31122011 Jeune afrique L'investiture de Joseph Kabila, le 20 décembre, s'est tenue dans un désert diplomatique accablant. Les chefs d'État – y compris africains – se sont fait porter pâle. Mais s'ils déplorent les résultats du scrutin, les Occidentaux évitent de souffler sur les braises.
À croire qu'ils s'étaient donné le mot... Le 20 décembre, aucun chef d'État d'un pays voisin n'est venu à Kinshasa pour assister à l'investiture de Joseph Kabila. En 2006, pour la même cérémonie, ils étaient tous là, ou presque : Sassou Nguesso (Congo), Bozizé (Centrafrique), Museveni (Ouganda), Nkurunziza (Burundi), Kikwete (Tanzanie), dos Santos (Angola). Le Sud-Africain Mbeki et le Gabonais Omar Bongo Ondimba étaient eux-aussi de la fête. Cette année, les chefs d'État ont délégué leur Premier ministre ou l'un de leurs ministres. Seul le Zimbabwéen Robert Mugabe, vieil allié de la famille Kabila, a fait le déplacement.
Pourquoi tant d'absents ? Parce que l'élection présidentielle du 28 novembre dernier n'est pas crédible, dit l'opposant Vital Kamerhe. Les chefs d'État africains sont prudents. Se sont-ils vraiment donné le mot ? « Pas nécessairement. Ils ont constaté que les Américains et les Européens ne dépêchaient personne à Kinshasa. Ils en ont tenu compte. »
La RDC n'a pas fait des élections pour faire plaisir à la Belgique.
Lambert Mende, ministre de la Communication
La volonté du peuple
De fait, les pays occidentaux, mais aussi la Chine et la Russie, ont assuré le service minimum. Ils ne se sont fait représenter que par leurs ambassadeurs sur place. Même la Belgique a renoncé à envoyer une délégation. Réaction de Lambert Mende, le ministre congolais de la Communication : « Si les Belges ne viennent pas, qu'est-ce que vous voulez que ça nous fasse ? Nous nous contentons de leur ambassadeur. De toute façon, la RDC n'a pas fait des élections pour faire plaisir à la Belgique, mais pour démontrer la volonté du peuple congolais. Et cette volonté, c'est que Joseph Kabila prenne les choses en main. »
À l'origine de cette grande bouderie internationale, il y a bien-sûr les rapports très critiques des observateurs de l'Union européenne et du centre Carter sur le scrutin. D'ailleurs, la France s'appuie très ouvertement sur ces travaux pour « déplorer vivement de graves irrégularités et l'absence de transparence » lors de l'élection. Les États-Unis vont encore plus loin. Hillary Clinton, la secrétaire d'État, se dit « profondément déçue » de la validation des résultats par la Cour suprême.
Au Capitole, le démocrate Christopher Coons, qui préside la sous-commission africaine du Sénat, se dit très inquiet des risques de dérapages au Congo. John McCain, son collègue républicain, est tout aussi dubitatif. Le jour du vote, Cindy McCain, l'épouse de l'ex-rival de Barack Obama, dirigeait une mission d'observateurs à Goma.
La popularité de Tshisekedi
Autre raison – moins avouable, celle-là – de la grande retenue de tous les partenaires du Congo : la peur du chaos. Sur place, tous les ambassadeurs savent que la popularité de l'opposant Étienne Tshisekedi complique beaucoup la tâche de Joseph Kabila. Dans une note confidentielle rédigée peu avant l'investiture, un diplomate africain en poste au Congo se livrait ainsi à un pronostic pour le moins alarmiste : « Soit Kabila garde le contrôle de Kinshasa au prix d'une répression, soit il se replie au Katanga, ce qui peut provoquer une nouvelle guerre civile ». le 18 décembre, quand Tshisekedi s'est autoproclamé président élu et a appelé les forces de l'ordre à « arrêter Kabila » (il a prêté serment à son propre domicile, le 23, faute d'avoir pu se rendre au stade des martyrs), beaucoup de chefs d'État ont donc estimé que ce n'était pas le moment de descendre dans l'arène congolaise.
Le camp Kabila ne veut entendre parler ni d'une mission d'évaluation ni d'une médiation internationale.
Comment sortir de l'impasse ? Les deux principaux adversaires de Joseph Kabila, Étienne Tshisekedi et Vital Kamerhe, proposent que la communauté internationale aide à mettre sur pied une « commission d'évaluation » des résultats de la présidentielle. Tout serait passé au crible : la liste électorale, les votes par dérogation et, bien entendu, le comptage des bulletins. « Nous avons besoin de cette commission pour recompter les voix », affirme Kamerhe. De leur côté, trois ONG américaines, International Crisis Group, Enough Project et Eastern Congo Initiative, avancent l'idée d'une médiation internationale. Les deux suggestions se rejoignent... Mais le camp Kabila ne veut pas en entendre parler. Et, du coup, les capitales occidentales font profil bas. « Le recomptage des voix de la présidentielle, ce n'est pas possible, confie un diplomate de haut rang, à Paris. En revanche, la France demande un dépouillement moins calamiteux des législatives [qui ont eu lieu le même jour, NDLR]. »
À Kinshsasa, Kabila semblait prêt à faire cette dernière concession. Le 22 décembre, dans la plupart des 169 centres de compilation, la Commission nationale indépendant (Ceni) du très controversé pasteur Ngoy Mulunda a annoncé qu'elle cessait de compter le bulletins des législatives en attendant la mise en place d'une aide technique internationale. Réplique immédiate de Kamerhe : « Les législatives et la présidentielle ont eu lieu le même jour dans les mêmes bureaux de vote. Si l'on accepte l'idée des experts internationaux pour compter les voix des législatives, pourquoi la refuser quand il faut compter les voix de la présidentielle ? » La compilation des résultats a finalement repris le 28 décembre...
"Élection calamiteuse"
Cette péripétie en dit long sur l'embarras des Occidentaux. Ils savent que la réélection de Joseph Kabila a été « calamiteuse », comme le concède notre diplomate français. Mais ils ne veulent pas rebattre les cartes. « Il y a trop de risques de conflit armé », disent les uns. « Tshisekedi n'est pas fréquentable, il n'est pas Ouattara », lancent les autres.
À Bruxelles, Paris et Washington, on se prend à rêver : « Si le dépouillement des législatives est transparent, l'opposition sera peut-être majoritaire dans la prochaine Assemblée. Kabila sera alors forcé de cohabiter avec un Premier ministre qui l'obligera à une meilleure gouvernance. » C'est le scénario du Kenya ou du Zimbabwe. Pas sûr que les millions de Congolais qui ont voté Tshisekedi soient d'accord...
|