21112011 Slat.fr Le prĆ©sident sortant vient d'entamer un sixiĆØme mandat au Cameroun. Aujourd'hui, le pays est rĆ©solument tournĆ© vers l'avenir et pense Ć l'aprĆØs-Biya.
PreĢsenteĢe comme le vote de tous les dangers, lāeĢlection preĢsidentielle camerounaise sāest deĢrouleĢe le 9 octobre 2011 dans le calme malgreĢ quelques incidents isoleĢs. Sans surprise, elle a vu la reĢeĢlection au premier tour de Paul Biya avec 77,9% des suffrages face aĢ ses 23 adversaires. Une Ć©lection jouĆ©e d'avance
Sans surprise eĢgalement, la creĢdibiliteĢ du scrutin a eĢteĢ remise en question par lāopposition, ce aĢ quoi la Commission nationale eĢlectorale (Elecam) a reĢpondu quāaucun Ā«dysfonctionnement majeurĀ» nāa entacheĢ son deĢroulement. Le seul deĢveloppement inattendu aura eĢteĢ que la reĢeĢlection de Biya a eĢteĢ critiqueĢe par les deux puissances du Nord qui donnent le ton en ce moment en Afrique.
Rompant avec la tradition de leĢgitimation quasi-automatique des preĢceĢdents scrutins, les Etats Unis, mais surtout la France, principal soutien occidental du reĢgime de Biya, ont souligneĢ des Ā«irreĢgulariteĢs aĢ tous les niveauxĀ» ainsi que de Ā«nombreuses deĢfaillancesĀ».
Lāabsence de suspense du scrutin ne signifie pas que celui-ci eĢtait deĢnueĢ dāenjeux. Cette eĢlection devait servir aĢ veĢrifier si le Ā«modeĢle camerounaisĀ» preĢsenteĢ comme un pays stable doteĢ de lāun des systeĢmes politiques les plus efficaces du continent, a atteint un niveau de maturiteĢ aĢ meĢme de lui permettre dāamorcer sereinement le neĢcessaire virage vers lāapreĢs-Biya.
Bien que sa reĢeĢlection ait confirmeĢ le controĢle eĢtroit du systeĢme politique quāil a mis en place durant les 29 dernieĢres anneĢes passeĢes aĢ la teĢte du pays, Biya doit doreĢnavant composer avec deux facteurs majeurs: le temps et le contexte international. A 78 ans, il sait quāil nāest pas eĢternel et quāil lui faudra envisager la fin, quelle que soit par ailleurs la soliditeĢ de son emprise sur son systeĢme. Assurer ses arriĆØres
Le politicien expeĢrimenteĢ quāil est nāignore pas les limites de la rheĢtorique du Ā«moi ou le chaosĀ» mises en eĢvidence par les chutes spectaculaires de Ben Ali, Moubarak, Gbagbo et Kadhafi. Lāenjeu majeur du nouveau mandat du preĢsident sera celui de confirmer son habileteĢ en preĢparant un scheĢma clair de succession.
Biya saura-t-il eĢviter une crise de succession comme dāautres pays africains ont pu en vivre apreĢs la disparition de preĢsidents reĢgnant pendant des deĢcennies? La classe politique camerounaise, si prolixe lorsquāil sāagit de deĢfendre les vertus de son systeĢme, saura-t-elle discerner les potentiels risques dāimplosion qui le guettent? A ce titre, le scrutin apporte un deĢbut dāexplication aĢ tous ceux qui sāinterrogent sur lāabsence dāeĢcho du Ā«Printemps arabeĀ» en Afrique subsaharienne.Un systeĢme stable, mais marqueĢ par la rheĢtorique de la peur. Une campagne tendue
Les mois preĢceĢdents lāeĢlection ont eĢteĢ marqueĢs par une monteĢe de tensions inhabituelle. Sans que lāon sache exactement pourquoi, cette eĢlection eĢtait appreĢhendeĢe comme celle de tous les dangers. Aux sceĢnarios du pire esquisseĢs par un certain nombre dāactivistes de lāopposition ont reĢpondu des mises en garde du gouvernement aux Ā«fauteurs de troubles et leurs relais exteĢrieursĀ». Au sein des cercles dirigeants, une tension feinte ou reĢelle semblait reĢgner, lieĢe au faux suspense sur une nouvelle candidature de Biya qui laissait planer le doute.
Le deĢroulement de la campagne eĢlectorale et du scrutin ont deĢmenti le chaos annonceĢ et mis en lumieĢre les techniques de controĢle du pouvoir qui, associeĢes aĢ une offre politique meĢdiocre du coĢteĢ de lāopposition, expliquent lāabsence de souleĢvement populaire aĢ la tunisienne ou aĢ lāeĢgyptienne dans ce reĢgime de 29 ans.
