Afrique du Sud : les Congolais de Yeoville s'inquiètent pour l'après-Mandela
le 15/06/2013 09:48:02
Afrique du Sud

"Quand Mandela ne sera plus là, nous allons tous vous faire partir" d'Afrique du Sud. Dans le quartier de Yeoville, à Johannesburg, les Congolais sont nombreux à avoir déjà entendu cette menace. C’est dans ce contexte de xénophobie ambiante qu’ils redoutent la période qui s'ouvrira après la mort de Nelson Mandela, qui entame ce vendredi son septième jour d'hospitalisation.

Comme le reste de l'Afrique du Sud, les rues animées de Yeoville bruissent de discussions sur l'état de santé de Nelson Mandela. Mais dans cette zone populaire de centre de Johannesburg, elles ne se tiennent ni en xhosa (sa langue maternelle), ni en zoulou (la langue la plus parlée en Afrique du Sud). Ici, le shona, le yoruba ou encore le lingala dominent. L'ancien quartier juif est devenu le carrefour des étrangers. Et aux côtés des communautés zimbabwéenne, mozambicaine et nigériane, on trouve également de nombreux Congolais.

Ceux-ci tiennent des boutiques de vêtements ou des échoppes dans le marché de Yeoville, quartier surnommé Gambela, en référence à celui de Kinshasa. On peut y trouver du poisson séché, du fumbwa, ou du dongo-dongo (gombo), entre autres spécialités introuvables dans les grandes surfaces.

Olivier, 32 ans, vient tuer le temps au « salon » de coiffure « Père double », en compagnie de ses compatriotes. Et depuis le début de l'hospitalisation de Mandela, le 8 juin, il suit fiévreusement les nouvelles et ne cache pas son inquiétude.

Trois meurtres par semaine

Il « aime Madiba », l'homme politique exemplaire et le « révolutionnaire ». Mais c'est surtout la période qui s'ouvrira après sa disparition qui l’inquiète. « Vous savez, la plupart des Sud-Africains n'aiment pas les étrangers, déplore-t-il. Et presque tout le monde ici a subi des remarques du genre "quand Mandela ne sera plus là, nous allons tous vous faire partir". Forcément, on ne peut pas être rassuré lorsqu'il est dans cet état ».

Dans les transports, nous nous taisons, explique Olivier. Car si on se rend compte que nous ne parlons pas zoulou, cela peut nous poser de gros problème.

De fait les agressions xénophobes sont devenues fréquentes en Afrique du Sud. D’après le Centre africain pour les migrations et la société, 140 étrangers ont été tués en 2012 et trois seraient victimes de meurtre chaque semaine en moyenne.

« Dans les transports, nous nous taisons, explique Olivier. Car si on se rend compte que nous ne parlons pas zoulou, cela peut nous poser de gros problèmes. Mais ici, à Yeoville, nous sommes en sécurité parce que nous sommes majoritaires ».

"Concernés, qu'on le veuille ou non"

Arrivé en 2007, le pasteur Kendjo se souvient avec effroi de la première grande vague de violences xénophobes, en 2008, dans laquelle une soixantaine d'étrangers avaient perdu la vie. « Je n'ai pas été touché, dieu merci, explique cet homme qui officie dans le quartier voisin de Melrose. Mais bien sûr, tout cela nous inquiète. Vous savez, il y a eu des camps de réfugiés suite aux agressions ici. S'il y a des troubles après la mort de Mandela, nous serons concernés, qu'on le veuille ou non ».

Dans le salon de coiffure, Adam ajoute sa voix au concert des protestations. « Vous avez pas vu ce que les policiers ont fait à ce Mozambicain il y a quelques mois ? Nous sommes tout le temps menacés. Pendant la dernière campagne présidentielle, les supporteurs de Jacob Zuma nous disaient : "quand il sera au pouvoir, nous allons tous vous faire partir" ». Mais cela fait maintenant quatre ans qu'il est au pouvoir. Et Yeoville est toujours aussi peuplé.

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Par Pierre Boisselet, envoyé spécial à Johannesburg
20131506
Jeuneafrique

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