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Mauritanie : que vaut la justice ?

Il faut enjamber un muret, traverser un dédale de couloirs poussiéreux, puis grimper quelques marches. Au bout du parcours, baignant dans la pénombre, la grande salle du palais de justice de Nouakchott. Les néons et les rais de lumière qui percent à travers les claustras ne suffisent pas à l'éclairer. Les murs sont nus. Le public patiente sur des bancs en bois sans dossier. Unique note de protocole : la robe rouge et noir du président de la cour criminelle, qui entre par une petite porte.

C'est dans ce décor vieillot et dépouillé que trois jeunes membres d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont été condamnés à mort, le 25 mai, pour l'assassinat de quatre touristes français, en décembre 2007. Le verdict, prononcé après deux jours et demi seulement de procès, n'a pas manqué d'être commenté. Et tous les observateurs mauritaniens ont abouti à la même conclusion : faisant fi de la séparation des pouvoirs - inscrite dans la Constitution -, « Aziz », le chef de l'État, a voulu montrer qu'il ne transigeait pas avec les terroristes. « J'ai suivi le procès, bien sûr, mais je ne suis jamais intervenu auprès des magistrats », se défend Abidine Ould el-Kheir, ministre de la Justice et avocat. Sans convaincre.

« Pour la forme »

L'épisode est emblématique. D'une affaire à l'autre, les quelque deux cent cinquante magistrats mauritaniens éveillent tous les soupçons : inféodés au pouvoir, instruments au service des puissants, marionnettes... Au fil des années, leur discrédit - et celui de l'institution judiciaire en général - est allé grandissant. « La justice est seulement là pour la forme ! » peste Ahmed Salem Bouhoubeyni, le bâtonnier de l'ordre des avocats, s'affairant à côté d'un ordinateur éteint, recouvert d'une bâche.

En décembre dernier, cet ancien étudiant de la faculté de droit de Rabat a défendu un homme d'affaires en vue à Nouakchott, arrêté avec deux autres figures de la place pour « transferts illégaux » après une plainte de la Banque centrale de Mauritanie (BCM). Les trois prévenus ont clamé leur innocence et passé vingt-cinq jours en prison. Puis, un beau soir de janvier, ils ont été libérés après une négociation dans les locaux de la BCM, en présence de son gouverneur, Sid'Ahmed Ould Raiss, et d'un imam, Mohamed Hassan Ould Dedew. « Les avocats n'ont été ni associés ni même informés, s'insurge Bouhoubeyni. Beaucoup d'affaires sont ainsi présentées à la justice et se règlent en dehors de l'institution. »

Un ancien directeur général d'Air Mauritanie, un ancien ministre du Pétrole, un ancien Premier ministre... Ces cinq dernières années, de nombreuses personnalités de premier plan ont eu maille à partir avec la justice au nom de l'Etat de droit. Mais des bizarreries entachent souvent les procédures. Exemples : la Cour suprême ordonne la libération sous caution d'un prisonnier, mais le parquet refuse d'obtempérer au motif qu'il n'a « pas été consulté » ; une instruction ouverte après une tentative de putsch est soudainement clôturée sans raison ; condamné à six mois de prison pour « atteinte aux bonnes moeurs », le journaliste Hanevi Ould Dehah est libéré en février dernier.... plus d'un mois après la fin de sa peine.

Au final, la justice est rendue à la tête du client. « Nous payons pour le passé », explique le garde des Sceaux. Au lendemain de l'indépendance, en 1960, la Mauritanie instaure un systême judiciaire avec le concours de l'ancienne puissance coloniale. Pour son premier président, Moktar Ould Daddah, avocat de formation, c'est un domaine sacré. « Il était capable de mettre un avion militaire à la disposition d'un juge pour une enquête à l'intérieur du pays », rappelle Brahim Ould Ebetty, avocat. A l'époque, la séparation des pouvoirs souffre quelques entorses, mais elles ne sont pas la norme. C'est avec le premier d'une longue série de putschs militaires, en juillet 1978, que la machine judiciaire se détraque. Les Bérets verts en prennent le contrôle. En face, les juges ne sont pas suffisamment armés pour résister.

« Ne rien devoir à l'exécutif »

Un rempart contre la partialité s'écroule quand les magistrats du siège deviennent, de facto, amovibles. « Cela les incite à se comporter en fonctionnaires alors qu'ils sont censés ne rien devoir à l'exécutif », déplore Gaouad Ould Mohamed, magistrat de la première heure, qui a prêté serment en 1964. Nul besoin de corruption matérielle. Craignant d'être mutés en plein Sahara, certains prennent des décisions bienveillantes, voire complaisantes, quitte à anticiper les désirs de l'exécutif. Récemment, un responsable politique s'est plaint des nuisances sonores de son voisin. L'importun s'est tout bonnement retrouvé derrière les barreaux.

Face à un système judiciaire aléatoire, les simples citoyens se retrouvent démunis. Hassiya, 30 ans, vendait des fruits et légumes à Néma, aux confins du Sud-Est mauritanien. Un jour, cette jeune femme désormais mutique a été violemment frappée par une furie, dont le mari aurait eu des vues sur une de ses soeurs. Résultat : Hassiya est paralysée du bras gauche et ne peut plus travailler. Pour toute consolation, le juge lui a proposé 30 000 ouguiyas (90 euros). Une autre de ses soeurs, Messaouda, qui s'exprime en son nom, a refusé. La somme est trop maigre pour payer le médecin (5 000 ouguiyas la consultation environ). La jalouse, quant à elle, n'a pas été inquiétée. Selon Messaouda elle a fait jouer ses relations.

« Nous devons réapprendre l'indépendance »

« Les magistrats doivent réapprendre l'indépendance », martèle Bouhoubeyni. Pourtant, rien ou presque ne les y incite. Ils sont nommés par le chef de l'État, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, une institution qui ressemble à un organe politique. Présidée - comme ailleurs - par le chef de l'État, celle-ci ne compte que trois membres sur onze issus du corps des magistrats. Trop peu pour faire contrepoids. Aucune instance de représentation professionnelle ne les défend. En 2006, cinq juges ont tenté de créer un syndicat, mettant leur démission dans la balance. En pure perte : ils ont été radiés... avant d'être réintégrés.

« Il existe des magistrats honnêtes et indépendants », se défend l'un d'entre eux, agacé par les critiques « systématiques » contre sa profession. Tenu par son devoir de réserve, il s'exprime sous le couvert de l'anonymat, le verbe précis, se référant aux textes. Et explique, mezza-voce, que quelques brebis galeuses font du « zèle », faisant « primer la politique sur le droit sans qu'on le leur demande ».

Gage d'indépendance, peut-être, les salaires des juges viennent d'être augmentés : notre homme touche désormais 2 200 euros par mois, soit trois fois plus qu'un professeur d'université. Le ministre de la Justice promet de « faire respecter l'inamovibilité des magistrats assis ». Des réformes sont également attendues en matière de formation. Pour devenir juge, il faut être titulaire d'une maîtrise de droit - « moderne » ou musulman - et avoir suivi les cours de l'École nationale d'administration et de magistrature. « Ce n'est pas assez, il faut de la pratique », affirme le ministre de la Justice. L'espoir d'un changement est donc permis. Le chef de l'État, Mohamed Ould Abdelaziz, a beau être un militaire, il l'assure à tous ceux qui veulent bien l'entendre : la justice laisse à désirer.

jeuneafrique.com
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