La prochaine visite en Algérie du président François Hollande pose de nouveau la question de la «repentance» des crimes perpétrés par l’Etat français pendant la colonisation et, plus largement, de ce crime absolu contre un peuple qu’est la colonisation elle-même.
En France, parler de «repentance» provoque indignation et rejet – «Se repentir, mais de quoi ? De ces écoles, de ces hôpitaux qu’on a construit pour eux ?» – et la plupart estiment, comme J.-F. Copé, qu’il vaut mieux «aller de l’avant plutôt que de regarder dans le rétroviseur».
Pour ne pas voir des monceaux de cadavres ?... Mais les mêmes accepteraient-ils qu’un assassin, dépourvu de tout remords, propose aux survivants d’une famille qu’il aurait en grande partie massacrée de tourner la page sans autre forme de procès ?
Il n’est pas possible de construire un avenir qui se distingue radicalement du passé si l’on fait mine d’ignorer ce passé, si l’on ne reconnaît pas, pour s’en désolidariser absolument, tous les crimes commis contre un peuple qu’on a maintenu 132 ans en esclavage, dont on a foulé aux pieds la dignité, qu’on a tenté, en disqualifiant sa langue et sa culture, d’aliéner dans le plus profond de son être, dont on a pillé et exploité les richesses en le réduisant à la plus extrême pauvreté. Ces pages couvertes de sang de l’histoire algérienne doivent être reconnues et condamnées par les représentants de l’Etat français, responsable, pendant plus d’un siècle, du martyre du peuple algérien. Seules la reconnaissance et la condamnation de ce passé peuvent permettre d’établir de nouvelles relations entre la France et l’Algérie et garantir, d’abord, la vérité des beaux discours que le président français ne manquera pas de prononcer, des belles promesses que sans doute il fera.
Mais il va de soi que les mots ne suffisent pas : seule la pratique est le critère de la vérité. Une repentance authentique doit induire une nouvelle politique à l’égard de l’Algérie, déterminer une nouvelle attitude des pouvoirs publics à l’égard des Algériens, de façon que peu à peu la plupart des Français portent un autre regard sur ceux que trop souvent ils ignorent, redoutent ou rêvent de renvoyer dans leurs douars d’origine.
Et dans ce domaine-là , il y a tout à faire. A l’école d’abord, où l’on n’évoque que très rapidement, lorsqu’on l’évoque, la période coloniale et la guerre de Libération : quelques dates, quelques faits et l’on tourne la page. Bien des élèves ignorent les réalités de la conquête de l’Algérie – les «enfumades» de villageois entassés dans des grottes aux extrémités bouchées, l’emploi systématique de la torture, les exécutions sommaires, les viols... A l’ignorance du passé s’ajoute, dans tous les domaines, une politique qui prolonge et reproduit, à l’égard des Algériens, une attitude typiquement colonialiste : discrimination lors de l’inscription dans un lycée, refus d’un logement, rejet d’une demande d’emploi, difficulté, pour un étudiant qui veut préparer un doctorat d’obtenir une prolongation de son visa ou, pour une épouse, de faire venir son conjoint étranger…
La vie quotidienne d’un Algérien se heurte à toutes sortes d’obstacles, qu’il franchit beaucoup plus difficilement qu’un Tunisien ou un Marocain, précisément parce qu’il est Algérien et que son pays a gagné la guerre que la France lui faisait. Dans l’inconscient d’un certain nombre de fonctionnaires rôdent des accusations d’ingratitude et des désirs de vengeance. Sans parler de la méfiance d’un personnel administratif toujours prompt à voir dans un ex-colonisé un fraudeur ou un imposteur. Jusqu’à présent, aucun effort n’a été fait, par aucun gouvernement français, pour alléger la vie quotidienne des Maghrébins. Or c’est là , entre autres, dans la simplification des démarches administratives, dans le respect que les fonctionnaires porteront aux administrés que pourra se manifester concrètement la repentance de l’Etat français.
Il y a certes un abîme, ou un très grand écart, entre les décisions d’un gouvernement et leur réalisation : préfets, maires, fonctionnaires opposent souvent une force d’inertie considérable aux initiatives du pouvoir. Mais il est deux mesures, au moins, que le gouvernement français pourrait imposer sans aucune difficulté : la première, faciliter la délivrance des visas, permettre à des époux de se rejoindre, à des familles de se recomposer. La deuxième, décider qu’un médecin algérien, qui a les mêmes diplômes, les mêmes compétences et qui accomplit le même service qu’un médecin français cesse d’être sous-payé. Les socialistes feront-ils mieux que leurs prédécesseurs ? Ou les promesses d’un renouveau entre la France et l’Algérie resteront-elles, comme tant d’autres, lettre morte ? 17112012 elwatan
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