Abidjan : un district de 2 119 km², 10 communes et 9 millions d'habitants. © D.R.
Elle continue de fasciner les artistes du monde entier. Ses habitants adorent son ambiance, mais peinent à supporter son quotidien. Comment la ville, dont la population a plus que doublé en trente ans, sort-elle d’une décennie de crise politique ?
Abidjan attire, fascine, inspire les artistes. Depuis cinquante ans, écrivains, cinéastes et chanteurs l’examinent sous toutes les coutures. Les œuvres de ces témoins privilégiés nous restituent ses mutations démographique, physique, économique et sociale à travers les régimes successifs.
Le gouverneur général français, François Reste de Roca, lui prédit un futur radieux quand elle devient la capitale de la colonie de Côte d’Ivoire, le 7 août 1934 : « Voyez […] Abidjan, que nous fêtons aujourd’hui, la grande ville de l’avenir, car le jour est proche où les navires mouilleront dans son port : alors elle deviendra le grand entrepôt de tout le monde. »
Avec la Seconde Guerre mondiale puis les années précédant la décolonisation, c’est le temps des intrigues. Dans l’opinion populaire, on l’imagine nid d’espions et repaire des voyous en col blanc. Dans Le Gentleman de Cocody (1964), Jean Marais incarne un diplomate en poste à Abidjan ; ce dernier rencontre Baby, une ravissante chasseuse de papillons, qui s’avère être le chef d’un gang à la recherche de l’épave d’un avion contenant des diamants. Au début des années 1960, Abidjan est « la perle des lagunes », « le petit Paris ». Le musicien congolais Tabu Ley Rochereau compare alors la ville à Montréal (« Belle Abidjan, rendez-vous des grands cœurs / […] Abidjan, belle métropole / […] Abidjan, tu as le monopole / Comme tu ressembles à Montréal. »)
Un réel pouvoir de séduction
Après l’indépendance, la métropole ivoirienne exerce un fort pouvoir de séduction. L’ancienne cité des colons devient le centre administratif et des affaires du pays. Elle abrite la présidence et les ministères. Les quartiers du sud et de l’est de la ville, en direction de l’aéroport international et des plages, sont pris d’assaut par les Européens et la classe moyenne. Cocody est déjà le quartier chic. On y trouve la résidence présidentielle, l’ambassade de France et l’hôtel Ivoire, qui, avec sa piscine, ses tennis et la seule patinoire d’Afrique, ne désemplit pas.
La ville connaît alors, comme tout le pays, deux décennies de prospérité, grâce à son port, au développement des exportations agricoles (cacao, café) et à l’industrialisation autour du canal de Vridi. Elle est le fer de lance d’une croissance ivoirienne qui dépasse les 10 % par an entre 1960 et 1965. On y recrute à tour de bras une main-d’œuvre affluant de toute la sous-région.
À la fin des années 1970, la chute soudaine des cours du cacao affecte directement la métropole, mais n’enraye pas l’exode. Des quartiers d’habitat précaire essaiment un peu partout. Les années de « vaches maigres », puis les plans d’austérité achèveront de provoquer sa dégradation.
L’espace urbain n’est plus maîtrisé, la pauvreté s’accroît. Les immigrants déchantent vite. Dans Pain sucré (1987), la romancière américaine Mary Lee Martin-Kone décrit l’arrivée d’une jeune villageoise attirée et piégée par les lumières de la ville. Un Attiéké pour Elgass (1993), de Tierno Monénembo, livre une image déplaisante des exilés guinéens dans la métropole. Le documentariste Jean Rouch, dans Moi, un Noir, avait décelé les prémices d’une grande fracture urbaine dès 1958, racontant l’expérience de jeunes Nigériens en quête de travail et échouant dans les quartiers populaires de Treichville.
Mais Abidjan, c’est aussi ses plaisirs, notamment dans la rue Princesse, qui a donné son nom, en 1993, à l’un des films de feu Henri Duparc. Le Franco-Guinéen a tourné plusieurs longs-métrages dans la métropole, où il avait élu domicile.
La Bible et la bière, la loi des deux « B »
La calamiteuse succession de Félix Houphouët-Boigny, le coup d’État de 1999 et la rébellion de 2002 creusent encore les inégalités. Dans ses Chroniques abidjanes (2007), Albert Taïeb dépeint les vicissitudes de la vie dans la capitale économique. La ville connaît une dégradation générale de ses infrastructures, les quartiers d’habitat précaire s’étendent, l’insalubrité et la pollution s’installent.
Depuis la crise, les églises évangéliques, refuges d’habitants en proie au mal-être, poussent au même rythme que les maquis. À Abidjan règne « la loi des deux b » : la Bible et la bière. L’insécurité aussi. C’est le sujet de Bronx-Barbès (2000), d’Éliane de Latour, un film où deux jeunes cherchent refuge au sein des gangs des deux quartiers.
Dans un autre style, les musiciens de la nouvelle génération – Billy-Billy, Yodé et Siro, Garba 50… – n’ont pas leur pareil pour décrire l’atmosphère actuelle de la ville, la cruauté de ses 72 bidonvilles et la misère quotidienne des petites gens. Il en va de même des caricaturistes de l’hebdomadaire satirique Gbich !, qui campent la vie des Abidjanais à travers des personnages emblématiques : le sergent Deutogo (en nouchi, argot des jeunes abidjanais, 1 togo = 100 F CFA) rackette à chaque carrefour ; Cauphy Gombo, l’avide « biznessman », est toujours en quête de nouvelles combines ; Gazou, la doubleuse, court après l’argent des « assoiffés de sexe », mais les laisse à chaque fois sur leur faim à l’heure de passer à l’acte… Une satire sociale également palpable dans Le Virus (2007), de la comédienne et réalisatrice Bleu Brigitte, tourné à Yopougon, à Cocody et au Plateau.
Quel avenir pour Abidjan ? Les urbanistes parlent de l’émergence d’un « monstre urbain » dont les autorités, dépassées par la poussée démographique impressionnante, ne contrôlent plus l’essor. De 4 millions d’habitants aujourd’hui, elle devrait passer à 10 millions en 2050. La ville est engorgée, insalubre. À la saison des pluies, la mort rôde : maladies, éboulements de taudis. Il est urgent de réagir.
Un plan décisif
Un think-tank d’ingénieurs, d’architectes et d’urbanistes a concocté le plan de développement du Grand Abidjan : Abidjan 2050. Ils proposent de créer de nouveaux pôles de vie, de construire des ponts sur la lagune, de multiplier les transports publics, de réintroduire des espaces verts. Il faudra surtout trouver des moyens financiers, que seule la fin de la crise politique permet d’espérer.
Pour le reste, comme le dit Yacouba Konaté, professeur de philosophie à l’université de Cocody, Abidjan, ce sera toujours « les vitrines des magasins, les défilés de mode, les concerts de musique, les matchs de football, les foires, les baratins des bonimenteurs à la Sorbonne, les soirées d’enfer rue Princesse ou place Ficgayo, la rivalité ancienne entre Adjamé et Treichville, le voisinage compétitif entre Yopougon et Abobo… Sans ceci et cela, Abidjan ne serait plus vraiment Abidjan. »
Source: http://www.jeuneafrique.com
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