Le Port autonome d'Abidjan a enregistré une hausse de 8,8% de son trafic en 2009. © Vincent Fournier pour J.A
Les lignes commerciales bougent, la géographie des escales se redessine. Épargné par la crise, le marché africain a le vent en poupe. Opérateurs à l’affût, nouvelles infrastructures… État des lieux du secteur.
Dans les ports africains, 2009 n’aura pas été une année sinistrée. Toujours confronté à des problèmes de lenteur, à des infrastructures parfois désuètes ou à des capacités insuffisantes, le secteur aura même connu plusieurs évolutions favorables. Des grands projets annoncés avant la sévère crise qui a frappé le transport maritime à la fin de 2008, plusieurs ont ainsi vu le jour. L’opérateur dubaïote DP World a notamment inauguré en début d’année son nouveau terminal djiboutien, à Doraleh, capable d’accueillir des bateaux de très grande capacité et situé à l’entrée du canal de Suez. En fin d’année, le port de Ngqura, à Port Elizabeth (Afrique du Sud), accueillait également son premier porte-conteneurs, après des années de développement sous la conduite de l’opérateur sud-africain Transnet. À eux deux, DP World et Transnet auront investi environ 1,5 milliard d’euros dans ces deux créations portuaires. Certes, de nombreux projets de création ou de modernisation, de Mombasa au Kenya à Enfidha en Tunisie, de Djen-Djen en Algérie à São Tomé, restent à mener à bien. Mais l’inquiétude qui a frappé les observateurs à la suite de l’effondrement de l’industrie maritime mondiale a-t-elle lieu d’être sur le continent ?
En réalité, la situation est contrastée selon les régions. L’Afrique occidentale, par exemple, aurait été largement protégée des courants contraires qui ont frappé l’industrie maritime. « De Dakar à Luanda, on s’en est plutôt bien sorti, souligne Yann Alix, professeur à l’École de management de Normandie et habitué des ports africains. Les exportations, pour l’essentiel du pétrole, des minerais, du café ou du coton, ont continué à progresser correctement, et les importations, principalement des biens de consommation et des matières premières agricoles, se sont maintenues, car la crise économique internationale a eu relativement peu d’impact en Afrique. » Ainsi, dans le golfe de Guinée, l’activité des ports africains a bien résisté. Le Port autonome d’Abidjan, l’un des piliers de la zone, a enregistré, selon les termes de son directeur général, « une année positive, avec un trafic global de 24 millions de tonnes, en croissance de 8,8 % par rapport à 2008 ». Dans le transport de conteneurs en particulier, activité largement affectée par la crise au niveau mondial, l’Afrique occidentale s’en est en effet plutôt bien sortie, certains ports, comme celui de Douala, affichant même une hausse des volumes en 2009.
Poids croissant du Nigeria
En Afrique australe, la situation est un peu différente. Selon Yann Alix, l’Afrique du Sud a connu « une chute des exportations [liée à une diminution des commandes passées par les pays touchés par la crise, NDLR] et, parallèlement, beaucoup moins d’importations en raison de la baisse du pouvoir d’achat local ». Le résultat de Port-Louis, à Maurice, a de son côté reculé au premier trimestre 2009 de 11 % par rapport à la même période de 2008. Idem en Afrique du Nord, où une diminution du trafic s’est fait sentir. Le tout jeune port de Tanger Med, qui tablait initialement sur un trafic de 1,6 million de tonnes, a revu ses objectifs à la baisse de près de 20 %. Dans leur ensemble, l’activité des ports marocains a fléchi de 5,9 %. Outre la morosité du contexte économique mondial, la récolte locale record de céréales explique aussi la baisse des importations.
Reste que, difficultés conjoncturelles ou pas, la mutation du secteur maritime africain se poursuivra, estiment les experts. Parmi les évolutions probables, certaines sont évidentes, comme l’importance croissante du Nigeria. D’autres sont plus subtiles, comme le poids grandissant d’un autre grand pôle économique, l’Éthiopie. « Le Nigeria absorbera beaucoup d’investissements d’infrastructures, du fait de son marché intérieur et de son dynamisme économique, souligne Dominique Lafont, directeur général de Bolloré Africa Logistics. Quant à l’Éthiopie, elle ne peut pas avoir qu’un seul corridor d’accès, d’autres se développeront. »
La géopolitique des lignes maritimes devrait par ailleurs continuer son évolution. Déjà, croissance phénoménale des échanges entre l’Afrique et l’Asie oblige, les routes directes entre les deux continents se sont multipliées. Jusqu’à Abidjan, les ports africains sont reliés à l’Asie en passant par l’Afrique du Sud : les deux géants maritimes chinois, Cosco et China Shipping, disposent désormais tous deux de lignes reliant le golfe de Guinée à l’Asie par la pointe australe de l’Afrique. Tout comme le singapourien Pacific International Lines. Et, pour les lignes reliant l’Asie au nord de l’Afrique, de l’Égypte au Sénégal, l’utilisation du canal de Suez est même parfois remise en question. Le nombre de bateaux transitant par le canal s’est effondré de 20 % en 2009, ce qui s’explique en partie par la peur de la piraterie qui sévit au large des côtes somaliennes. Confrontés aux risques d’attaque, nombre de navires évitent désormais la zone et notamment les plus vulnérables, les pétroliers. Plus long, le contournement de l’Afrique par le sud pour relier la Méditerranée n’en est pas forcément beaucoup plus cher, en raison du prix pour emprunter le canal de Suez, des surplus de salaires à verser aux équipages, des assurances dont le taux des polices a été multiplié par deux, mais aussi en raison de la baisse des cours du pétrole et des taux de fret.
