30112011 Jeune afrique "C'était pas ça le but de la révolution" soupire, consternée, une étudiante tunisienne en observant mardi les jeunes barbus et les filles en niqab qui crient "Allahou Akbar" sous les fenêtres du doyen de la Faculté des lettres de La Manouba.
Les jeunes manifestants sont lĂ , pour certains, depuis la veille. Ils sont quelques centaines. Barbes, kamis (tunique), calotte et pantalons Ă mi-mollet pour la plupart des hommes.
Filles voilées, gantées, certaines recouvertes du niqab, le voile islamique intégral qui dissimule corps et visage.
Ils ont pris possession du bâtiment de la direction de la Faculté, située à 25 km à l'ouest de Tunis. Au premier étage, les filles répondent à la presse, au rez-de-chaussée les garçons filtrent les entrées.
"On a deux revendications: une salle de prières dans l'enceinte de la fac et le droit pour les filles en niqab de passer leurs examens et d'assister au cours", énumère Anis Rezgui, un étudiant de première année.
La suppression de la mixité, la fermeture de la buvette ? "c'est faux, personne n'a jamais réclamé ça", dit-il. Des liens avec la mouvance salafiste, dont le parti Hizb Tahrir n'est pas autorisé en Tunisie? "C'est n'importe quoi, ce terme de salafistes. On est tous des musulmans, c'est tout".
A l'étage, Imen Melki, petite silhouette noire sans visage, explique qu'elle porte le niqab depuis février. "Je l'ai mis après la révolution, par conviction religieuse", insiste-t-elle. Etudiante à l'Ecole supérieure de commerce, elle est venue "soutenir ses soeurs" de la Manouba.
Deux responsables du parti islamiste Ennahda, dont un élu de l'Assemblée constituante, observent, un peu perdus au milieu de la confusion. "Nous cherchons à résoudre le problème, à réconcilier tout le monde. Sur le principe, on n'est pas contre les étudiantes en niqab, mais cela ne doit pas représenter un danger pour l'université", déclare prudemment Tarek Torjmen.
Ennahda, vainqueur des élections du 23 octobre et premier parti de l'Assemblée, souvent accusé d'entretenir l'ambiguité dans ses relations avec les salafistes, ne s'est pas prononcé sur les incidents de la Manouba. Pas plus que ses deux partenaires, les partis de gauche CPR et Ettakatol.
"On aimerait bien avoir le point de vue des politiques sur ce qui se passe!" s'indigne Mariem Filali, étudiante de la faculté. Pour elle, pas de doute, les manifestants ne sont pas des étudiants du campus et les troubles n'ont rien de spontané.
A quelques mètres, professeurs et représentants syndicaux universitaires, réunis en assemblée générale, votent le principe d'une grève jeudi pour protester contre l'incident et les revendications des manifestants.
"C'est de la foutaise, c'est ridicule. Ces manifestants, personne ne les connaît et ils profitent du vide politique que la Tunisie connaît actuellement", s'énerve Abdennebi Benbeya, un prof d'anglais.
"On parle de manipulation, de tentative de diversion pour faire dérailler les travaux de l'Assemblée, mais qu'en sait-on ? Tout est flou, on devient parano", soupire-t-il.
Des incidents similaires ont eu lieu au cours des dernières semaines en Tunisie. Début octobre, des salafistes avaient envahi la Faculté des lettres de Sousse (est) pour une autre histoire de niqab. En novembre, des étudiants ont tenté d'imposer la non-mixité à la cantine scolaire de l'université de Gabès (sud).
"Ce qui se passe, c'est que beaucoup de choses refoulées, les bonnes comme les mauvaises, ressortent depuis la révolution. On a des extrémistes, des manipulateurs, des gens qui font l'apprentissage de la démocratie. . . Le tout sur fond de vacance du pouvoir. Tout ça n'est pas très surprenant", observe Tahar Chikraoui, professeur d'histoire et de critique de cinéma.
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