Afrique, Orient : De la crainte à l’incertitude
le 25/01/2011 23:51:40

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IRIN
NAIROBI, 25 janvier 2011 (IRIN) - Si les Somaliens qui fuient leur pays n’ont plus à éviter les balles et à vivre dans la crainte, ceux qui réussissent à traverser au Kenya entament un long et difficile parcours en tant que réfugiés.


« Certains de nos réfugiés vivent au Kenya depuis 1991 », a dit Salam Shahin, responsable de l’enregistrement du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde. Le camp de Dadaab accueille plus de 300 000 personnes, principalement des Somaliens.

« Nous recevons en moyenne plus de 5 000 demandeurs d’asile par mois – des Somaliens, pour la plupart. Chaque année, 8 000 cas seulement sont traités en vue d’une réinstallation et seuls 3 000 d’entre eux aboutissent effectivement à une réinstallation dans un pays tiers ».

Les demandeurs d’asile sont souvent confrontés à de dures épreuves lorsqu’ils entreprennent le voyage vers Dadaab. Sirad Tahilil, 65 ans, vit dans le camp depuis un an. Elle a décidé de fuir la ville portuaire de Kismayo, dans le sud de la Somalie, après le meurtre de son gendre par des membres du groupe islamiste al-Shabab. Elle a voyagé pendant plusieurs jours pour atteindre la frontière kényane en évitant les barrages des miliciens d’al-Shabab.

« J’étais avec 30 autres personnes, incluant huit membres de ma famille, mon mari, qui était très malade, et deux petits-enfants desquels je devais m’occuper », a dit Mme Tahilil à IRIN. « Lorsque nous sommes arrivés à Amume [ville frontière entre le Kenya et la Somalie], les policiers nous ont demandé où nous allions. Nous leur avons dit que nous voulions nous rendre dans les camps [de réfugiés], mais ils ont refusé de nous laisser passer à moins que nous leur donnions de l’argent ».

« Nous leur avons donné chacun 1 000 shillings [kényans] [12,50 dollars] et les propriétaires des camions ont payé 20 000 shillings [250 dollars]. Nous n’avions pas le choix : si nous ne leur donnions pas l’argent, nous risquions de nous faire prendre par ceux que nous tentions de fuir ».

« À notre arrivée au camp de réfugiés de Hagardheer [l’un des trois camps de Dadaab], nous sommes restés pendant quelques jours avec des proches de la famille en attendant d’être enregistrés par le HCR ».

Le processus débute avec l’enregistrement du demandeur d’asile, suivi d’un entretien destiné à déterminer s’il peut être considéré ou non comme un réfugié.

« Les réfugiés du centre-sud de la Somalie obtiennent automatiquement le statut de réfugié en raison du conflit qui fait rage dans la région depuis un certain temps. Ceux qui viennent du Somaliland [une république autoproclamée située dans le nord-ouest de la Somalie] ou du Puntland [une région autonome autoproclamée située dans le nord-est du pays], où la situation est moins préoccupante, doivent prouver qu’ils ont été victimes de persécutions en raison d’un des motifs énumérés dans la loi sur les réfugiés », a dit M. Shahin.

La vérification de l’identité et de l’origine des demandeurs d’asile est une lourde tâche. Le HCR fait ce qu’il peut et exige que les demandeurs d’asile signent un document attestant la véracité de leurs déclarations.

Puisque les produits de première nécessité ne sont disponibles qu’en quantité limitée, il est essentiel de s’assurer que seuls les demandeurs légitimes reçoivent les vivres et autres fournitures. Dadaab est situé dans le nord-est du Kenya, dans une zone aride où règnent la sécheresse et la pauvreté extrême. Par le passé, des milliers de Somalis kényans ont tenté d’obtenir le statut de réfugié.

« Toute personne qui revendique le statut de réfugié peut s’inscrire auprès du HCR. La création d’un registre d’empreintes digitales en 2007 a permis d’éviter que des individus ouvrent plus d’un dossier », a dit M. Shahin. « Avec l’aide du gouvernement, nous avons comparé toutes les empreintes digitales dont nous disposions avec celles figurant dans leur base de données pour nous assurer qu’aucun Kényan n’était enregistré. Nous procédons aussi régulièrement à des vérifications ».