NeĢanmoins, jusquāaĢ la proclamation des reĢsultats une certaine tension a continueĢ de reĢgner, tension reĢveĢlatrice des paradoxes dāun pays ouĢ la stabiliteĢ va de pair avec lāexistence de nombreux clivages visibles ou latents: ethniques entre Ā«nordistesĀ», BeĢtis et BamileĢkeĢs; linguistiques entre anglophones et francophones et reĢgionales entre le Centre-Sud et lāOuest. Cette premieĢre expeĢrience contestable dāElecam et la maiĢtrise totale du processus eĢlectoral par le pouvoir ont renforceĢ les crispations entre partisans et adversaires du preĢsident sortant. Une Ć©lection tenue par le pouvoir
DeĢs la nomination de ses membres en 2008 par Biya, Elecam a susciteĢ des doutes sur sa capaciteĢ aĢ conduire le processus eĢlectoral de facĢ§on politiquement impartiale et techniquement irreĢprochable.
Son preĢsident, Samuel Fonkam Azuāu, a eĢteĢ secreĢtaire geĢneĢral adjoint de lāassembleĢe nationale sous la bannieĢre du Rassemblement dĆ©mocratique du peuple camerounais (RDPC). MeĢme sāil a affirmeĢ par la suite avoir deĢmissionneĢ du parti, il nāa jamais su convaincre de sa neutraliteĢ. A la veille du scrutin, Pauline Biyong, une des membres du bureau central dāElecam a eĢteĢ reĢvoqueĢe apreĢs avoir eĢteĢ soupcĢ§onneĢe de mener campagne pour le candidat Biya.
Sa socieĢteĢ dāaffichage avait gagneĢ le marcheĢ des affiches du preĢsident sortant. Cette situation a reĢveĢleĢ le probleĢme de la creĢdibiliteĢ de lāinstitution. Par ailleurs, Elecam a eĢteĢ deĢposseĢdeĢe de ses principales preĢrogatives, une reĢforme adopteĢe en mai 2011 ayant reĢduit ses pouvoirs en matieĢre de proclamation des reĢsultats et de contentieux eĢlectoral au profit du ministeĢre de lāAdministration du territoire et de la Cour supreĢme ā deux institutions peu suspectes de prendre position contre le parti au pouvoir.Cette reĢforme a prouveĢ la volonteĢ du pouvoir de sāassurer un controĢle sans faille du processus eĢlectoral. Une opposition en berne
Les dysfonctionnements constateĢs au cours du scrutin ont entameĢ deĢfinitivement la creĢdibiliteĢ de lāensemble du processus eĢlectoral. Cette situation a conduit lāopposition aĢ introduire des recours en annulation totale qui nāavaient aucune chance dāaboutir tant la Cour supreĢme chargeĢ de se prononcer eĢtait verrouilleĢe par le pouvoir et lāorganisation dāun nouveau scrutin supposait la remise en cause de tout le meĢcanisme.
Biya a finalement gagneĢ sans avoir reĢellement eu besoin de livrer bataille, la marge de manÅuvre de ses opposants eĢtant reĢduite par leur impossibiliteĢ aĢ influer sur un processus controĢleĢ en amont et en aval. DeĢjaĢ affaiblis par cette emprise, ces meĢmes opposants ont compliqueĢ davantage leur impossible mission en sāaveĢrant incapables de proposer une strateĢgie commune.
Lāessentiel du deĢbat politique (ou plutoĢt son absence) a eĢteĢ marqueĢ par un face-aĢ-face distant entre un pouvoir assureĢ de maĆ®triser totalement la meĢcanique eĢlectorale et des activistes de la diaspora appelant aĢ des souleĢvements. Lāopposition traditionnelle repreĢsenteĢe par John Fru Ndi a joueĢ un roĢle de simple accompagnement avec parfois des prises de position aĢ contretemps de la strateĢgie coheĢrente attendue dāelle.
CantonneĢ dans son fief anglophone et son statut protocolaire Ā«dāopposant historiqueĀ», Fru Ndi en a deĢcourageĢ plus dāun au sein de son parti en sāaveĢrant incapable de deĢvelopper un discours rassembleur dressant le bilan neĢgatif du reĢgime.
Quant aux autres candidats, leurs scores insignifiants sāexpliquent par le fait que, nāeĢtant pas soutenus par des partis aĢ lāassise populaire forte, leur discours a uniquement consisteĢ aĢ vanter des qualiteĢs personnelles quāaucune veĢritable expeĢrience politique nāa permis de veĢrifier. Bref, du coĢteĢ de lāopposition, lāoffre politique eĢtait ā et cāest un eupheĢmisme ā peu attractive.
Le parti au pouvoir a su exploiter les craintes de la population inquieĢte de lāexplosion promise et de la possibiliteĢ que des crises violentes comme celles qui se deĢroulent dans certains pays africains nāaffectent le Cameroun. Le RDPC a deĢveloppeĢ un discours contradictoire consistant aĢ vanter la stabiliteĢ aĢ toute eĢpreuve du Cameroun incarneĢ par le Ā«rassembleur nationalĀ» tout en attisant la peur vis-aĢ-vis dāacteurs deĢstabilisateurs Ā«jaloux du modeĢle camerounaisĀ».
