Menacés par la forte concurrence des pays d'Amérique latine, le Cameroun, la Côte d' Ivoire et le Ghana, les trois principaux pays producteurs d' Afrique, ont lancé vendredi à Yaoundé une offensive pour garantir leurs exportations de banane vers le marché de l'Union européenne (UE) en exigeant plus de fonds de soutien de celle-ci par rapport aux autres pays ACP. Une déclaration adoptée au terme d'une concertation par les ministres camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, et ivoirien, Calice Yapo Yapo, puis le vice-ministre ghanéen du Commerce et de l'Industrie, Mahama Ayariga, appelle à des règles de répartition plus équitables d'une enveloppe de 190 millions d' euros à répartir avec 7 autres pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP).
Les 190 millions d'euros représentent les mesures d'accompagnement de la banane décidées par l'UE sur la période 2010-2013 en faveur de 10 pays ACP, à la suite de l'accord de Genève signé le 15 décembre 2009 entre la Commission européenne et les pays latino-américains qui induit un démantèlement progressif des droits de douane applicables sur ce produit. « Nous partons de 176 euros pour aboutir à 114 euros par tonne des droits de douane à l'année 2017 qui seront payés par les pays producteurs de banane latino-américains, tandis que la banane ACP continuera de rentrer sur le marché européen à droit nul », a expliqué Luc Magloire Mbarga Atangana.
Sur la répartition de l'enveloppe, les trois pays africains dénoncent le déséquilibre en leur défaveur avec les pays caribéens dans la prise en compte des intérêts respectifs par leur partenaire européen.
« Nous avons exporté sur la période 67% de banane ACP et nous n' avons reçu que 27% de l'enveloppe budgétaire » dans le cadre du programme précédent qui était en vigueur sur la période 1999-2008, a fait savoir le ministre camerounais du Commerce.
« Dans les Caraïbes, la production de banane est faible, tout au moins leur part dans les exportations. Par contre, s'agissant de l'importance de la banane dans l'économie, beaucoup de ces pays sont à 90%, c'est-à-dire qu'ils prennent le gros de l'enveloppe alors qu'ils ne produisent pas autant que les pays africains », observe-t-il.
D'où la revendication que les fonds alloués par la Commission européenne soient prioritairement consacrés à la production de la banane suivant les trois critères arrêtés, à savoir les tonnages exportés, le poids de la banane dans l'économie et l'indice du développement humain.
En clair, « nous souhaitons qu'à chacun de ces critères soit affecté un pourcentage, en l'occurrence les exportations de banane à 80%, l'importance de la banane dans l'économie à 10% et l'indice du développement à 10% », précise M. Mbarga Atangana.
Avec une production respective de 280.000 tonnes de banane par an, 270.000 t et 36.000 t, la Côte d'Ivoire, le Cameroun et le Ghana représentent près des deux tiers des approvisionnements ACP en direction de l'UE et passent pour les seuls « à pouvoir développer et soutenir une industrie bananière face à nos concurrents féroces de la zone dollar », a noté M. Mbarga Atangana.
Pour lui, l'accord de 2009 signifie "une baisse de notre préférence tarifaire qui induit donc un certain de difficultés du fait du différentiel de compétitivité entre la banane latino- américaine et la nôtre. Il nous faut donc procéder à une restructuration de fond de la filière bananière dans nos pays pour pouvoir rester présents et donc compétitifs sur le marché européen à partir de 2017 ».
« Il y a que les pays eux-mêmes doivent envisager leur industrialisation. Auparavant, il y avait eu des appuis de cette sorte-là qui avaient consisté à demander aux pays de faire de la diversification », a pour sa part commenté le ministre ivoirien du Commerce réagissant à une question de Xinhua sur l'enjeu de la transformation locale.
Sur les 280.000 tonnes de banane produites annuellement par la Côte d'Ivoire, 240.000 tonnes sont exportées vers l'Union européenne, tandis que seulement 30.000 tonnes sont écoulées sur le marché régional de l'Afrique de l'Ouest et 10.000 tonnes sont consommées localement.
« Nous avons en Côte d'Ivoire de grands producteurs qui travaillent à développer une grande industrie bananière. Mais il y a aussi la situation des petits producteurs. Dans les années passées, les programmes qui avaient été développés ont eu pour conséquence pratiquement la perte des petits producteurs. Et ce que nous envisageons, c'est de pouvoir utiliser ces ressources afin que les plantations individuelles puissent renaître », a annoncé le ministre Yapo Yapo.
« Bien sûr, l'enjeu c'est la transformation. Mais, il faut dire que pour la transformation, on a besoin de moyens. Et les moyens qui viennent de l'Union européenne, il faut bien que les critères clairs soient définis pour que ces moyens-là soient répartis et qu' ils nous permettent de développer notre industrie », a-t-il poursuivi.
Lors des indépendances au début des années 60, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, Madagascar et la Guinée faisaient partie de ce que l'on appelait les accords Debré en France. Autrement dit, ces pays jouissaient d'un marché protégé, avec un prix garanti, mais avec des volumes limités. Sauf que la conséquence est qu'au Cameroun par exemple, « nous n'avons pas pu développer notre production », reconnaît le ministre Mbarga Atangana.
« Et c'est pour cela qu'aujourd'hui, observe-t-il encore, se pose le problème de notre retard par rapport à l'Equateur. L' Equateur est moins grand que le Cameroun, mais l'Equateur produit 5 millions de tonnes de banane, simplement parce qu'il évolue dans un marché libre ».
Selon lui, la nécessité de réviser la politique d'exportation de la banane s'impose. « Hier, l'Europe était le seul débouché parce que la production était faible. Aujourd'hui avec la mondialisation, il faut regarder certes vers l'Europe, mais aussi ailleurs. D'où l'intérêt de développer les marchés régionaux. Le ministre Yapo a parlé du marché de l'Afrique de l'Ouest, mais nous avons le marché du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient ; il y a le marché de l'Afrique australe. Mais pour cela, il faut que nous puissions mieux maîtriser nos coûts de production », préconise-t- il.
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