Cameroun : PrĆ©parer le Cameroun Ć  l'aprĆØs-Biya pour une stabilitĆ© durable
le 21/11/2011 11:18:30
Cameroun

21112011
Slat.fr
Le prĆ©sident sortant vient d'entamer un sixiĆØme mandat au Cameroun. Aujourd'hui, le pays est rĆ©solument tournĆ© vers l'avenir et pense Ć  l'aprĆØs-Biya.

PreĢsenteĢe comme le vote de tous les dangers, lā€™eĢlection preĢsidentielle camerounaise sā€™est deĢrouleĢe le 9 octobre 2011 dans le calme malgreĢ quelques incidents isoleĢs. Sans surprise, elle a vu la reĢeĢlection au premier tour de Paul Biya avec 77,9% des suffrages face aĢ€ ses 23 adversaires.
Une Ʃlection jouƩe d'avance

Sans surprise eĢgalement, la creĢdibiliteĢ du scrutin a eĢteĢ remise en question par lā€™opposition, ce aĢ€ quoi la Commission nationale eĢlectorale (Elecam) a reĢpondu quā€™aucun Ā«dysfonctionnement majeurĀ» nā€™a entacheĢ son deĢroulement. Le seul deĢveloppement inattendu aura eĢteĢ que la reĢeĢlection de Biya a eĢteĢ critiqueĢe par les deux puissances du Nord qui donnent le ton en ce moment en Afrique.

Rompant avec la tradition de leĢgitimation quasi-automatique des preĢceĢdents scrutins, les Etats Unis, mais surtout la France, principal soutien occidental du reĢgime de Biya, ont souligneĢ des Ā«irreĢgulariteĢs aĢ€ tous les niveauxĀ» ainsi que de Ā«nombreuses deĢfaillancesĀ».

Lā€™absence de suspense du scrutin ne signifie pas que celui-ci eĢtait deĢnueĢ dā€™enjeux. Cette eĢlection devait servir aĢ€ veĢrifier si le Ā«modeĢ€le camerounaisĀ» preĢsenteĢ comme un pays stable doteĢ de lā€™un des systeĢ€mes politiques les plus efficaces du continent, a atteint un niveau de maturiteĢ aĢ€ meĢ‚me de lui permettre dā€™amorcer sereinement le neĢcessaire virage vers lā€™apreĢ€s-Biya.

Bien que sa reĢeĢlection ait confirmeĢ le controĢ‚le eĢtroit du systeĢ€me politique quā€™il a mis en place durant les 29 dernieĢ€res anneĢes passeĢes aĢ€ la teĢ‚te du pays, Biya doit doreĢnavant composer avec deux facteurs majeurs: le temps et le contexte international. A 78 ans, il sait quā€™il nā€™est pas eĢternel et quā€™il lui faudra envisager la fin, quelle que soit par ailleurs la soliditeĢ de son emprise sur son systeĢ€me.
Assurer ses arriĆØres

Le politicien expeĢrimenteĢ quā€™il est nā€™ignore pas les limites de la rheĢtorique du Ā«moi ou le chaosĀ» mises en eĢvidence par les chutes spectaculaires de Ben Ali, Moubarak, Gbagbo et Kadhafi. Lā€™enjeu majeur du nouveau mandat du preĢsident sera celui de confirmer son habileteĢ en preĢparant un scheĢma clair de succession.

Biya saura-t-il eĢviter une crise de succession comme dā€™autres pays africains ont pu en vivre apreĢ€s la disparition de preĢsidents reĢgnant pendant des deĢcennies? La classe politique camerounaise, si prolixe lorsquā€™il sā€™agit de deĢfendre les vertus de son systeĢ€me, saura-t-elle discerner les potentiels risques dā€™implosion qui le guettent? A ce titre, le scrutin apporte un deĢbut dā€™explication aĢ€ tous ceux qui sā€™interrogent sur lā€™absence dā€™eĢcho du Ā«Printemps arabeĀ» en Afrique subsaharienne.Un systeĢ€me stable, mais marqueĢ par la rheĢtorique de la peur.
Une campagne tendue