À long terme, une chose est donc certaine : il est nécessaire de développer les capacités portuaires en Afrique australe, d’autant que le principal port, Durban, est surfréquenté. L’Afrique du Sud (avec notamment les débuts du port de Ngqura) et Maurice entendent ainsi augmenter respectivement d’un tiers et de moitié leur capacité en conteneurs dans les années à venir. Les travaux à Maputo (Mozambique), à Walvis Bay (Namibie) et même à Pointe-Noire (Congo) répondent également en partie à cette volonté d’offrir un hub aux navires venant d’Asie. « Aujourd’hui, rares sont les ports africains à pouvoir accueillir de grands navires, explique un négociant. Du coup, les lignes maritimes sont construites autour d’une succession de ports de taille moyenne. »
Dakar, idéalement situé
L’autre phénomène, beaucoup plus marginal pour l’instant, est l’apparition progressive d’un axe reliant l’Amérique du Sud à l’Afrique. Une tendance qui devrait se renforcer. « C’est ce que j’appelle l’apparition de la logique triangulaire, avec des lignes Europe-Afrique de l’Ouest-Amérique du Sud », souligne Yann Alix. L’implication grandissante du Brésil en Afrique (Jeune Afrique n° 2562), via notamment les secteurs agro-industriels et extractifs, pourrait être l’élément déclencheur de l’augmentation du trafic maritime entre les deux zones. CMA CGM propose ainsi une ligne reliant l’Amérique, la Méditerranée et le Sénégal. La compagnie italienne Grimaldi Lines, opérateur de niches, a quant à elle développé deux lignes directes : l’une entre le Brésil et l’Angola, l’autre reliant plusieurs pays d’Amérique du Sud au Sénégal. Le port de Dakar, renforcé par le Port du futur, qui doit y être construit d’ici à 2012, a d’ailleurs un rôle certain à jouer dans ce commerce maritime entre l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique, du Nord et du Sud. La ville sénégalaise est en effet idéalement située par rapport aux principales économies du continent que sont les États-Unis et le Brésil, et à l’entrée nord du golfe de Guinée. Mais Dakar se voit confronté à des ambitions concurrentes. Puissante économiquement, stratégiquement placée, la Guinée équatoriale cache ainsi de moins en moins sa volonté de devenir un hub portuaire, tout d’abord dans la logistique pétrolière.
La nouvelle physionomie des lignes maritimes africaines n’est toutefois pas encore clairement déterminée. Car les enjeux auxquels sont confrontés les professionnels du secteur restent présents. Le premier d’entre eux tient au développement des infrastructures adéquates. Les investissements en cours à Dakar, à Pointe-Noire, à Tanger, à Abidjan, à Luanda sont des signes positifs. Mais les difficultés économiques ou capitalistiques de certains opérateurs, de DP World à CMA CGM, peuvent inquiéter. Le premier doit encore en effet consentir de lourds efforts financiers en Algérie, et le second avait pris le pari, entre autres, de construire un port en eau profonde à São Tomé d’ici à 2016, pour 316 millions d’euros. Le soutien réaffirmé des principaux financiers de ces projets, les banques de développement comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, laisse toutefois penser que ces travaux auront lieu. De même, le méga-projet de construction du port d’Enfidha, en Tunisie, pour 1,1 milliard d’euros, fait l’objet d’incessants atermoiements.
D’autres problèmes seront à résoudre. « Plusieurs grandes multinationales, que ce soit dans le transport maritime, comme Everest, ou dans les ports, comme PSA, ne s’intéressent toujours pas à l’Afrique subsaharienne, explique un expert maritime. Parmi les raisons, le fait que cette région n’est pas située sur une grande ligne maritime et qu’en somme il n’y a pas réellement de place pour un grand port de transbordement comme à Dubaï ou Hong Kong. L’Afrique subsaharienne n’intéresse pour l’instant que les acteurs capables d’associer logistique terrestre et maritime. »
Remplissage des bateaux
Un enjeu réel car, au sud du Sahara, une grande partie des conteneurs repartent à vide. CMA CGM, l’un des rares acteurs à s’être véritablement imposé sur la zone, l’a vite compris. Il s’est d’abord associé à Bolloré, dont la filiale Bolloré Africa Logistics règne sur le transport terrestre. Puis s’est rapproché du groupe agro-industriel Advens pour reprendre la compagnie cotonnière Dagris, rebaptisée depuis Geocoton. Avec un pacte limpide : CMA CGM apporte sa surface financière à l’opération ; en échange, les filiales de Geocoton utilisent les bateaux du groupe maritime français pour exporter leur coton conteneurisé. Dans la même logique d’efficience dans le remplissage des bateaux, un autre géant des conteneurs, MSC, a choisi de s’associer à l’autre leader logistique régional, Necotrans-Getma. Maersk est quant à lui à la fois présent dans les lignes maritimes et à terre, sur les ports du continent, tandis que DP World s’est rapproché de la société exploitant le chemin de fer reliant le Sénégal au Mali. Une stratégie indispensable pour donner un sens aux méga-investissements en cours dans l’Afrique entière. « Le transbordement est un axe de développement pour l’Afrique, mais le mieux est de le coupler avec une logique de desserte d’une grande zone économique intérieure », prévient Dominique Lafont, arguant de la grande volatilité de l’activité.
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