ABIDJAN, 29 décembre (Xinhua) -- L'élection présidentielle du 28 novembre censée réunifier le pays et y ramener la paix a plongé la Côte d'Ivoire dans une grave crise institutionnelle avec deux présidents de la République proclamés, deux Premiers ministres, deux gouvernements et deux armées qui se regardent en chiens de faïence.
A l'issue d'un deuxième tour du scrutin tenu entre couvre-feu nocturne et incidents parfois violents, la Commission électorale indépendante (CEI), après de fortes pressions, menaces, intimidations et empêchements physiques des partisans du président sortant Laurent Gbagbo, proclame le candidat de l'opposition, M. Alassane Ouattara, vainqueur de l'élection présidentielle.
Le lendemain, le Conseil constitutionnel invalide les résultats en estimant la CEI forclose, et déclare Laurent Gbagbo élu après annulation, en raison de fraudes, des votes de neuf départements du centre et du nord du pays favorables à son adversaire.
L'ONU, par la voix de son représentant à Abidjan, M. Choi Young-jin, rejette les allégations de fraudes et confirme la victoire d'Alassane Ouattara.
Les deux candidats prêtent serment comme président de la République, M. Laurent Gbagbo s'adossant "au droit et aux lois de la République", M. Alassane Ouattara dénonçant une tentative de confiscation du pouvoir par le président sortant et le pays se retrouve avec deux présidents proclamés.
D'un côté, un président reconnu par la communauté internationale mais retranché dans un hôtel à Abidjan avec son équipe.
De l'autre, un président qui a la main mise sur l'appareil d'Etat avec le soutien de l'armée.
Le pays s'enlise dans l'impasse alors que le scrutin était présenté comme la porte de sortie de la crise ouverte en septembre 2002 avec la tentative de renversement du régime de M. Laurent Gbagbo muée en une rébellion armée qui s'est installée dans la moitié nord du pays.
Pour les partisans de M. Alassane Ouattara, l'annulation des votes des régions du centre et du nord consacre à la partition du pays avec des risques de reprise de la guerre.
"Exclure près d'un million d'électeur, c'est chercher à créer un conflit grave dans le pays", affirment-ils.
Environ 5,7 millions d'Ivoiriens étaient inscrits sur la liste électorale.
Pour ce ressortissant du centre du pays, Antoine Kouadio Kouamé, annuler son vote "est une exclusion".
"C'est comme si l'on me déniait ma nationalité et ma citoyenneté", martèle-t-il, relevant que la question de la nationalité est le nœud gordien de la crise ouverte en septembre 2002 et menée par des ressortissants du nord du pays s'estimant marginalisés.
Un observateur de la vie politique ivoirienne s'inquiète. Ce "bras de fer juridique" entre les deux camps "ne peut que faire basculer le pays dans la violence", prévient-il.
Les dérives tribales, régionalistes ou religieuses, les affrontements intercommunautaires se multiplient et les risques de confrontation armée s'amplifient.
Avec sa nomination comme Premier ministre et ministre de la Défense, Guillaume Soro reprend la tête de son armée qu'il met à la disposition de M. Alassane Ouattara, signant l'arrêt de mort de l'accord politique de M. Ouagadougou qui avait fait de lui le Premier ministre de M. Laurent Gbagbo.
L'accord conclu en mars 2007 entre les ex-belligérants ivoiriens, sous la médiation du président burkinabé Blaise Compaoré, avait permis une accalmie sur le terrain politique, le démantèlement de la zone tampon entre les deux forces armées et un embryon de la nouvelle armée nationale, suscitant l'espoir d'une paix retrouvée et de la réunification du pays avec la tenue de l'élection présidentielle maintes fois reportée depuis 2005.
"Il n'y aura pas de guerre, pas de partition du pays", a assuré M. Laurent Gbagbo lors d'une rencontre avec des populations au Palais présidentiel.
"Asseyons-nous et discutons", avait-il lancé, faisant une offre de négociation.
Une brèche dans laquelle se sont engouffrés des religieux, des diplomates et des membres de la société qui proposent une solution politique à la crise post électorale.
Pour Pierre Bleu, enseignant d'histoire à l'université d'Abidjan-Cocody, les conflits post électoraux naissent "des élections mal organisées et des résultats mal gérés", il conviendrait de faire en sorte "que le pays soit co-dirigé, que le pouvoir soit partagé pour freiner les ardeurs des uns et des autres".
"L'idée d'un gouvernement d'union se profile à l'horizon mais qui de Gbagbo ou Ouattara va diriger ce gouvernement ?", s'interroge un analyste qui rappelle, pessimiste, que, depuis plus de 10 ans, les partis d'opposition et le parti au pouvoir ont cohabité dans les gouvernements successifs "d'ouverture", "d'union" ou "de transition".
Le camp Ouattara est catégorique. "Le statut du président de la République de M. Alassane Ouattara n'est pas négociable. Il faut que Laurent Gbagbo reconnaisse sa défaite et qu'il rende le pouvoir à M. Alassane Ouattara, après quoi toutes les autres discussions entre Ivoiriens sont possibles", insiste Amadou Gon Coulibaly, secrétaire général de la présidence de M. Alassane Ouattara.
La Communauté économique pour le développement de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) a décidé d'envoyer mardi le 28 décembre à Abidjan les présidents du Bénin, du Cap Vert et de la Sierra Leone. Ceux-ci devraient demander à M. Gbagbo de quitter le pouvoir au profit du "président élu Ouattara" au risque de sanctions pouvant aller jusqu'à une intervention militaire.
Laurent Gbagbo, se réclamant "président légitime de la Côte d'Ivoire", a toujours opposé une fin de non recevoir à toute idée de céder le pouvoir à son rival Alassane Ouattara.
Les Ivoiriens, en attendant, retiennent leur souffle.