20112011 Jeune afrique Après un long exil aux États-Unis, Abdurrahim el-Keib, un universitaire originaire de Tripoli, succède à Mahmoud Jibril au poste de chef du gouvernement.
Le 31 octobre, quelques heures avant l’expiration du mandat de l’Otan en Libye, les membres du Conseil national de transition (CNT) donnaient un successeur au Premier ministre Mahmoud Jibril, qui avait annoncé sa démission après la mort de Kaddafi. Le CNT a choisi au premier tour, par 26 voix sur 51, Abdurrahim el-Keib, un « anti-Jibril », comme le confie un proche collaborateur du bureau exécutif, tant son tempérament jovial et chaleureux contraste avec l’irritabilité du chef du gouvernement provisoire sortant. C’est lui qui a accueilli, en septembre, le président Mustapha Abdeljalil à son arrivée à Tripoli. Lors d’un entretien dans la capitale libyenne, ville dont il est originaire et qu’il représente au CNT, il nous confiait « avoir tout laissé pour rejoindre la rébellion ». Car cet ingénieur a longtemps vécu en exil.
En 1976, après avoir décroché sa licence à l’Université de Tripoli, Keib gagne les États-Unis. Il entre rapidement en contact avec l’opposition démocratique libyenne, un choix qui le condamne à quitter son pays. C’est au Maroc, pendant les vacances, qu’il doit organiser des rencontres avec sa famille. À l’Université de Caroline du Nord, Keib obtient un doctorat d’ingénierie électrique et y devient professeur, avant de déménager dans l’Alabama. Dans cet État du Sud, il s’implique dans la vie de la communauté musulmane et s’engage en faveur du dialogue interreligieux, notamment après le 11 Septembre. En 2005, il quitte les États-Unis pour les Émirats arabes unis, où il occupe un poste de direction au Petroleum Institute. Un pays qu’il connaît bien pour y avoir enseigné deux ans au sein de l’université américaine de Sharjah.
Universitaire sans lien avec l’ancien régime, celui qui a été élu par ses pairs du CNT a rapidement désigné comme « chargé d’affaires » son concurrent malheureux Ali Tarhouni, qui n’a recueilli que trois voix lors du vote. Ancien professeur d’économie de l’Université de Washington, ce dernier conserve provisoirement les portefeuilles des Finances et du Pétrole, qu’il détenait depuis la formation du CNT. Keib semble avoir profité de son assise locale à Tripoli et de la surreprésentation des hommes de Benghazi au sein du nouveau pouvoir. Mais c’est un homme de consensus, ouvert au dialogue avec toutes les parties. « Je parle à tout le monde et n’ai peur de personne, déclarait-il en septembre. Les islamistes sont présents, mais les Libyens sont tous très attachés à un islam modéré. »
Boute-en-train
Dans un pays où les partis politiques ont été interdits pendant les quarante-deux ans du règne brutal de Kaddafi, la culture du débat contradictoire et du pluralisme ne va pas de soi, mais Keib déclare y être très attaché. « Nous nous sommes unis contre Kaddafi, nous devons le rester pour construire un État de droit et élaborer une Constitution démocratique. » Les défis sont immenses pour Keib, qui ne se départ pas pour autant de son sens de l’humour. Auprès de ses camarades du CNT, il passe même pour un boute-en-train. Confronté, mercredi 9 novembre, à une manifestation de combattants rebelles réclamant des salaires, il trouve les mots justes pour les calmer.
Le Premier ministre promet de leur verser des indemnités après le déblocage des avoirs libyens à l’étranger. Face à la foule soudain assagie, il ajoute, sourire aux lèvres : « Je ne détiens pas le bâton de Moïse et je ne ferai pas de miracles. » S’il ajoute la compétence à l’autodérision, Abdurrahim el-Keib pourrait naviguer entre les écueils de la nouvelle Libye afin de restaurer l’ordre, reconstruire les villes détruites par la guerre, intégrer les combattants et commencer à les désarmer. Une feuille de route pour le moins chargée.
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