(jeuneafrique)Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, les esprits s’échauffent et les états-majors politiques s’agitent. Le chef de l’État a décidé de se représenter, mais ses nombreux adversaires sont plus déterminés que jamais à lui barrer la route. Sans pour autant s’entendre entre eux...
La vie politique sénégalaise ne ressemble à aucune autre sur le continent. Curieuse arène ouverte aux quatre vents, véritablement libre et démocratique, où se déroule une permanente guerre d’ego et d’ambitions, étranges gladiateurs qui s’affrontent violemment avant de s’embrasser pour finalement ressortir leurs glaives à la moindre contrariété et tenter de décapiter leur adversaire. Les desseins des différents acteurs de cet univers impitoyable sont souvent illisibles tant les trajectoires respectives multiplient les zigzags : les alliés d’hier deviennent subitement adversaires et… inversement.
C’est à se demander comment les Sénégalais, observateurs attentifs et parfois médusés de ce Dallas à la sauce arachide, font pour s’y retrouver dans un tel enchevêtrement de candidats, réels ou supposés, à l’élection présidentielle de 2012. Le scénario aurait pourtant pu être simple : deux camps qui s’affrontent, la famille libérale du président Abdoulaye Wade, au pouvoir depuis 2000, face à un Parti socialiste qui rêve de reprendre un bien abandonné après quatre décennies de règne. En lieu et place de cet affrontement classique, sur fond de débat d’idées nourri par des clivages politiques évidents et répondant aux attentes d’une population confrontée à mille problèmes quotidiens, un grand pugilat lancé dès la réélection de Wade en 2007. La presse se délecte des petites phrases des « grands » politiciens. Rumeurs, supputations et attaques personnelles, parfois nauséabondes, font florès dans les journaux ou sur les ondes.
Ainsi va le pays de la Teranga, qui, pourtant, a bien d’autres chats à fouetter. D’inondations récurrentes et mal gérées en délestages chroniques, d’augmentations incessantes des prix en émeutes de la faim, l’exaspération sociale, celle des jeunes en particulier, monte en flèche. Et le fossé ne cesse de se creuser entre une population déçue par les promesses du « sopi » (le « changement », en wolof), sur lequel s’est appuyé Abdoulaye Wade lors de sa première élection, et les politiques, de quelque bord qu’ils soient. En campagne électorale permanente, ces mêmes politiques devront pourtant bien se soucier un jour ou l’autre de répondre aux multiples interrogations de leurs électeurs…
En attendant, l’heure est donc aux règlements de comptes et aux préparatifs pour la bataille finale. Les acteurs sont peu ou prou les mêmes qu’en 2007, à une exception, peut-être deux, notables : l’ancien Premier ministre Macky Sall, en attendant que le nouveau maire PS de Dakar Khalifa Ababacar Sall décide ou non de contester à Ousmane Tanor Dieng la candidature du parti. En annonçant, en 2009, son intention de se représenter, Abdoulaye Wade a ouvert grandes les portes de la contestation et des critiques. Parce qu’il avait dit, après sa réélection en 2007, qu’il s’agissait là de son dernier mandat. Mais aussi, et peut-être surtout, parce qu’il aura 86 ans en 2012 et qu’il a beau expliquer à qui veut l’entendre qu’il est « en pleine forme » et que les gènes familiaux, visiblement à la limite de la mutation, prolongent régulièrement la vie des Wade au-delà de 100 ans, l’âge du capitaine ne peut être pris à la légère. Enfin, parce que certains lui refusent tout simplement le droit, au regard de la Constitution, de se représenter.
