712012 Jeune afrique Absente depuis 2002 des rues de Bouake, la police ivoirienne est de retour. Un événement qui doit favoriser la réunification du pays. Reportage.
Il est 9 heures du matin, ce 29 décembre. Au rond point de la pharmacie du Commerce en plein centre ville de Bouaké, un policier ivoirien des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS, présentées comme pro-Gbagbo), casquette vissée sur la tête, treillis noir taillé sur mesure et galon propre à l’épaule, règle fermement la circulation, sifflet à la bouche. La scène paraîtrait banale dans n’importe quelle ville du sud de la Côte d’Ivoire, restée en zone gouvernementale lors du conflit militaro-politique.
À Bouaké, ancien quartier général de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), les enfants de dix ans n’avaient jamais vu de « vrai policier », comme on dit dans cette ville. Leur seule présence dans les rues relève donc de l’événement. Depuis septembre 2002, aucun policier n’avait remis les pieds à Bouaké et dans les villes de l’ex-zone Centre-Nord-Ouest (CNO, contrôlée par l’ex-rébellion), sauf à certaines occasions comme lors du lancement de la « Flamme de la paix » censée marquer la fin du conflit, après la signature de l’accord politique de Ouagadougou, en 2007.
Symbole de réunification
Le retour des policiers à Bouaké, et dans les villes du nord en général, est le symbole achevé de la réunification du pays, le processus final du retour de l’administration publique dans les ex-zones de la rébellion. Les policiers, gendarmes, militaires, douaniers, agents des eaux et forêts redéployés dans les villes du nord, sont arrivés pour la plupart à la veille des législatives du 11 décembre.
La plupart d’entre eux ont été affectés par leurs supérieurs hiérarchiques (issus des ex-Forces armées des Forces nouvelles ou des ex-FDS), tous présents à leur poste pour participer à la sécurisation des élections. « Cela s’est bien passé, j’avais un peu peur au début, mais je commence à me sentir à l’aise. Ce n’est pas ce que je croyais », témoigne un sergent chef, ex-membre de la très gbagboiste Brigade anti-émeute (BAE) de Yopougon.
Il est entré dans la police en 2001. Son entrée au sein du corps de la police a été facilitée par le premier ministre de l’Intérieur de Laurent Gbagbo, Me Emile Boga Doudou, tué par les ex-rebelles lors de la prise ratée d’Abidjan, le 19 septembre 2002. Pendant longtemps, ce policier issu de l’ethnie dida, cousine des Bétés de Laurent Gbagbo, a bu sans ménagement les phrases assassines de Charles Blé Goudé, lors de ses messes patriotiques à Abidjan, et s’était mis dans la tête que le nord, c’était l’enfer, et ses rebelles des « buveurs de sang, des éventreurs de femmes enceintes ».
Mauvaise réputation
En général, la population dioula (ethnie d’Alassane Ouattara) de Bouaké, longtemps hostile aux ex-FDS (du fait aussi d’une campagne de propagande rondement menée par les FN) apprécie la présence de « vrais policiers » dans les rues de Bouaké. Dans l’ex-capitale de la rébellion, les soldats des ex-FAFN et certains de leurs comzones n’ont pas bonne réputation. C’est l’ironie de l’histoire : en termes de racket des civils, d’impunité et de violations des droits humains, ces derniers ont parfois fait bien pire que les ex-FDS dont les exactions les avaient poussés, entre autres choses et selon eux, à prendre les armes.
« J’ai été très contente de voir à nouveau les policiers, indique Fanta, une commerçante de poisson au marché nouvellement rasé par les services d’Anne Désirée Ouloto, ministre de la Salubrité urbaine. Ils me rassurent. Je souhaite qu’ils aient les moyens d’assurer notre sécurité ». Des moyens ?
C’est bien le talon d’Achille des agents des forces de l’ordre et de sécurité, nouvellement affectés dans le nord du pays. La plupart d’entre eux sont sans armes, travaillent dans des commissariats délabrés et manquent de logements décents. « Ce n’est pas trop grave. Cela va s’arranger », répond avec optimisme le sergent-chef jadis pro-Gbagbo. Une page est vraiment tournée en Côte d’Ivoire.
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Par André Silver Konan, envoyé spécial à Bouaké
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