Cameroun : « call-box », essor d'une économie informelle de la téléphonie mobile au coin de rue
le 18/05/2013 11:09:11
Cameroun

Aucun chiffre officiel n'est communiqué pour déterminer leur nombre ni leur part dans l'économie, mais le constat démontre que de par leur essor les « call-box » représentent un commerce de services florissant de la téléphonie mobile à l'air libre au coin de rue et une niche d'emplois informels pour des milliers de Camerounais tant en milieu urbain qu'en zone rurale.


Liée à la croissance vertigineuse du marché de la téléphonie mobile dans le pays où la première licence d'exploitation détenue par la filiale locale de l'opérateur français Orange date de 1999, suivi deux ans après par le sud-africain Mtn qui a profité de la libéralisation de la branche mobile de Cameroon Telecommunications (CAMTEL, étatique), cette activité consiste à la revente des crédits de communication sur les trois réseaux.

Son appellation de « call-box » découle de ce que son exercice fait appel pour la plupart à un comptoir avec une petite table en bois et un grand parapluie à larges bords (parasol) pour permettre de se protéger contre les aléas du climat, surtout le soleil. Outre l'achat de crédits de communication, les clients ont aussi le loisir de procéder à des appels payants.

Du citoyen ordinaire au responsable d'administration, la clientèle se recrute dans presque toutes les strates de la société. Face à celle-ci, une classe d'entrepreneurs d'un autre acabit, autour desquels se forme un univers cosmopolite de personnes de différents âges et sexes, diplômées et non scolarisées à la recherche d'une occupation afin d'échapper au chômage qui frappe une frange importante des 20 millions de Cameroun.

Conséquence de ce phénomène auquel s'ajoute celui de la pauvreté monétaire établie à près de 40% de la population, l'économie informelle s'accomplit avec 90% des PME de ce pays d'Afrique centrale, à en croire les estimations. A l'heure où les autorités fêtent la réalisation de quelque 6.000 km de réseau à fibre optique financé pour une partie par la Chine, l'on imagine un essor plus grand de l'activité de « call-box ».

Débarqué en 2010 de son village de Yagoua dans la région de l'Extrême-Nord frontalière du Tchad, le jeune Cédrick Minsia, 18 ans, en a fait un métier de circonstance, après avoir été vendeur de vêtements à la sauvette, pour subvenir à ses besoins parmi lesquels le financement de ses études de classe de troisième qu'il poursuit parallèlement après ses journées de travail à un coin de rue à Etoa-Meki, un quartier populaire proche du centre-ville de Yaoundé.

« Comme beaucoup de personnes se sont aussi lancées dans le call-box, moi aussi j'ai dit pourquoi ne pas essayer et voir ce que ça donne. Le call-box est qu'en soirée vous faites votre compte, vous remboursez l'argent du crédit et vous trouvez votre intérêt là sur place. Alors que dans les habits, on ne vend pas tous les jours. Dans le crédit, à n'importe quelle heure, quelqu'un frappe à ta porte, tu fais le transfert et il te donne l'argent », a témoigné le jeune homme à Xinhua dans un français approximatif.

Fils d'un responsable religieux, secrétaire exécutif du Conseil des Eglises protestantes du Cameroun (CEPCA), il déclare être l'aîné d'une famille de neuf enfants. Au travail de 7h30 à 22h généralement, il révèle des recettes avoisinant parfois les 90. 000 francs CFA (180 dollars) la journée, fournies à partir de trois téléphones portables dont l'un est sa propriété et les deux autres sont utilisés pour le compte d'une autre personne.

En général, pour un crédit de communication de 30.000 francs CFA acheté auprès d'un opérateur, les « call-boxeurs » ont une marge de bénéfice de 2.000 francs. A cause des perturbations de réseau courantes qui attestent d'une qualité de service médiocre régulièrement dénoncée par le représentant-résident de l'Union internationale des télécommunications (UIT), Jean-Jacques Massima Landji, la garantie du profit permanent n'est pas un acquis.

De l'avis de celui-ci, les abonnés de téléphonie mobile camerounais souffrent de ce que les opérateurs de la filière ne réinvestissent pas, contrairement à leurs publicités diffusées, dans l'amélioration de leurs équipements comme l'exige pourtant le cahier de charges signé avec les autorités. Pour Eric Kane, autre jeune call-boxeur de 24 ans, originaire de la région anglophone du Nord-Ouest venu chercher un mieux-être dans la capitale, le manque à gagner est considérable.

« J'ai commencé le call-box depuis 2008, parce que je n'ai pas eu autre chose à faire. Ça fait longtemps que je suis à Yaoundé, la vie était difficile pour moi. J'ai trouvé que le call-box est ce qui est plus facile à faire. Ça ne rapporte pas grand-chose, puisqu'il y a des fois on fait le transfert, le réseau dérange », a-t-il rapporté.

« Tu peux faire le transfert, ça ne te montre pas que c'est parti. Mais après tu reçois le message de confirmation du transfert effectué, or le client est déjà parti et n'a pas payé le transfert. On prend le crédit de 30.000 à 28.000. Quand tu perds 500 francs, c'est énorme. Il y a des fois tu te rends compte qu'au lieu de gagner, tu as tellement perdu y compris même le capital », détaille cet autre aîné d'une famille de sept enfants pour qui c'est sa seule activité menée.

Au moment de la célébration de la Journée internationale des télécommunications vendredi, les récriminations sont légion et se rapportent à d'autres offres de services comme les fameux bonus de crédits de consommations où par exemple les abonnés se voient proposer pour 200 francs de souscription 2.000 francs de communication pour une durée limitée de 24 heures.

Eric plaide plutôt pour une large extension de cette durée d'utilisation du forfait. « Si quelqu'un ne parvient pas à appeler et il perd les 200 francs, ça n'a pas de sens », rumine-t-il.

Après une épargne de 280.000 francs en 2012 dans une tontine, une tradition dans le pays qui fait concurrence aux services bancaires classiques, Cédrick Minsia a néanmoins réussi à s'acheter une portion de terre pour s'associe à la culture du riz répandue dans sa région natale.

Il rêve de poursuivre ses études jusqu'à l'obtention d'une licence à l'université et pouvoir solliciter l'admission à l'Ecole militaire interarmées (EMIA) ou à l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM), deux des grandes écoles qui font courir les jeunes diplômés camerounais.

« La vie est dure. Je veux moi-même m'occuper de mes études et de mes propres affaires. Je dois savoir comment les parents souffrent. Comme ça, je vais très bien prendre soin de ma famille », dit-il.
20131805
Xinhua

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