Les mois preĢceĢdents lā€™eĢlection ont eĢteĢ marqueĢs par une monteĢe de tensions inhabituelle. Sans que lā€™on sache exactement pourquoi, cette eĢlection eĢtait appreĢhendeĢe comme celle de tous les dangers. Aux sceĢnarios du pire esquisseĢs par un certain nombre dā€™activistes de lā€™opposition ont reĢpondu des mises en garde du gouvernement aux Ā«fauteurs de troubles et leurs relais exteĢrieursĀ». Au sein des cercles dirigeants, une tension feinte ou reĢelle semblait reĢgner, lieĢe au faux suspense sur une nouvelle candidature de Biya qui laissait planer le doute.

Le deĢroulement de la campagne eĢlectorale et du scrutin ont deĢmenti le chaos annonceĢ et mis en lumieĢ€re les techniques de controĢ‚le du pouvoir qui, associeĢes aĢ€ une offre politique meĢdiocre du coĢ‚teĢ de lā€™opposition, expliquent lā€™absence de souleĢ€vement populaire aĢ€ la tunisienne ou aĢ€ lā€™eĢgyptienne dans ce reĢgime de 29 ans.

NeĢanmoins, jusquā€™aĢ€ la proclamation des reĢsultats une certaine tension a continueĢ de reĢgner, tension reĢveĢlatrice des paradoxes dā€™un pays ouĢ€ la stabiliteĢ va de pair avec lā€™existence de nombreux clivages visibles ou latents: ethniques entre Ā«nordistesĀ», BeĢtis et BamileĢkeĢs; linguistiques entre anglophones et francophones et reĢgionales entre le Centre-Sud et lā€™Ouest. Cette premieĢ€re expeĢrience contestable dā€™Elecam et la maiĢ‚trise totale du processus eĢlectoral par le pouvoir ont renforceĢ les crispations entre partisans et adversaires du preĢsident sortant.
Une Ć©lection tenue par le pouvoir

DeĢ€s la nomination de ses membres en 2008 par Biya, Elecam a susciteĢ des doutes sur sa capaciteĢ aĢ€ conduire le processus eĢlectoral de facĢ§on politiquement impartiale et techniquement irreĢprochable.

Son preĢsident, Samuel Fonkam Azuā€™u, a eĢteĢ secreĢtaire geĢneĢral adjoint de lā€™assembleĢe nationale sous la bannieĢ€re du Rassemblement dĆ©mocratique du peuple camerounais (RDPC). MeĢ‚me sā€™il a affirmeĢ par la suite avoir deĢmissionneĢ du parti, il nā€™a jamais su convaincre de sa neutraliteĢ. A la veille du scrutin, Pauline Biyong, une des membres du bureau central dā€™Elecam a eĢteĢ reĢvoqueĢe apreĢ€s avoir eĢteĢ soupcĢ§onneĢe de mener campagne pour le candidat Biya.

Sa socieĢteĢ dā€™affichage avait gagneĢ le marcheĢ des affiches du preĢsident sortant. Cette situation a reĢveĢleĢ le probleĢ€me de la creĢdibiliteĢ de lā€™institution. Par ailleurs, Elecam a eĢteĢ deĢposseĢdeĢe de ses principales preĢrogatives, une reĢforme adopteĢe en mai 2011 ayant reĢduit ses pouvoirs en matieĢ€re de proclamation des reĢsultats et de contentieux eĢlectoral au profit du ministeĢ€re de lā€™Administration du territoire et de la Cour supreĢ‚me ā€“ deux institutions peu suspectes de prendre position contre le parti au pouvoir.Cette reĢforme a prouveĢ la volonteĢ du pouvoir de sā€™assurer un controĢ‚le sans faille du processus eĢlectoral.
Une opposition en berne

Les dysfonctionnements constateĢs au cours du scrutin ont entameĢ deĢfinitivement la creĢdibiliteĢ de lā€™ensemble du processus eĢlectoral. Cette situation a conduit lā€™opposition aĢ€ introduire des recours en annulation totale qui nā€™avaient aucune chance dā€™aboutir tant la Cour supreĢ‚me chargeĢ de se prononcer eĢtait verrouilleĢe par le pouvoir et lā€™organisation dā€™un nouveau scrutin supposait la remise en cause de tout le meĢcanisme.

