(Jeune Afrique)--Alarmés par un rapport sur l’impact régional de la crise ivoirienne, les chefs d’État ouest-africains ont resserré l’étau pour précipiter la fin du pouvoir sortant. Première victime : Philippe-Henri Dacoury-Tabley, le gouverneur de la BCEAO, limogé lors du sommet de Bamako du 22 janvier. Récit des événements, vus des coulisses.
Plus de cinq heures de huis clos, dont une heure à peine de pause déjeuner. La conférence des chefs d’État de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui s’est tenue à Bamako le 22 janvier, a été exceptionnellement longue cette année. Au final, un communiqué sans appel annonçant la démission de Philippe-Henri Dacoury-Tabley de son poste de gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qu’il occupe depuis 2008. Sans être réellement une surprise, cette nouvelle, la plus importante de ce 15e sommet des chefs d’État de l’Union, a tout de même fait l’effet d’une bombe.
La première personne abasourdie par l’explosion a été Dacoury-Tabley lui-même. « Il y avait mieux à faire que ce qui a été fait… Je suis profondément attristé pour l’institution que j’ai servie pendant trente-cinq ans », a-t-il déclaré à l’issue du sommet, d’une voix chargée d’émotion. Ses plus proches collaborateurs, présents à ses côtés, l’interrompront à la limite des sanglots. Jusqu’à la dernière minute, le désormais ancien gouverneur de la BCEAO espérait se maintenir à son poste. Il était arrivé dans la capitale malienne avec, dans sa valise, des arguments montrant qu’il n’avait « techniquement » pas les moyens d’empêcher la sortie de fonds (près de 80 milliards de F CFA, soit un peu moins de 122 millions d’euros) en faveur du gouvernement de Laurent Gbagbo, comme le lui avait ordonné le Conseil des ministres des Finances de l’UEMOA, le 23 décembre 2010 à Bissau. Selon ses collaborateurs, la décision de l’Union européenne de l’ajouter, le 21 janvier, sur la liste des proches de Laurent Gbagbo interdits de visa en Europe l’a affecté, même s’il croyait encore sauver sa tête le lendemain. « Dans un autre contexte, Dacoury-Tabley aurait eu raison et convaincu les chefs d’État », affirme un économiste présent au sommet. Autrement dit, l’ex-gouverneur a fait les frais d’une décision politique.
Comment le camp Ouattara a-t-il donc réussi à avoir la tête de Philippe-Henri Dacoury-Tabley ? L’essentiel du travail avait été réalisé avant le sommet par Guillaume Soro, qui avait fait le tour des chefs d’État de l’Union. À Bamako, où ils ont pris leur décision finale, les dirigeants des huit pays membres (le Niger était représenté par son Premier ministre, Mahamadou Danda, et la Guinée-Bissau par son ministre des Affaires étrangères, Adelino Mano Queta) ont d’abord écouté pendant leur huis clos le Bissau-Guinéen José Mario Vaz, président du Conseil des ministres de l’Union. Ce dernier leur a présenté un rapport confidentiel alarmant de 24 pages qui analyse, chiffres à l’appui, le danger encouru par toute la sous-région en raison de la crise ivoirienne.
Élaboré par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), la Commission de l’UEMOA et la BCEAO, ce document – dont Jeune Afrique s’est procuré une copie (voir les extraits ci-joints) – est plutôt pessimiste. Ainsi peut-on y lire, sous le titre « Rapport sur l'impact de le Crise en Côte d'Ivoire sur l'UEMOA » : « Au 11 janvier, près des deux tiers des bons du Trésor détenus par les banques de l’Union sont émis par la Côte d’Ivoire, soit 604,3 milliards de F CFA [921 millions d’euros, NDLR] sur un total de 1 045,2 milliards. Le montant des impayés pourrait atteindre 408,7 milliards à la fin du premier trimestre 2011. »
Parmi les pays les plus exposés : le Sénégal, dont les établissements détiennent 100 milliards de F CFA en bons du Trésor ivoirien, le Bénin (97,5 milliards) et le Burkina Faso (90,2 milliards). Le même rapport indique que si la crise perdure, la Côte d’Ivoire risque de ne pas honorer sa contribution au fonctionnement de la Commission. Avec 23,2 milliards de F CFA, le pays verse à lui seul 36,4 % du Prélèvement communautaire de solidarité (PCS), principale ressource financière de l’institution.