Constitution en question
Ce dernier écueil est d’ailleurs symbolique des dangers de la méthode Wade, savant mélange de volontarisme, d’un besoin certain de reconnaissance et d’une volonté clairement exprimée de laisser sa trace. En voulant limiter le nombre de mandats lors de la révision de la Constitution qu’il a lui-même lancée (limitation qui n’existait pas avant), et en annonçant qu’il n’irait pas au-delà, Wade s’est tiré une balle dans le pied et a donné les verges pour se faire fouetter. D’un strict point de vue juridique, il semble qu’il puisse cependant concourir en 2012 : la nouvelle loi instaurant le quinquennat n’étant pas rétroactive, seul le mandat 2007-2012 serait pris en compte. Le Conseil constitutionnel, présidé par Cheikh Tidiane Diakhaté, un proche du chef de l’État, doit encore se prononcer sur la légalité de cette candidature. Mais il semble très peu probable qu’elle soit invalidée… Il n’en demeure pas moins, et c’est certainement le signe qu’il ne s’était pas préparé à faire trois mandats, qu’Abdoulaye Wade aurait pu s’éviter un débat inutile et source de tensions, y compris dans son propre camp.
Pourquoi ce revirement, au risque de ne laisser comme dernière image que celle d’une fin de règne chaotique, voire d’un cuisant échec électoral ? « Le président ne voulait vraiment pas envisager de se représenter, nous confie un ancien très proche collaborateur qui a conservé un contact privilégié avec Wade. Il a simplement fait le constat qu’il n’y a aucune option valable en dehors de lui : il n’a aucune confiance en Idrissa Seck, qui peinera de toute façon à rassembler le Parti démocratique sénégalais [PDS], n’a pas su retenir Macky Sall, et voit bien que Karim n’est pas en position de passer. Je crois sincèrement qu’il a pris cette décision en dernier ressort et à contrecœur… »
Au pouvoir comme dans l’opposition, le PDS a toujours vécu au rythme des dissidences, des exclusions et des portes qui claquent. Wade, patron incontesté du parti depuis sa création, est ainsi : la politique, chez lui, éclipse le reste. Cinquante ans d’engagement, dont quarante dans l’opposition active, ont fait de ce bretteur parfois emporté et de ce tribun hors pair à l’ego envahissant un chef qui cherche plus souvent les preuves de ses certitudes que les reflets de ses doutes. Nourrie dans son adolescence de catégories mathématiques, de préceptes juridiques et de formules assénées, son action ne souffre aucune contestation. Il se brouillera ainsi avec tous ceux qui l’ont soutenu ou accompagné, et se sont crus autorisés à prodiguer conseils voire directives, tels Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Moustapha Niasse ou Mame Madior Boye. Son âge avancé lors de son accession au pouvoir fera le reste : il incarnera à jamais l’homme pressé, toujours dans l’urgence, véritable Zébulon africain sans cesse en mouvement, jamais à court d’idées, des plus intéressantes au plus saugrenues. La plupart de ses lieutenants, au premier rang desquels Idrissa Seck, ont cru, eux, que le parcours de Gorgui (« le Vieux ») s’arrêterait en 2007 puis en 2012. Il leur fallait donc préparer très tôt le terrain pour leurs mises en orbite personnelles, quitte à s’affranchir des convenances en vigueur en Afrique, quitte aussi à affronter et à « tuer » dans l’œuf le dauphin putatif et fils biologique, Karim. Le hic, c’est qu’ils se sont lancés beaucoup trop tôt…
La girouette Seck
Face à un parti socialiste remis en ordre de bataille mais lui aussi susceptible de subir une autre guerre des chefs, le camp Wade se fissure. Au cœur des tiraillements, Idrissa Seck, que certains surnomment La Girouette. À force d’allers-retours entre l’opposition et le PDS, de déclarations contradictoires, l’ex-chouchou de Wade a trop déstabilisé ses soutiens pour se sortir indemne de tant de volte-face. En tout cas, il n’est plus l’homme qui est arrivé, avec peu de moyens, deuxième de la présidentielle de 2007. Autre fidèle lieutenant devenu dissident, Macky Sall, lui, trace son sillon en toute discrétion. Il ne verse pas dans l’invective, parcourt le pays de long en large pour convaincre les Sénégalais de sa stature et de la qualité de son projet politique, n’a aucun véritable ennemi déclaré, certainement pas Karim qui, malgré l’épisode Anoci, entretient avec lui des relations plus que cordiales. Macky Sall président ? La route est encore longue. Mais si Wade devait renoncer ou perdre, l’hypothèse ne lui déplairait peut-être pas…
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