Le cofondateur et vice-président du mouvement islamiste Ennahdha ne mâche pas ses mots à l'égard de sa famille politique. Abdelfattah Mourou la tient tout simplement pour responsable de la crise. Interview.
Jeune Afrique : Pourquoi la Tunisie en est-elle lĂ ?
Abdelfattah Mourou : La division du pays en deux pôles - islamiste et laïc - est dangereuse, car elle crée un chaos politique. Pendant un an, Ennahdha, en tant que parti au pouvoir, n'a cessé de tergiverser ; elle a voulu inscrire la charia dans la Constitution, puis s'est rétractée. Elle a récidivé avec le régime parlementaire et le statut de la femme. Elle a démontré son incapacité à comprendre les attentes du peuple, qui ne veut pas d'une mutation de ses fondamentaux mais des aménagements. Elle a sciemment traîné les pieds sur la rédaction de la Constitution et s'est montrée laxiste en laissant faire les Ligues de protection de la révolution (LPR). Par son silence, elle encourage la montée de la violence politique. Elle gère de manière catastrophique les affaires de l'État, accumule les erreurs en voulant imposer une loi sur l'exclusion et se dresse contre toutes les formations politiques. C'est l'affrontement général. Ce n'est pas tenable et c'est contraire à la démocratie.
Les responsables d'Ennahdha affichent leurs divergences, que faut-il en penser ?
Ils ont tort de participer aux débats publics en se montrant aussi divisés. Ils affaiblissent le parti et se décrédibilisent, d'autant que c'est leur incompétence au sein du gouvernement qui est aussi à l'origine de cette crise. Ennahdha n'a cessé de s'isoler. Elle a refusé le dialogue avec les centrales syndicale et patronale, et ignore les demandes de la société civile. Résultat : elle ne peut compter que sur une assise populaire qui se réduit comme peau de chagrin et a perdu l'appui des intellectuels. Or la production de pensée est nécessaire.
Il est inadmissible que nous n'ayons pas encore de Constitution.
La priorité est-elle de mettre en place une nouvelle équipe gouvernementale ou d'arrêter la violence ?
Seul un gouvernement fort peut contenir la violence. Au fond, la violence est un instrument pour parvenir à un objectif ; il faut lui substituer d'autres outils et surtout mettre en place rapidement des institutions. Il est inadmissible que nous n'ayons pas encore de Constitution et que, face à l'affaiblissement de l'État, l'Assemblée nationale constituante [ANC], pourtant souveraine, ne réagisse pas.
Comment envisager une sortie de crise ?
La priorité est la Constitution. Il faut mettre un point final à cette transition. Sans institutions, sans cadre juridique, le pays ne peut avancer. Dans cette étape cruciale et délicate, les partis devraient s'éloigner de l'action gouvernementale et laisser des compétences gérer les affaires courantes. C'est l'orientation que je partage avec Hamadi Jebali. 27022013 Jeuneafrique
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