L'épreuve (Côte d’Ivoire)

Parce qu’il n’a pas imaginé devoir quitter le pouvoir et qu’il n’a pas trouvé en lui la force de se résigner au verdict des urnes, Laurent Gbagbo a entraîné sa faction dans l’aventure sans issue de l’occupation-usurpation des lieux du pouvoir.

Il a pu rassembler autour de lui quelques milliers d’égarés, conserver des attributs de ce pouvoir et tenir trois semaines. Mais cela ne peut pas réussir, ni même durer. Cette triste équipée est, à mon avis, condamnée à s’effilocher ; ses auteurs seront poursuivis et sanctionnés.

À la fin de cette année, un mois de plus aura tout de même été perdu pour cette Côte d’Ivoire qui ne s’est jamais vraiment mise au travail tout au long des dix années Gbagbo : ni elle, ni ses voisins, ni l’Afrique ne sortiront gagnants de cette stupide et coûteuse « prolongation de crise ».
L’intérêt général et la défense des idéaux démocratiques nous commandent cependant de continuer à soutenir les Ivoiriens et à les accompagner jusqu’à ce que le dernier mot soit revenu à la loi des urnes.

La faction Gbagbo cherche à accréditer la légende qui voudrait que son chef serait « le grand défenseur de la souveraineté nationale » et que « ses positions tranchées lui ont valu l’hostilité de la France, de l’Europe, des États-Unis et plus généralement, disons-le, des Blancs ».
Il serait à ce titre l’héritier de Sékou Touré et un nouveau Robert Mugabe.
Cette faction tente de faire accroire aussi qu’il y a ingérence dans les affaires ivoiriennes et qu’en certifiant les résultats du scrutin du 28 novembre l’ONU a fait montre de partialité en faveur d’Alassane Ouattara au détriment de Laurent Gbagbo.
Malheureusement pour elle, l’Europe et les États-Unis n’ont fait que parler plus haut que l’Afrique et se faire davantage entendre. C’est cette dernière, pour une fois unanime, qui soutient le plus activement qu’Alassane Ouattara est le président élu de Côte d’Ivoire. Et qui désavoue Laurent Gbagbo pour ne pas s’être incliné devant le verdict des urnes.
L’Union africaine et la Cedeao se sont prononcées très nettement dans ce sens, ainsi que leurs États membres. Et, fait nouveau, artistes, sportifs et intellectuels, le Prix Nobel Wole Soyinka en tête, en ont fait autant.

En revanche, je n’ai entendu personne défendre Gbagbo de façon calme et argumentée : si quelqu’un croit avoir de bonnes raisons de le faire, les colonnes de ce journal lui sont ouvertes.
Si Gbagbo n’a (presque) personne avec lui, en dehors de sa faction et de ceux qui craignent que son départ ne leur fasse perdre leurs privilèges, c’est que sa tentative d’usurper le pouvoir, si par malheur elle réussissait ou seulement durait, ou si elle conduisait à considérer l’usurpateur comme un partenaire avec lequel il convient de négocier, créerait le plus fâcheux des précédents.
Plus aucun détenteur du pouvoir politique dans son pays n’accepterait de le quitter par les urnes. Il n’y aurait plus d’alternance possible, et le mouvement qui conduit laborieusement les pays africains vers la démocratie serait stoppé.
Nous reviendrions alors vers le régime honni des présidents à vie, vers la dictature.
C’est parce qu’il n’y a personne au monde qui veuille cela et parce que les Africains dans leur grande majorité ne l’acceptent plus que l’aventure de Gbagbo est vouée à l’échec.
Mais le plus tôt sera le mieux.

Il faut par conséquent non pas appeler Ouattara et Soro à plus de patience, comme le font quelques irresponsables, mais les encourager à agir, à prendre des initiatives et des risques pour mettre fin à l’usurpation et déloger les usurpateurs des lieux du pouvoir.
Puisqu’ils ont décidé de le faire, après avoir donné du temps au temps, le devoir de tous ceux qui en ont les moyens est de les soutenir et de les aider.

Ce qu’ils ont à accomplir et qu’ils tentent en ce moment même de réaliser est à la fois simple et très difficile. Il leur faut, si possible sans violence, mais très vite et quoi qu’il en coûte, retirer aux usurpateurs, pour les remettre entre les mains du gouvernement qu’ils ont constitué, les instruments de pouvoir indûment conservés par la faction Gbagbo.
À savoir :
– le commandement de l’armée et des services de sécurité ; l’autorité sur l’administration préfectorale ;
– l’administration des finances publiques et la trésorerie de l’État ;
– les moyens de communication avec la population, dont notamment la télévision.
N’en doutez pas, ce sera difficile : une redoutable épreuve de force s’est engagée entre, d’une part, Gbagbo et ceux qui le suivent et, d’autre part, le président que les Ivoiriens ont élu et son gouvernement.
L’expression de « faction Gbagbo » que j’ai utilisée ci-dessus à plusieurs reprises est réductrice, j’en suis conscient : Gbagbo a rassemblé autour de lui plus qu’une faction.
Il a suscité des fidélités et s’identifie lui-même au personnage qu’il s’est construit : à la manière d’un George W. Bush, il se croit investi d’une mission divine qui l’autorise à faire la guerre, à aller jusqu’au bout de sa logique insensée ; faire tuer et au besoin mourir ne l’effraient pas…
Son orgueil lui interdit de reculer et, dans son proche entourage, on compte des hommes et des femmes mus par une exaltation mystico-religieuse qui les a éloignés de toute rationalité.

Le 28 novembre, 46 % des électeurs ivoiriens lui ont donné leurs voix. Combien sont-ils à continuer de croire en lui, à le soutenir dans sa volonté de maintenir leur pays dans la crise ? Nul n’est capable de le dire.
Il faut espérer qu’ils seront de moins en moins nombreux et que la grande majorité des Ivoiriens approuvera l’action entreprise par Alassane Ouattara et son gouvernement pour déjouer la tentative de Gbagbo de faire perdurer la crise.
Lorsqu’ils y seront parvenus, et seulement alors, les Ivoiriens pourront dire que le président élu par la majorité d’entre eux le 28 novembre et son gouvernement sont enfin en état d’exercer leurs fonctions.
Et qu’ils sont désormais comptables de l’avenir de la Côte d’Ivoire, dont ils auront à panser les plaies laissées par une trop longue crise, commencée à l’aube du 24 décembre 1999.

jeuneafrique.com
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