Ce faisant, le RDPC a deĢmontreĢ son incapaciteĢ aĢ deĢpasser le personnalisme politique comme si les enjeux futurs du pays tout entier se reĢsumaient aĢ la personne de Biya. Paradoxalement, il a aussi, sans le vouloir, mis en relief le caracteĢre relatif de la stabiliteĢ du Cameroun qui ne semble se poursuivre quāen raison de lāemprise de Biya sur lāappareil dāEtat.
Cette strateĢgie met en lumieĢre les faiblesses dāun Ā«modeĢleĀ» ouĢ les deĢbats de fonds comme la gouvernance, la question linguistique, les divisions ethniques, lāavenir du systeĢme politique et lāaccaparement de tous les leviers de deĢcisions par une eĢlite vieillissante, sont occulteĢs. Elle accroiĢt le sentiment que les mises en garde faites aux hypotheĢtiques fauteurs de troubles exteĢrieurs ne servent quāaĢ masquer le fait que le veĢritable danger du Cameroun pourrait surgir du Cameroun lui- meĢme. LāapreĢs-Biya: eĢternelle question taboue?
En septembre 2011, peu avant lāeĢlection preĢsidentielle, la reĢveĢlation par WikiLeaks dāun entretien entre un diplomate ameĢricain et le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, proche du preĢsident Biya, a leveĢ le voile sur les sceĢnarios possibles pour assurer une transition pacifique en cas de retrait de Paul Biya de la sceĢne politique.
Selon le reĢcit de cet entretien, Amadou Ali aurait admis quāune entente entre les eĢlites du Nord du pays (dont lui-meĢme fait partie) et celles du Centre-Sud (fief ethnique du preĢsident sortant) pourrait eĢtre envisageĢe pour eĢviter une implosion du reĢgime actuel et, par la meĢme occasion, empeĢcher les BamileĢkeĢs (groupe ethnique de lāouest numeĢriquement majoritaire dans le pays) de revendiquer le pouvoir supreĢme. Loin dāeĢtre neutraliseĢs par le reĢgne de Paul Biya, les deĢmons de la politique ethnique sont donc toujours au cÅur du reĢgime actuel.
Si jusquāaĢ preĢsent, Biya a reĢussi aĢ imposer le black-out sur sa succession, il ne peut empeĢcher quāelle soit dans tous les esprits, quāelle conditionne les strateĢgies politiques (notamment aĢ lāinteĢrieur du RDPC) et domine son mandat aĢ venir.
Avec un nouveau septennat qui portera aĢ trente- six ans la dureĢe de son reĢgne, le preĢsident aurait de plus en plus de mal aĢ reĢsister aux pressions reĢclamant de sa part, sinon son retrait, du moins, au minimum, de mettre en place un dispositif constitutionnel clair de succession. A ce titre, les reĢserves francĢ§aises et ameĢricaines sur le deĢroulement de lāeĢlection du 9 octobre sont un deĢbut dāavertissement.
Le dispositif constitutionnel actuel preĢvoit quāen cas de vacance du pouvoir, lāinteĢrim devrait eĢtre assureĢ par le preĢsident dāun seĢnat qui nāa jamais eĢteĢ mis en place. Biya a entretenu le flou quant aĢ lāavenir du systeĢme camerounais en cas de retrait volontaire ou forceĢ. Une telle situation laisse le champ libre aĢ tous les sceĢnarios.
Le preĢsident camerounais prend surtout le risque dāun pourrissement alors quāil a actuellement toutes les cartes pour eĢviter au Cameroun lāeĢvolution quāont connue certains pays dāAfrique ouĢ 20 ou 30 ans de reĢgne preĢsidentiel sans partage ont abouti aĢ une crise de succession parfois sanglante.
Comme Biya lāa lui-meĢme promis, son septennat sera celui des Ā«grandes reĢalisationsĀ». Pour assurer la continuation du deĢveloppement pacifique au Cameroun, il devrait neĢcessairement reĢformer un systeĢme aĢ bout de souffle qui nāa, de plus en plus, que la rheĢtorique de la stabiliteĢ comme argument face aĢ son incapaciteĢ aĢ relancer le deĢveloppement et aĢ rassurer les investisseurs.
Il devrait aussi et surtout tenir rapidement les engagements de son discours-programme dāinvestiture du 3 novembre 2011 en mettant en place les institutions preĢvues par la constitution de 1996 mais qui nāont toujours pas eĢteĢ creĢeĢes (le SeĢnat, le Conseil constitutionnel et les ReĢgions) et en reĢvisant compleĢtement le dispositif eĢlectoral actuel en vue des scrutins leĢgislatifs et municipaux de 2012 (Voir le rapport Afrique de Crisis Group NĀ°161, Cameroun, les dangers dāun reĢgime en pleine fracture, 24 juin 2010).
Les prochaines anneĢes sāannoncent deĢcisives quant aĢ la pertinence de Ā«lāexception camerounaiseĀ». Biya a certes eĢteĢ reĢeĢlu Ā«dans un fauteuilĀ» mais son mandat risque dāeĢtre deĢcisif pour lāavenir du Cameroun.
Saad Adoum d'international Crisis group
|