Faute de consensus au sein de la troïka sur un remaniement ministériel, le chef du gouvernement tunisien, Hamadi Jebali, met sa démission dans la balance. Et menace de passer en force en affrontant ouvertement l'aile dure d'Ennahdha, son propre parti.
Hamadi Jebali a souvent affirmé que sa lettre de démission était prête. Mais, samedi 9 février, le chef de l’exécutif tunisien a pris tout le monde de court, surtout sa famille politique, Ennahdha, en la mettant dans la balance pour pouvoir former un gouvernement de technocrates « sans appartenance apolitique ».
Les ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères sont en particulier concernés par cette décision, alors qu'Ennahda refuse depuis des mois de lâcher ces portefeuilles. Quant aux futurs membres du gouvernement, ils devront aussi s'engager à ne pas participer aux prochaines élections, affirme Jebali.
L’assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du parti El Watad, le 6 février, aurait pu affaiblir sa position. Son gouvernement est plus que jamais critiqué pour la crise économique et son parti pointé du doigt pour avoir une responsabilité morale dans l’exécution du militant démocrate. Mais grâce à sa fermeté il pourrait gagner son pari, malgré les menaces d’agitation brandies par les radicaux de son camp, car il a non seulement l’appui des partis laïcs, mais aussi la force de la loi avec lui. Selon celle dite d'organisation provisoire des pouvoirs publics, le chef du gouvernement peut « créer, modifier et supprimer les ministères et les secrétariats d'État, et fixer leurs attributions et prérogatives, après délibération du Conseil des ministres et information du président de la République ».
Mini-putsh
Jebali presse aussi l’Assemblée nationale constituante (ANC) de fixer des élections au plus vite. Problème : la Constitution est encore en friche.
Le défi est de taille. Car si Hamadi Jebali a été parmi les premiers à reconnaître, en juillet 2012, le manque de performance de ses ministres et la difficulté de coordonner une équipe comptant pas moins de soixante membres, il peine depuis lors à opérer un remaniement convenant à Ennahdha, à Ettakatol et au Congrès pour la République (CPR), les trois partis à la tête de la Tunisie. Cet originaire de Sousse , incarcéré pendant 16 ans dont 10 en isolement sous Ben Ali, est certes monté au créneau avec courage, assurant avoir pris sa décision à l’insu de tous - y compris de son propre parti -, il n’a cependant rien révélé quant à cette nouvelle équipe ni à la date de son entrée en fonction.
Jebali presse aussi l’Assemblée nationale constituante (ANC) de fixer des élections au plus vite, mais la Constitution est encore en friche. Le type de régime politique n’a pas été choisi et il est nécessaire de préparer la loi électorale et de relancer les instances de gestion des élections. Reste qu'avec ses airs placides, Hamadi Jebali a opèré ce qui ressemble à un mini-putsch en se démarquant de l’emprise de Rached Ghannouchi et du Conseil consultatif d’Ennahda dans la gestion des affaires.
Ambiguités
Pourtant, l'ancien directeur du journal d'Ennahdha, El-Fajr, est d'abord un fidèle du parti islamiste, tout acquis à sa famille politique malgré ses divergences avec une aile dure qui refuse de céder le moindre centimètre sur les ministères régaliens. Mais le pays va trop mal, selon lui, pour tergiverser. Et en faisant cavalier seul, Jebali acquiert une stature d’homme d’État, tout en confirmant indirectement les dysfonctionnements d’une troïka gouvernementale qui aura du mal à survivre à un remaniement.
L’ancien prisonnier qui taillait des pièces d’échecs dans des savonnettes, pourrait changer la donne - ainsi que le devenir de l'islam politique - en Tunisie.
La position de cet homme de 63 ans – atteint de troubles cardiaques et spécialiste des lapsus malencontreux – sera quand même délicate car il demeure Secrétaire général d'Ennahdha. Dans ces conditions, comment envisage-t-il de conduire une équipe d’indépendants ? « Hamadi Jebali représente une tendance moderne et modérée mais, étant minoritaire, il ne pèsera pas lourd lors des grandes prises de décision », avaient prédit des observateurs. Ils se sont trompés.
L’ancien prisonnier qui taillait des pièces d’échecs dans des savonnettes, pourrait rallier les modérés, les conservateurs et changer la donne - ainsi que le devenir de l'islam politique - en Tunisie. Certains rappellent cependant que l'impopularité gouvernementale n'est pas due à un simple manque de compétences, mais également aux ingérences politiques dans les affaires judiciaires et aux positions liberticides du gouvernement.
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Par Frida Dahmani, Ă Tunis 12022013 Jeuneafrique
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