Biya a finalement gagneĢ sans avoir reĢellement eu besoin de livrer bataille, la marge de manœuvre de ses opposants eĢtant reĢduite par leur impossibiliteĢ aĢ€ influer sur un processus controĢ‚leĢ en amont et en aval. DeĢjaĢ€ affaiblis par cette emprise, ces meĢ‚mes opposants ont compliqueĢ davantage leur impossible mission en sā€™aveĢrant incapables de proposer une strateĢgie commune.

Lā€™essentiel du deĢbat politique (ou plutoĢ‚t son absence) a eĢteĢ marqueĢ par un face-aĢ€-face distant entre un pouvoir assureĢ de maĆ®triser totalement la meĢcanique eĢlectorale et des activistes de la diaspora appelant aĢ€ des souleĢ€vements. Lā€™opposition traditionnelle repreĢsenteĢe par John Fru Ndi a joueĢ un roĢ‚le de simple accompagnement avec parfois des prises de position aĢ€ contretemps de la strateĢgie coheĢrente attendue dā€™elle.

CantonneĢ dans son fief anglophone et son statut protocolaire Ā«dā€™opposant historiqueĀ», Fru Ndi en a deĢcourageĢ plus dā€™un au sein de son parti en sā€™aveĢrant incapable de deĢvelopper un discours rassembleur dressant le bilan neĢgatif du reĢgime.

Quant aux autres candidats, leurs scores insignifiants sā€™expliquent par le fait que, nā€™eĢtant pas soutenus par des partis aĢ€ lā€™assise populaire forte, leur discours a uniquement consisteĢ aĢ€ vanter des qualiteĢs personnelles quā€™aucune veĢritable expeĢrience politique nā€™a permis de veĢrifier. Bref, du coĢ‚teĢ de lā€™opposition, lā€™offre politique eĢtait ā€“ et cā€™est un eupheĢmisme ā€“ peu attractive.

Le parti au pouvoir a su exploiter les craintes de la population inquieĢ€te de lā€™explosion promise et de la possibiliteĢ que des crises violentes comme celles qui se deĢroulent dans certains pays africains nā€™affectent le Cameroun. Le RDPC a deĢveloppeĢ un discours contradictoire consistant aĢ€ vanter la stabiliteĢ aĢ€ toute eĢpreuve du Cameroun incarneĢ par le Ā«rassembleur nationalĀ» tout en attisant la peur vis-aĢ€-vis dā€™acteurs deĢstabilisateurs Ā«jaloux du modeĢ€le camerounaisĀ».

Ce faisant, le RDPC a deĢmontreĢ son incapaciteĢ aĢ€ deĢpasser le personnalisme politique comme si les enjeux futurs du pays tout entier se reĢsumaient aĢ€ la personne de Biya. Paradoxalement, il a aussi, sans le vouloir, mis en relief le caracteĢ€re relatif de la stabiliteĢ du Cameroun qui ne semble se poursuivre quā€™en raison de lā€™emprise de Biya sur lā€™appareil dā€™Etat.

Cette strateĢgie met en lumieĢ€re les faiblesses dā€™un Ā«modeĢ€leĀ» ouĢ€ les deĢbats de fonds comme la gouvernance, la question linguistique, les divisions ethniques, lā€™avenir du systeĢ€me politique et lā€™accaparement de tous les leviers de deĢcisions par une eĢlite vieillissante, sont occulteĢs. Elle accroiĢ‚t le sentiment que les mises en garde faites aux hypotheĢtiques fauteurs de troubles exteĢrieurs ne servent quā€™aĢ€ masquer le fait que le veĢritable danger du Cameroun pourrait surgir du Cameroun lui- meĢ‚me.
Lā€™apreĢ€s-Biya: eĢternelle question taboue?

En septembre 2011, peu avant lā€™eĢlection preĢsidentielle, la reĢveĢlation par WikiLeaks dā€™un entretien entre un diplomate ameĢricain et le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, proche du preĢsident Biya, a leveĢ le voile sur les sceĢnarios possibles pour assurer une transition pacifique en cas de retrait de Paul Biya de la sceĢ€ne politique.

