(jeuneafrique) --À New York, les immigrés haïtiens sont presque tous partisans de l’ancien président Aristide et de la « Fanmi Lavalas », son parti. Pour eux, les candidats arrivés en tête de la présidentielle du 28 novembre sont des usurpateurs.
Dans la boutique de ce barbier haïtien située dans le quartier de Flatbush, à Brooklyn, haut lieu de la diaspora haïtienne à New York, les hommes qui se font raser n’ont pas de mots assez durs pour commenter l’actualité politique de leur pays natal. Entre Mirlande Manigat, Jude Célestin et Michel Martelly, les trois candidats arrivés en tête au premier tour de la présidentielle du 28 novembre, leur cœur ne balance pas. Car il ne bat que pour l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, aujourd’hui en exil en Afrique du Sud, dont le portrait trône en devanture du magasin, à côté de ceux de Barack Obama et de Martin Luther King.
« Aristide, c’est la force électorale, les autres ne sont que des usurpateurs », assène Jackolo, 56 ans, qui a travaillé pour l’Unesco, à Paris, et est ici décorateur d’intérieur. « Aristide, c’est notre idole, comme le furent Juan et Eva Perón en Argentine », renchérit Emmanuel Marcellus, 61 ans, qui vit à New York depuis trente-six ans et joue les animateurs sur Radio Pa Nou, l’une des trois stations communautaires haïtiennes de la ville.
Les deux hommes sont des partisans déclarés de la Fanmi Lavalas (locution créole qu’on pourrait traduire par « famille avalanche »), parti populiste fondé, au début des années 1990, par le très charismatique Aristide. En dépit de son héritage politique plus que controversé – son engagement en faveur des plus démunis n’est pas allé sans violence – et de son renversement, en 2004, celui-ci compte encore de nombreux supporteurs. En Haïti et dans la diaspora.
Par un tour de passe-passe, le Conseil électoral provisoire a, en février 2009, exclu les candidats de la Fanmi Lavalas de la dernière présidentielle. Et notamment Maryse Narcisse, pourtant adoubée par Aristide en personne. Emmanuel Marcellus y voit la main de René Préval, l’actuel président – un ancien lavalassien. « En excluant la Fanmi, le gouvernement et les élites haïtiens, mais aussi une partie de la communauté internationale, ont exclu le peuple. Ce n’est plus une élection, mais une sélection. » Professeur de sciences politiques à la Rice University et spécialiste d’Haïti, Marc P. Jones en est, pour sa part, convaincu : emmené par Aristide, le parti Lavalas aurait largement remporté la consultation.
Difficile, dans ce quartier de Flatbush, où pullulent les églises évangéliques, de tomber sur un anti-Lavalas. Le pasteur Orlando Aupond, 56 ans, a le regard extatique. Il rêve du retour d’Aristide, même s’il veut bien concéder que le charisme ne saurait tenir lieu de programme électoral. Pour Jacques, qui refuse de donner son nom parce qu’il travaille au département d’État américain, Aristide est le Sauveur, ou presque : « Lui seul est capable d’empêcher le pillage de nos ressources naturelles. »
« Comme Mai 68 »
Qui sont les adversaires des lavalassiens de New York ? Les élites haïtiennes, bien sûr, notamment métisses, qui accaparent les ressources du pays et veulent exclure la diaspora du jeu politique. Mais aussi la France et les États-Unis, en raison du rôle qu’ils ont joué dans l’éviction d’Aristide – et même s’ils leur sont reconnaissants du niveau de vie qu’ils leur procurent.
Si, en Haïti, les membres de la Fanmi Lavalas ont migré vers d’autres partis, vidant l’organisation de sa substance et participant à l’atomisation du paysage politique (pas moins de dix-neuf candidats à la présidentielle), le mouvement n’est, à New York, guère plus structuré : pas de porte-parole ni d’appareil politique, encore moins de cotisations régulièrement versées… « La Fanmi Lavalas, c’est comme mai 68 en France, un mouvement anarchiste », plaide Marcellus. Elle n’a pour elle que les radios locales, une myriade de fanzines communautaires et une centaine de membres actifs. Certains de ses membres entretiennent des liens étroits avec le Congressional Black Caucus, l’association des parlementaires noirs américains. Ce dernier est clairement pro-Aristide, mais son influence sur la politique étrangère des États-Unis vis-à-vis d’Haïti est marginale. Bref, politiquement, la « famille » est un peu en déshérence.
1 milliard de dollars
La diaspora aux États-Unis est pourtant un élément clé de l’avenir d’Haïti. Rien qu’à New York, elle compte environ cent mille membres, deux cent mille avec les descendants. Arrivés au début des années 1960 pour fuir la dictature de François Duvalier, puis la pauvreté, les Haïtiens exilés envoient chaque année 1 milliard de dollars (760 millions d’euros) au pays. Les États-Unis sont donc un passage obligé pour tout candidat à la présidentielle. « Si vous avez le soutien d’une seule personne à Boston, cela peut se traduire par le soutien de dix personnes en Haïti », estime Marc P. Jones. Arrivée en tête au premier tour de la présidentielle, Mirlande Manigat a fait, en octobre, une grande tournée du continent nord-américain. Jean-Henry Céant, le candidat le plus proche de Lavalas, qui s’est classé en quatrième position, a tenu à New York, notamment à Brooklyn, trois réunions publiques pour collecter des fonds. La Constitution haïtienne pourrait être amendée pour permettre à ceux qui disposent de la double nationalité de voter en Haïti. Manigat, si elle est élue le 16 janvier, s’y est engagée.
L’éventuel retour d’Aristide est, en revanche, beaucoup plus incertain. Ce serait le meilleur moyen de permettre au mouvement Lavalas de trouver un second souffle… Toujours privé de passeport, « Titid » ne peut actuellement quitter l’Afrique du Sud. Mais Marc P. Jones n’en doute pas : un jour ou l’autre, il finira par rentrer en Haïti. À brève échéance ou à la fin de sa vie, comme naguère l’Argentin Juan Perón ? Toute la question est là. Ce serait, en tout cas, le signe qu’Haïti est enfin parvenu à maturité démocratique. Croisé à Radio Pa Nou, Guessely Maurisseau, qui vit à New York depuis vingt ans, veut y croire : « Aristide est un Haïtien, il doit pouvoir rentrer chez lui, comme d’ailleurs Jean-Claude Duvalier [l’ancien dictateur réfugié en France, NDLR], et, un jour, tous les Haïtiens de l’étranger. »
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