20110202 L'Observateur Paalga La rue égyptienne aura tenu son pari. Elle avait promis « un million » de manifestants pour marcher et exiger le départ de leur faucon de Raïs. A supposer que le chiffre n'ait pas été atteint, il n'en n'aurait pas fallu beaucoup plus pour l'atteindre.
La marée humaine était impressionnante et, si l'on doit juger de la réussite d'une telle manifestation à l'aune du nombre de ses participants, on est en droit de dire que cette rue égyptienne aura réussi sa gageure, et de la plus belle des manières. L'exploit est d'autant plus impressionnant que les transports en commun ne fonctionnaient pas et que tous les accès routiers à la capitale avaient été délibérément bloqués pas seulement au Caire, la capitale, mais aussi à Suez, à Ismaïla, à Alexandrie et à l'intérieur du pays dans un concert de révolution joyeuse alors qu'on attendait une intervention de Moubarak, dont, selon beaucoup d'observateurs, les jours à la tête de l'Egypte semblaient comptés.
Les revendications sont des plus fermes. De retour en Egypte depuis moins d'une semaine, c'est un El Baradei reconnu à l'unisson qui les présente, et n'entend aucunement céder d'un iota : il faut que Moubarak parte. Pas de négociations sans cet a priori. On l'aura compris, les derniers lests lâchés par le Raïs auront été jugés insuffisants par une foule qui, comme en Tunisie, sent l'heureuse opportunité qu'elle a de tout obtenir, et tout de suite, qui exploitera la situation à fond, et ce, d'autant qu'on lui aura tout refusé jusqu'à présent.
En réussissant sa marche, la rue égyptienne administre la preuve d'une démonstration de force impressionnante. Et elle semble avoir choisi de la poursuivre jusqu'à ce que la chute du Raïs s'ensuive. Elle a beau jeu de le faire, d'ailleurs. Car, la seule inconnue qu'elle pouvait redouter dans cette épreuve de force, l'Armée, semble avoir définitivement choisi de cheminer à ses côtés.
Le porte-parole de la Grande Muette, reconnaissant la légitimité des revendications des foules égyptiennes, plus, l'armée elle-même choisissant l'encadrement des manifestants - au lieu de la traditionnelle répression - a fini, pourrait-on dire, de faire son choix, et par le fait même, fait savoir au régime de Moubarak qu'elle accorde son feu vert aux revendications des foules égyptiennes en colère. Ces dernières peuvent désormais bénéficier d'un large quitus de sa part pour les actions futures qu'elles comptent mener.
Pareille décision est presque surprenante, provenant d'une Grande Muette qui a été la compagne fidèle et silencieuse de ce Raïs qui, aujourd'hui, prend des allures de pestiféré. Car, enfin, c'est grâce à cette armée que Moubarak a réussi à régner de main de maître avec toute la violence que l'on sait, une bonne trentaine d'années durant, s'entourant de toutes les ceintures de sécurité nécessaires, brisant toutes les velléités d'expression publique de mécontentement, d'émeutes et de révoltes.
A présent que cette Grande Muette opte d'assister - d'applaudir - à l'holocauste de celui qu'elle avait adulé, on peut se demander légitimement ce que signifie réellement pareille volte-face. A supposer que le Pharaon tombe, ne risque-t-on pas de voir en Egypte comme un remake de ce qui s'est passé en Tunisie il y a de cela juste quelques jours ?
Cette armée, même en faveur de la rue égyptienne aujourd'hui, ne pourra pas effacer ce fait évident qu'hier seulement, elle se tenait aux côtés d'un Raïs fort et au faite de sa puissance. Peut-elle alors, compte tenu d'une nouvelle donne, choisir de se faire hara-kiri et de donner toute leur place aux diverses oppositions qui auront, par leur courage, ainsi que par le sang versé de leurs centaines de compagnons, réussi à déboulonner de son palais un Moubarak qu'on avait fini par croire éternel ?
Il faudra attendre pour le savoir, mais le risque existe, qui est très grand, de voir plutôt des caciques de la Grande Muette tenter, eux aussi, un certain recyclage et récupérer pour leur compte de juteux dividendes d'une révolution populaire qui aura payé le prix fort pour qu'elle soit conduite à son aboutissement. C'est dire qu'en Egypte, existent bien, à l'heure actuelle, deux combats d'importance : chasser le Raïs en est juste un, éviter la récupération de la révolution de la rue en sera le second ; et, de toute évidence, aucun n'est gagné d'avance.
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