Après l’enregistrement, une carte de rationnement, une preuve d’enregistrement et une carte d’identité avec nom, photo, empreintes digitales, lieu d’origine et autres informations pertinentes sont données à chacun des réfugiés. La carte de rationnement permet à son détenteur d’obtenir des produits non alimentaires tels qu’une tente, du savon, des jerricans et des moustiquaires, et un approvisionnement bimensuel en denrées alimentaires en fonction de la taille de la famille.

« On nous fournit un abri et de la nourriture, mais il n’y a jamais assez à manger. Le plus gros problème, c’est la santé », a dit Mme Tahilil. « Jusqu’à présent, je n’ai pas réussi à faire examiner mon mari par un médecin. Mais au moins, je n’ai pas à m’inquiéter qu’on vienne chez moi pour me tuer ou assassiner un membre de ma famille ».

Une attente interminable

Mme Tahilil attend d’être réinstallée. Elle doit faire preuve de patience, car le processus peut être extrêmement long. Hodan Ali Hussein, qui a maintenant 30 ans, vit dans les camps depuis plus de 20 ans.

« Quand j’avais environ 10 ans, nous avons quitté Kismayo en bateau pour nous rendre à Mombasa [sur la côte est du Kenya] », a dit Mme Hussein. « On nous a emmenés dans un camp de réfugiés appelé Utanga et situé près de Mombasa. Ma mère et moi sommes restées dans ce camp jusqu’à sa fermeture, en 1997, et nous avons ensuite été envoyées à Dadaab ».

« Je ne connais pas d’autre vie que celle des camps de réfugiés... Le pire, c’est de ne pas savoir si on en sortira un jour. Il n’y a personne à qui on peut demander ».

« Nous avons entamé le processus de réinstallation », a-t-elle ajouté. « J’ai bon espoir que nous serons réinstallés quelque part et que mes enfants auront une plus belle enfance que la mienne ».

Plusieurs pays accueillent des réfugiés des camps de Dadaab, notamment les États-Unis, l’Australie, le Canada, le Danemark, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni.

La loterie de la réinstallation

Puisque le nombre d’arrivées annuelles dépasse largement le nombre de réinstallations, le HCR doit prendre des décisions difficiles quant au choix des dossiers à transmettre aux autorités nationales compétentes en matière de réinstallation.

« On utilise un programme informatique pour sélectionner des ménages somaliens parmi ceux qui sont arrivés les premiers – entre 1991 et 1992 », a dit Daniele Tessandori, chargée de la réinstallation du HCR à Dadaab. « Les dossiers sont choisis de manière aléatoire afin de s’assurer que toutes les sections des camps reçoivent la même attention dans le processus de sélection ».

Le HCR estime qu’il faudra jusqu’à huit ans pour traiter les dossiers de l’ensemble des Somaliens qui vivent au Kenya depuis 1991 et 1992 en vue d’une éventuelle réinstallation. Ils n’auront pas tous la même chance : les réfugiés individuels qui doivent absolument être protégés bénéficient d’une procédure accélérée indépendamment de leur nationalité et de leur date d’arrivée au camp.

Dans les camps, le processus de réinstallation fait l’objet de nombreuses rumeurs. Le HCR et l’organisation non gouvernementale (ONG) FilmAid ont donc décidé de tourner un film pour expliquer le processus aux réfugiés et leur montrer ce à quoi ils peuvent s’attendre.

Pour Mme Tahilil, qui est arrivée il y a un an à peine, les perspectives de réinstallation sont encore lointaines. « J’ignore si je vais obtenir la réinstallation ou non, mais je ne suis pas particulièrement optimiste lorsque je constate que certaines personnes vivent dans les camps depuis plus de 20 ans », a-t-elle ajouté.

Pendant ce temps, les Somaliens continuent d’affluer en masse au Kenya. Selon le HCR, il n’y a pas eu de nouvelles allocations de terres pour les réfugiés depuis 2008. Si certains nouveaux venus vivent avec des proches, plus de 20 000 d’entre eux se sont spontanément installés aux abords des camps.

« L’apparition de ces colonies spontanés provoque des tensions entre les réfugiés et la communauté d’accueil. De nombreux réfugiés vivent dans des zones exposées aux inondations [et] le problème du surpeuplement s’aggrave », a dit Bettina Schulte, chargée des relations extérieures du HCR pour le camp de Dadaab.

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