Afrique : L'Afrique confrontée à ses limites écologiques
le 10/06/2012 10:49:41
Afrique

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IRIB
Sur les hauts plateaux du nord de la Tanzanie, entre les contreforts du Kilimandjaro et le lac Victoria, l'Afrique offre ses plus belles Ă©tendues de savane.



Sanctuaire d'une faune sauvage qui alimente l'image immuable d'un continent où une nature préservée garderait toute sa place. Le cliché ne vaut pourtant que pour les dépliants touristiques et c'est une tout autre réalité qui s'est invitée dans les assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), entre un bulletin économique plutôt flatteur pour la région, quelques leçons tirées des "printemps arabes" et le constat de blocages persistants sur la voie du développement.

A Arusha, devant une assemblée de banquiers et de ministres des finances, le président de la BAD, Donald Kaberuka, s'est livré à un délicat et inhabituel exercice: parler de croissance verte et d'une sobre utilisation des ressources naturelles, au moment où les prix élevés sur les marchés internationaux et des découvertes inattendues de nouveaux gisements de minerais et d'hydrocarbures ont redonné aux dirigeants la fièvre des matières premières. "Il faut que les Africains rejoignent cet objectif, pas simplement parce que c'est la volonté de leurs bailleurs, mais parce qu'il est de notre responsabilité de protéger nos écosystèmes", a-t-il exhorté.

Pour la BAD, l'Afrique a encore le choix. Entre un développement "à la chinoise" dont la facture environnementale et sanitaire, après trente ans de croissance rapide, est très lourde. Ou un développement qui n'hypothèque pas l'immensité de ses ressources naturelles. "C'est la première fois que nous présentons cette idée et il est clair qu'elle soulève une certaine résistance, admet Simon Mizrahi, l'un des directeurs de l'institution. Pour les pays africains, les problèmes écologiques restent avant tout des problèmes du Nord et la croissance verte est souvent perçue comme un moyen de mettre des freins à leur quête de prospérité."

La BAD ne s'est cependant pas lancée dans la bataille sans s'armer de quelques munitions. A Arusha, en partenariat avec le Fonds mondial pour la nature (WWF), le premier rapport sur l'empreinte écologique de l'Afrique a été présenté. Il montre que si chaque Africain consomme en moyenne deux fois moins de "capital naturel" que la moyenne mondiale par habitant, la dégradation de l'environnement met en péril les efforts de lutte contre la pauvreté en faveur d'une population qui continue de croître très rapidement.

'INFRASTRUCTURES VERTES"

"L'Afrique n'est pas sur la bonne voie", a constaté Jim Leape, le directeur général du WWF. L'empreinte écologique se mesure en surfaces de terre et en eau nécessaires pour couvrir les besoins d'un individu ou d'une activité mais aussi pour absorber les déchets générés. Elle est à rapporter à la biocapacité qui, à l'inverse, évalue les surfaces disponibles.

L'Afrique n'a pas franchi la ligne rouge et ne vit pas encore "à crédit" en consommant ses ressources plus rapidement qu'elles ne sont capables de se reconstituer. Mais cela ne saurait tarder. Au rythme actuel, c'est une question d'années.

En quarante ans, cette biocapacité a fondu de 40 % et le rapport prévoit que, par la seule croissance démographique, la pression exercée sur les écosystèmes va doubler d'ici à 2040. L'agriculture et la destruction des forêts sont les principales causes de cette dégradation dans un continent encore en majorité rural et sous-équipé en matière énergique. Le bilan carbone de l'Afrique ne représente que 20 % de son empreinte écologique, contre plus de la moitié au niveau mondial.

L'Afrique doit comprendre que, pour son développement, "avoir de l'eau, des sols, préserver ses forêts, c'est aussi important que construire des routes ou des hôpitaux". "Nos sociétés dépendent de ces infrastructures vertes", a plaidé M. Leape.

EXPÉRIENCES PILOTES

Le rapport ébauche une géographie de ces "infrastructures vertes" sur lesquelles articuler une stratégie de développement durable: les forêts du bassin du Congo, le bassin du Zambèze qui s'étend sur huit pays, le lac d'altitude Naivasha au Kenya, menacé par le développement rapide de l'agriculture et de l'horticulture.

Il insiste également sur la préservation des espèces menacées par le braconnage et le trafic international.

Pour chacun de ces exemples, des pistes sont avancées pour rentabiliser une protection de l'environnement dont le coût reste le premier ennemi.

Jim Leape le concède : "Nous devons être crédibles quand nous parlons de conservation, nous ne pouvons pas mettre de côté le développement. Il faut trouver une voie concrète pour satisfaire les deux." Des exemples existent déjà. En Ouganda, chaque gorille de montagne rapporte 1 million de dollars de revenus touristiques par an. En Afrique australe, la plus grande zone internationale de conservation au monde - 44 millions de km2 - fait le pari d'une gestion communautaire des ressources naturelles. Sur les bords du lac Naivasha, des agriculteurs reçoivent des paiements pour services environnementaux lorsqu'ils adoptent des pratiques préservant les ressources en eau...

Ces expériences pilotes, souvent amorcées par des fonds de la coopération internationale, sont une partie de la solution. Mais d'autres situations posent des choix d'un tout autre enjeu. A la question de savoir si la République démocratique du Congo (RDC) devait renoncer à exploiter le pétrole qui se trouve probablement dans le sous-sol du parc national des Virunga, classé au patrimoine mondial de l'Unesco, le directeur général du WWF a répondu "oui" sans hésiter. L'assemblée est restée perplexe. La RDC, aussi étendue que l'Europe, est un des pays les plus pauvres du continent.

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