13062012 Xinhua Par Raphaël MVOGO
LIBREVILLE, 12 juin (Xinhua) -- La controverse sur l' accaparement des terres n'empêche pas l'arrivée massive des grands investissements étrangers pur l'exploitation agricole en Afrique, un continent disposant d'environ 22 millions d'hectares de terres arables encore en friche et qui à la fois se trouve confrontée au dilemme de préservation de ses espaces.
A la tête du fonds d'investissement privé international Agriland basé à Paris en France, Pierre Bordenave annonce par exemple la mobilisation projetée de 75 millions d'euros en 2012, une enveloppe prévue d'être portée à 200 millions d'euros en 2013 et qui sera injectée dans des "projets agricoles avec un concept de filières" sur le continent.
C'est un concept, a-t-il expliqué à Xinhua en marge du premier New York Forum Africa, une plateforme de réflexion économique tenue à Libreville au Gabon du 8 au 10 juin, qui vise à produire et à transformer des matières premières, pour les mettre à la disposition du marché local et du marché des grandes sous-régions africaines, en ciblant surtout les petits fermiers.
"Ce n'est pas du tout le concept des grandes plantations. On a l'habitude d'importer ces concepts d'Amérique du Sud ou d'Europe de l'Est. Ce n'est absolument pas ça. Le premier projet sur lequel nous travaillons actuellement, c'est la production de légumes autour des ceintures vertes des villes africaines. Il y a une très forte demande actuellement des produits tels que les tomates, les concombres, les choux, les pastèques", précise d'emblée l' investisseur.
Concrètement, le Fonds Agriland qui cherche à s'implanter au Gabon, se propose d'investir auprès des porteurs de projets qui s' investissent dans ce type de productions maraîchères autour des ceintures vertes des grandes villes africaines.
"Nous travaillons aussi sur la duplication auprès des bases de vie autour des grands centres miniers qui se développent en Afrique. Il y a des transferts de populations très importantes, il faut nourrir ces populations et l'objet de ces investissements, c' est de produire et de nourrir ces populations qui sont déplacées durant ces grands travaux", fait encore savoir Bordenave.
La production de poulets de chair est un autre secteur en ligne de mire.
"Ça implique premièrement d'avoir des oeufs, ensuite d'élever ces poulets. Mais si on veut élever ces poulets, il faut automatiquement des grains, il faut de la protéine. Donc, le concept c'est de produire du maïs ou une autre céréale, de produire un protéagineux tel que le soja. Il suffit d'avoir quelques minéraux et on a de l'alimentation pour les poulets".
Au moment où la controverse enfle sur l'accaparement supposé ou réel en Afrique, Agriland, à l'instar d'autres investisseurs, n'en a cure. Ce n'est pas qu'il ignore ou feint d'ignorer le débat, mais d'autres arguments présentés par des chercheurs permettent la sérénité.
Par exemple, le Pr Albert Sasson, directeur du département des sciences de la vie et des technologies à l'Académie de la science et de la technologie Hassan II au Maroc, juge que "l'accaparement des terres est une réalité, mais je crois qu'il y a là -dessus pas de mal de choses qui sont entre la vérité et le mensonge.
On dit des choses qui ne sont pas vérifiées, parce qu'il y a l' opacité".
Selon lui, il y a un groupe de chercheurs et d'institutions de recherche dont par exemple le Centre international de la recherche agronomique pour le développement (Cirad) de France qui se sont mis à établir un projet qu'ils appellent Land Matrix et ils essaient, à partir de sources locales, vérifiables, de dire vraiment où sont ces terres".
Ces chercheurs travaillent sur la base de deux questions fondamentales: est-ce qu'elles sont accaparées ? Ou est-ce qu' elles sont prises avec l'assentiment des gens, dans le cadre de contrats normaux, réguliers, en respectant les droits de la terre des gens, les droits d'usage, les droits coutumiers ?
Le Pr Sasson estime qu'en Afrique, y compris en Afrique du Nord, c'est peut-être 25% de ces contrats qui sont réguliers.
"Il y a des pays qui ont pris des mesures. Par exemple Madagascar a annulé un projet avec un groupe indien. Le Cambodge a suspendu un projet qu'il était prêt à signer avec les Philippines. Et donc, il y a une prise de conscience au niveau national qu'il faut faire attention", décrit-il au demeurant.
Depuis 1974, un Comité international de la sécurité alimentaire existe au sein de l'Organisation des Nations Unies pour l' alimentation et l'agriculture (FAO).
Ce n'est qu'en 2010 que cet organe a commencé à jouer son rôle, en établissant des directives pour les bonnes pratiques dans ce domaine, en signalant aux pays les dangers et en recommandant une plus grande transparence dans leurs actions.
Concilier la préservation des forêts et le développement économique à travers l'agriculture n'est pas sans compatibilité si la volonté politique existe, soutient Albert Sasson.
Il suggère par exemple l'expérience brésilienne où on essaie de ménager l'Amazonie, "même s'ils la déboisent, mais à un rythme qui a été réduit par Lula da Silva, parce qu'autour on essaie d' augmenter les rendements".
"C'est le cas de ces savanes qui étaient inutilisées, qu'on appelle les serrados dont ils ont 90 millions d'hectares en réserves, disponibles. Il a fallu les transformer complètement avec l'engrais, avec la chaux parce qu'ils étaient trop acides. Ils ont fait de nouveaux sols, et donc une nouvelle agricole. C' est ça qu'on appelle la révolution agricole brésilienne. Ils ont tropicalisé leur culture et ils sont devenus des géants dans l' agroalimentaire", démontre-t-il.
Des expériences encourageantes commencent à s'observer en Afrique.
"Au Ghana, en Ouganda, il y a des essais intéressants. Donc, ça veut dire plus de recherche agronomique, plus d'investigation pour trouver les bons sols, les bonnes cultures, les bonnes rotations et retrouver la bonne vieille agronomie: respecter les saisons, les sols, et non pas défricher, cultiver, brûler et aller ailleurs ", se félicite Sasson.
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