Selon le reĢcit de cet entretien, Amadou Ali aurait admis quā€™une entente entre les eĢlites du Nord du pays (dont lui-meĢ‚me fait partie) et celles du Centre-Sud (fief ethnique du preĢsident sortant) pourrait eĢ‚tre envisageĢe pour eĢviter une implosion du reĢgime actuel et, par la meĢ‚me occasion, empeĢ‚cher les BamileĢkeĢs (groupe ethnique de lā€™ouest numeĢriquement majoritaire dans le pays) de revendiquer le pouvoir supreĢ‚me. Loin dā€™eĢ‚tre neutraliseĢs par le reĢ€gne de Paul Biya, les deĢmons de la politique ethnique sont donc toujours au cœur du reĢgime actuel.

Si jusquā€™aĢ€ preĢsent, Biya a reĢussi aĢ€ imposer le black-out sur sa succession, il ne peut empeĢ‚cher quā€™elle soit dans tous les esprits, quā€™elle conditionne les strateĢgies politiques (notamment aĢ€ lā€™inteĢrieur du RDPC) et domine son mandat aĢ€ venir.

Avec un nouveau septennat qui portera aĢ€ trente- six ans la dureĢe de son reĢ€gne, le preĢsident aurait de plus en plus de mal aĢ€ reĢsister aux pressions reĢclamant de sa part, sinon son retrait, du moins, au minimum, de mettre en place un dispositif constitutionnel clair de succession. A ce titre, les reĢserves francĢ§aises et ameĢricaines sur le deĢroulement de lā€™eĢlection du 9 octobre sont un deĢbut dā€™avertissement.

Le dispositif constitutionnel actuel preĢvoit quā€™en cas de vacance du pouvoir, lā€™inteĢrim devrait eĢ‚tre assureĢ par le preĢsident dā€™un seĢnat qui nā€™a jamais eĢteĢ mis en place. Biya a entretenu le flou quant aĢ€ lā€™avenir du systeĢ€me camerounais en cas de retrait volontaire ou forceĢ. Une telle situation laisse le champ libre aĢ€ tous les sceĢnarios.

Le preĢsident camerounais prend surtout le risque dā€™un pourrissement alors quā€™il a actuellement toutes les cartes pour eĢviter au Cameroun lā€™eĢvolution quā€™ont connue certains pays dā€™Afrique ouĢ€ 20 ou 30 ans de reĢ€gne preĢsidentiel sans partage ont abouti aĢ€ une crise de succession parfois sanglante.

Comme Biya lā€™a lui-meĢ‚me promis, son septennat sera celui des Ā«grandes reĢalisationsĀ». Pour assurer la continuation du deĢveloppement pacifique au Cameroun, il devrait neĢcessairement reĢformer un systeĢ€me aĢ€ bout de souffle qui nā€™a, de plus en plus, que la rheĢtorique de la stabiliteĢ comme argument face aĢ€ son incapaciteĢ aĢ€ relancer le deĢveloppement et aĢ€ rassurer les investisseurs.

Il devrait aussi et surtout tenir rapidement les engagements de son discours-programme dā€™investiture du 3 novembre 2011 en mettant en place les institutions preĢvues par la constitution de 1996 mais qui nā€™ont toujours pas eĢteĢ creĢeĢes (le SeĢnat, le Conseil constitutionnel et les ReĢgions) et en reĢvisant compleĢ€tement le dispositif eĢlectoral actuel en vue des scrutins leĢgislatifs et municipaux de 2012 (Voir le rapport Afrique de Crisis Group NĀ°161, Cameroun, les dangers dā€™un reĢgime en pleine fracture, 24 juin 2010).

Les prochaines anneĢes sā€™annoncent deĢcisives quant aĢ€ la pertinence de Ā«lā€™exception camerounaiseĀ». Biya a certes eĢteĢ reĢeĢlu Ā«dans un fauteuilĀ» mais son mandat risque dā€™eĢ‚tre deĢcisif pour lā€™avenir du Cameroun.

Saad Adoum d'international Crisis group

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