Statuettes et imposantes statues, fauteuils recouverts de peaux d'animaux, couvre-chefs cousus de plumes d'oiseaux rares, crânes humains, etc. Tout un éventail du patrimoine sacré des chefferies traditionnelles bamiléké, peuple de l'Ouest du Cameroun, célébré du 9 au 25 juillet à Bangangté, ville de la région, par le 10e Festival des arts et de la culture Medumba.
Univers dominés par le mystique, les chefferies traditionnelles bamiléké, par le pouvoir des élus aux trônes, symbolisent un trait d'union entre leurs communautés et les ancêtres. D'où la présence de divinités, source de croyances populaires, qui automatiquement en appellent à l'interdit. Parsemés de codes, ces univers s'apparent à des lignes rouges. De facto, les Bamiléké, une des quelque 250 ethnies du Cameroun, se distinguent par un attachement presque viscéral à leurs traditions et un respect quasi absolu au chef, sorte de monarque.
"Les Badoumnga sont traditionnalistes. Le chef est le maître suprême et le gardien de la tradition. C'est lui qui communique avec Dieu", a déclaré à Xinhua Joseph Banja, responsable du stand de la chefferie Badoumnga au festival Medumba.
Organisé depuis 2000 à Bangangté, chef-lieu et principale ville du département du Ndé, ce festival vise à promouvoir l'unité et la solidarité entre les ressortissants de ce département. En bonne place lors de l'édition 2010, une exposition d'objets d'art dédiée aux 14 chefferies traditionnelles qui couvrent cette partie du territoire camerounais, à quelque 280 km de Yaoundé, la capitale du pays.
Frère du chef supérieur Badoumnga, Sa majesté Louis Ngamou, descendant d'une monarchie qui tire ses origines entre le 17e et le 18e siècle, Joseph Banja est désigné sous le nom de "moumafeuh". A l'en croire, ce peuple provient de Yembetta, localité du département du Mbam-et-Inoubou, dans la région du Centre, frontalière de l'Ouest.
La légende raconte que cette communauté a été fondée par trois frères chasseurs, Mbalkam dit feuh (chef) Ngouégno, Meukomou dit feuf Meuko et Ntayong devenu fon Nchada, partis de Yembetta pour suivre les traces des animaux avant de prendre pied à Bassamba, dans le Ndé.
"A leur arrivée, les trois frères sont devenus chefs. Lors de la pénétration des Blancs, il avait fallu désigner un porte-parole parmi eux. Les deux aînés s'entendirent pour attribuer ce rôle à leur cadet", confie Joseph Banja. C'est ainsi que Ntayong deviendra fon Nchada, le chef des chefs.
Comme dans les autres chefferies bamiléké, la consécration du chef Badoumnga s'accompagne de rites spéciaux. Tout d'abord, il est introduit dans un endroit appelé "laakam" pour une initiation de trois mois. "On attrape une fille qui va subir cette initiation avec le chef en tant que sa future épouse", révèle Joseph Banja.
Entre le chef et sa partenaire s'ensuivra une période d'accouplement devant donner lieu à la naissance d'un enfant, désigné par "toukam", c'est-à-dire le premier enfant du chef, qui n'est pas nécessairement l'héritier au trône. "Le chef choisit son successeur en fonction de la qualité des rapports avec un de ses enfants", explique M. Banja.
Par les symboles sous forme de sculptures et autres objets d'art de la cour royale, le stand de la chefferie Badoumnga au festival Medumba laissait découvrir une statue géante représentant un soldat armé d'un fusil.
C'est le "matinja" ("tchinda" chez d'autres communautés bamiléké) chargé de la sécurité du chef. Portant une calebasse, le serviteur fait également partie du cercle restreint.
C'est connu, les Bamiléké ont des liens très profonds avec les morts qu'ils invoquent lors des moments difficiles par le biais de leurs crânes protégés en des lieux sûrs. Mais, selon Joseph Banja, "les Badoumnga croient aux crânes, mais ils ne les touchent pas. Ils les représentent simplement par des symboles".
Outre les Badoumnga, le département du Ndé est composé de Bangangté, Bahouoc, Bangoulap, Bamena, Bamaha, Bazou, Batchingou, Bawock Nfengamfa, Bangang-Fokam, Bakong, Banyum, Bangoua et Balengou. Avec quelques nuances, l'héritage culturel sauvegardé par les 14 communautés et incarné par leurs chefferies est presque identique.
Se présentant comme un chercheur en artisanat de récupération, Valentin Samuel Djoko s'est spécialisé dans la fabrication des artifices royaux. Parmi ses oeuvres, un siège du pouvoir orné de cauris et assorti de tabourets et d'abat-jours. Le meuble retient également l'attention avec des fourrures d'antilopes et des cornes de buf, symboles du courage et de la bravoure "en tant que trophées de chasse".
"Reine-mère", c'est-à-dire la maman du chef, à la chefferie Bahouoc, Jacqueline Tchoudja, alias "mafeun", a pour sa part opté pour la broderie des vêtements traditionnels au rang desquels les boubous des dignitaires de la cour royale, communément appelés notables. C'est une femme fortement imprégnée de la culture de son terroir dont elle a la maîtrise des secrets en tant que par ailleurs cadette de jumeaux d'abord puis mère de jumelles elle- même, "magne".
"Le festival [Medumba] représente l'expression et l'engagement des fils du Ndé à valoriser davantage ce véhicule de culture à travers ces objets d'art sur l'histoire de la culture du Ndé. Depuis quelques années, la culture a perdu sa dimension. Les Camerounais relèguent les valeurs fondamentales de notre culture au second plan. Les langues vernaculaires ne sont pas préservées", a cependant commenté Mathieu Teyomnou, responsable d'une compagnie d'assurance.
Se félicitant plutôt de l'enracinement culturel des générations successives, Joseph Banja évalue à seulement 2% le nombre des ressortissants Badoumnga qui ne respectent plus les traditions.
french.news.cn/afrique