La libération au Cameroun d'une famille française apparaît comme un succès diplomatique bienvenu pour le président Paul Biya, 80 ans dont plus de 30 ans à la tête de l'Etat camerounais, qui a engrangé des remerciements appuyés de Paris.
Après l'annonce de la libération des sept otages, enlevés le 19 février au Cameroun puis détenus au Nigeria par des islamistes, le président français François Hollande s'est empressé de remercier "aussi bien le Cameroun que le Nigeria", mais avec une "pensée particulière pour le président Biya, qui dans ces derniers jours a eu un rôle important".
Le président camerounais "a vraiment engagé tout ce qui était possible de faire en plein accord, en pleine coopération, en pleine collaboration avec la France", a souligné François Hollande.
Si très peu d'informations ont filtré sur les conditions de cette libération, la présidence française a affirmé que ce n'était pas "une action de force" mais le fruit de "contacts multiples" établis avec le concours des autorités nigérianes et camerounaises.
"Paul Biya a des réseaux secrets d'autant plus efficaces qu'ils sont encadrés par des Israéliens", estime à Paris le journaliste français Antoine Glaser, fondateur de La lettre du Continent. "Depuis la tentative de coup d'Etat en 1984, il n'a plus confiance qu'en eux. Il a créé la Brigade d'intervention rapide (BIR), et on peut imaginer que ce sont les BIR qui ont exfiltré la famille du Nigeria", juge M. Glaser.
Une hypothèse que confirme une source militaire camerounaise ayant pris part à l'opération: la "libération a été effectuée par le BIR après moult tractations", a-t-elle déclaré à l'AFP sous couvert d'anonymat. "C'est le président Biya qui a pris sur lui d'engager cette opération, ajoute cette source militaire, c'est pour cela qu'il a envoyé son secrétaire général sur place (au Nigeria, ndlr) pour récupérer et amener les otages à Yaoundé".
Depuis l'enlèvement de la famille Moulin-Fournier dans un parc naturel du nord du Cameroun, près de la frontière avec le Nigeria, les autorités camerounaises se sont toujours montrées extrêmement discrètes, à l'image de Paul Biya qui apparaît très rarement en public. Mais le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a fait valoir vendredi qu'il avait "eu (au téléphone, ndlr) le président Biya presque tous les jours au cours de ces dernières semaines".
Le rôle du Cameroun dans cet heureux dénouement est d'autant plus mis en avant que M. Hollande a réaffirmé que la France ne versait pas de rançon pour la libération d'otages.
"On s'est polarisé sur les histoires de rançon mais il faut noter que la principale revendication des ravisseurs (islamistes nigérians de Boko Haram, ndlr) était la libération de membres de leurs familles détenues au Cameroun et Nigeria", rappelle M. Glaser, n'excluant pas que le Cameroun ait négocié la libération de prisonniers en échange des otages.
Un "bénéfice évident" pour Biya
En 2008, Yaoundé avait adopté une stratégie similaire, observant un mutisme presque total après l'enlèvement de dix marins dont sept Français de la société Bourbon, au large du Cameroun, et négocié avec succès leur libération.
M. Biya, qui a reçu les ex-otages au palais présidentiel vendredi soir, a vanté "la coopération exemplaire" entre son pays, le Nigeria et la France dans cette affaire, en appelant à un "renforcement" de la coopération internationale pour faire face à l'insécurité sur le continent africain.
Selon Stéphane Akoa, politologue de la Fondation Paul Ango Ela à Yaoundé, Paul Biya tire de cette libération un "bénéfice évident" dans "sa relation avec François Hollande (élu il y a près d'un an, ndlr), une relation qui jusqu'à présent évolue sur un mode glacial ou très très froid". "La libération des otages français, notamment s'il s'avérait que le Cameroun avait consenti à quelques engagements, pourrait servir à amorcer un début de réchauffement entre Paris et Yaoundé", estime ce chercheur.
Le président français avait reçu son homologue camerounais le 30 janvier à Paris, pour une "visite de travail" durant laquelle devait être abordée les atteintes aux droits de l'homme dénoncées notamment par Amnesty international.
L'association Survie, qui réclame une réforme de la politique de la France en Afrique, avait vivement critiqué cette réception de M. Biya qu'elle présente comme "le plus vieux des dictateurs amis de la France". L'association avait aussi insisté sur la montée en puissance de la coopération économique entre le Cameroun et la France, l'ex-puissance coloniale.
"La France avait tendance à remettre en cause la longévité du président Paul Biya au pouvoir (. . . ) il a gagné en autorité et en crédibilité", estime Pascal Messanga Nyamding, enseignant à l'Institut des relations internationales du Cameroun et proche du parti au pouvoir.
M. Biya, en fonction depuis 1982, avait été réélu pour un mandat de sept ans en octobre 2011, à l'issue d'un scrutin contesté. 20132104 Jeuneafrique
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