du "Printemps arabe" étaient encadrées par plus de 14.000 observateurs locaux et internationaux. Plus de 500 étrangers et 15 organisations étrangères ont participé au dispositif, dont une délégation du Conseil de l'Europe.
Les observateurs européens ont déclaré lundi que le scrutin s'était déroulé dans de bonnes conditions, appelant toutes les parties à accepter le verdict des urnes. "Il n'est pas possible de contester la légitimité des résultats, absolument pas", a insisté le député suisse Andreas Gross, chef de la mission d'observation du Conseil de l'Europe. "Nous appelons les principaux acteurs politiques à reconnaître les résultats des élections et à commencer rapidement les travaux de l'Assemblée nationale constituante".
De nombreux partis ont accusé Ennahda d'avoir violé les règles électorales, notamment en achetant des voix, mais les observateurs ont rejeté ces allégations. "Nous n'avons vu aucune preuve des allégations d'achat de votes", a souligné le parlementaire italien Riccardo Migliori.
Pour nombre d'intellectuels, d'artistes et de laïcs, Ennahda ("la renaissance") représente une réelle menace pour les libertés. Se réclamant du modèle de gouvernement modéré au pouvoir en Turquie, les dirigeants du parti islamiste ont cherché à rassurer, se disant attachés à un régime démocratique et affirmant ne pas vouloir remettre en question le Code du statut personnel (CSP) qui a aboli la polygamie et favorisé l'émancipation de la femme tunisienne.
"Durant la campagne, le parti islamiste s'est montré bien discipliné en disant qu'il protégera les droits de l'Homme, les droits des femmes et qu'il maintiendra l'égalité, mais en fait la question reste ouverte", estime Ricky Goldstein, un observateur des élections pour le compte de l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch.
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