Risque de non-remboursement
À cela il faut ajouter le risque qui pèse sur le remboursement des emprunts obligataires réalisés par la Côte d’Ivoire depuis 2008. Le total s’élève à 303 milliards de F CFA, et, pour la seule année 2011, le pays doit payer un peu plus de 81 milliards à ses créanciers. Si ceux-ci sont majoritairement des investisseurs ivoiriens (78,8 %), ils viennent aussi du Bénin (7,1 %), du Sénégal (6,6 %), du Burkina Faso (3,9 %)… Par ailleurs, si la crise ivoirienne n’a pour l’heure affecté que le volume des transactions – et non la capitalisation boursière des actions – à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM), dont le siège est à Abidjan, elle pourrait, note le rapport, faire fuir « les investisseurs étrangers qui détenaient, fin juin 2010, 281 milliards de F CFA, soit 16,24 % des actifs gérés sur le marché. »
Autant de perspectives sombres qui ont contribué à enfoncer Dacoury-Tabley ; celui-ci a été convoqué à la barre par les chefs d’État pour s’expliquer. Parmi les éléments de sa défense, inclus dans le rapport, l’ex-patron de l’institution d’émission a cité les mesures prises par la BCEAO pour éviter aux banques de la sous-région de manquer de liquidités. Le montant de ces refinancements est ainsi passé de 267,6 milliards fin novembre 2010 à 415 milliards au 31 décembre. Mais selon des sources proches de l’ex-gouverneur, la principale ligne de défense de Philippe-Henri Dacoury-Tabley s’est appuyée sur les questions de sécurité : « Le gouvernement du président sortant [Laurent Gbagbo, NDLR] exerce de fortes pressions sur le gouverneur ainsi que sur les responsables de la direction nationale de la BCEAO pour la Côte d’Ivoire. » Et cela s’est notamment traduit par « un déploiement inhabituel de forces de défense loyales [à Laurent Gbagbo] autour des locaux de l’agence principale de la BCEAO à Abidjan ». Dacoury-Tabley aurait même présenté aux chefs d’État des lettres de menace qu’il aurait reçues du gouvernement sortant. « Il y a eu un lourd silence de plusieurs secondes », raconte une source bien introduite.
Abdoulaye Wade très remonté
Très remonté contre le gouverneur de la BCEAO – il aurait été le plus virulent –, le président sénégalais Abdoulaye Wade a régné en grand maître de cérémonie, interpellant Guillaume Soro : « Dites-nous ici ce que vous m’avez dit à Dakar. » Le Premier ministre ivoirien ne s’est pas fait prier pour charger le gouverneur, soulignant notamment qu’il était allé voir tous les chefs d’État de la sous-région pour leur exposer les difficultés auxquelles il était confronté, à l’exception d’Alassane Dramane Ouattara, pourtant reconnu par l’Union comme le président élu de la Côte d’Ivoire. Il lui a également reproché de ne pas avoir signifié de manière formelle aux agences nationales que seule la signature d’Alassane Ouattara était reconnue par l’institution. Si le président burkinabè, Blaise Compaoré – auprès de qui Dacoury-Tabley était allé chercher du soutien une semaine plus tôt –, est resté silencieux, le Malien Amadou Toumani Touré a montré de la sympathie.
Philippe-Henri Dacoury-Tabley éjecté de son fauteuil, Charles Diby Koffi est pressenti pour prendre sa succession. Mais en attendant, Laurent Gbagbo a réquisitionné, le 26 janvier, la direction ivoirienne de la Banque centrale. Le conflit ivoirien n’est pas réglé. Et ses conséquences négatives sur la zone ne sont toujours pas écartées.
Naviguer à travers les articles | |
16 janvier 2001 : le jour où Joseph succèda à Kabila à la tête de la RDC | La rue reste mobilisée après les négociations entre le régime et l'opposition |
Les commentaires appartiennent à leurs auteurs. Nous ne sommes pas responsables de leur contenu.
|