Tunisie : Au premier jour de la «révolution du jasmin»
le 20/12/2011 09:31:45
Tunisie

20122011
le figaro.fr
REPORTAGE - En Tunisie, des milliers de Tunisiens ont commémoré la mort de Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid.



De notre envoyé spécial à Sidi Bouzid.

Des dizaines de milliers de Tunisiens se sont rassemblés samedi à Sidi Bouzid, dans le centre du pays, pour commémorer l'an I de la «révolution du jasmin», à l'origine d'une année de bouleversements dans le monde arabe. Le 17 décembre 2010, Mohammed Bouazizi, un marchand ambulant de fruits et légumes, s'était immolé par le feu pour dénoncer le harcèlement policier dont il faisait l'objet. Ce qui aurait pu rester un fait divers a été l'élément déclencheur d'une révolution, car le centre de la Tunisie souffrait de la pauvreté, du chômage, de la corruption et de la répression. Un an plus tard, Sidi Bouzid constate que la démocratie a trouvé sa place en Tunisie mais qu'elle n'a amené ni prospérité ni emplois. Depuis que Mohammed Bouazizi s'est immolé par le feu, le taux de chômage est passé de 13 à 18,3%, selon la banque centrale tunisienne. Chez les jeunes, il est bien plus élevé. Le taux de croissance, qui était de 3% du produit intérieur brut en 2010, a chuté à 0,2% en 2011. Bien qu'il devrait rebondir, selon le gouvernement, à 4,5% en 2012, les tensions sociales restent vives. Ces dernières semaines, des émeutes ont eu lieu dans plusieurs villes, notamment à Sidi Bouzid.
Un mémorial

À l'image des villes de l'intérieur du pays, Sidi Bouzid avait été abandonnée au profit des villes côtières. Qui importaient plus au président déchu que les localités isolées. Afin d'éviter les révoltes, Ben Ali avait imposé la présence de 700 cellules du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) au sein de la ville. En privilégiant une politique sécuritaire, le dictateur avait sous-estimé la fierté d'une population livrée à elle-même. Taux de chômage record, industries inexistantes, les investisseurs avaient déserté la ville depuis longtemps. Dès lors, deux solutions s'offraient aux jeunes: l'exode vers les villes côtières et la capitale, ou la traversée de la Méditerranée pour tenter de rejoindre l'eldorado européen. Comme des milliers de clandestins, Saadik, 26 ans, a vite déchanté. Il a atteint l'île italienne de Lampedusa dans l'espoir de trouver un travail, une dignité. Quinze jours plus tard, c'était le retour à la case départ.

Ce week-end, les habitants de Sidi Bouzid se sont donc rassemblés pour honorer les jeunes tombés sous les balles de l'ancien régime. La commémoration du geste désespéré de Mohammed Bouazizi a débuté vendredi à minuit avec un spectacle de bougies scintillantes et de feux d'artifice.
Les rues bondées

Elle a ensuite été marquée par l'inauguration d'un mémorial, une stèle en marbre élevée dans le centre de Sidi Bouzid représentant la brouette du vendeur ambulant avec, à ses côtés, des fauteuils vides renversés symbolisant les dictateurs détrônés. La nouvelle direction politique issue des élections d'octobre dernier avait tenu à s'associer aux festivités. À sa tête, le président de l'Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaafar, et un grand nombre des membres de cette institution, le chef de l'État, Moncef Marzouki, et le chef du gouvernement, Hamadi Jebali. «Sidi Bouzid, qui a souffert d'être marginalisée, a rendu leur dignité aux Tunisiens. Nous nous sommes engagés à rendre leur joie de vivre à ces régions», a promis Moncef Marzouki. Manoubia Bouazizi, la mère de Mohammed, s'est fait le porte-voix des déçus de la révolution: «(Mon fils) s'est immolé pour offrir la liberté à la Tunisie et au monde arabe. (…) Je demande aux responsables gouvernementaux de se soucier des régions pauvres et de donner des emplois aux jeunes.»

Des dizaines de milliers de personnes avaient afflué au centre de la ville. Les rues, les toits et les terrasses étaient bondés. Des jeunes grimpaient aux arbres pour mieux apprécier le spectacle. Salafistes, nationalistes du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT) et militants d'Al-Aridha al-Chaabia, parti du millionnaire londonien Hechmi Hamdi, l'enfant du pays, ont rendu hommage à leurs martyrs. Les salafistes se sont faits de plus en plus visibles. Leur guide spirituel, qui réside dans une petite commune située à une vingtaine de kilomètres de Sidi Bouzid et qui se montre rarement en public, était à Gafsa la veille pour une lecture coranique. Les militants du PCOT, eux, campent devant le gouvernorat depuis plus d'un mois, espérant faire entendre leurs revendications. La commémoration doit se poursuivre pendant trois jours dans le cadre du Festival international de Sidi Bouzid.

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