YAOUNDE, 30 mars (Xinhua) -- L'pération militaire des puissances occidentales lancée le 19 mars contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi en Libye, sous le prétexte de la protection de la population face à l'armée nationale en guerre contre des insurgés, vise en réalité à empêcher l'unité africaine, estiment des observateurs pour qui cette situation est humiliante pour le continent.
"C'est une situation qu'aucun Africain digne de ce nom ne saurait regarder de manière passive. Il faut s'interroger sur les fondements d'une intervention qui a pour cible la Libye d'un côté, son guide de l'autre côté, donc une intervention qui se passe dans le continent africain, décidée par les puissances occidentales, européennes majoritairement -- c'est vrai qu'il faut enlever l'Allemagne", a remarqué à Xinhua le géostratège camerounais Joseph Vincent Ntuda Ebodé.
Pour ce vice-doyen de la faculté des sciences juridiques et politiques de l'Université de Yaoundé II, "au moment même où on commence à attaquer la Libye, l'opinion internationale africaine s'attend que les Occidentaux, les grands partenaires du Japon, se déportent davantage au Japon pour l'aider à faire face à la catastrophe et on ne peut pas comprendre que la petite Libye ait orienté tant de moyens, à côté du grand Japon qui en avait tant besoin".
Fidèles à leur "diplomatie de discrétion", les autorités du Cameroun ne se sont pas officiellement prononcées sur la question, même si le président Paul Biya a reçu tour à tour en audience la semaine les ambassadeurs de France Bruno Gain et des Etats-Unis Robert P. Jackson en poste à Yaoundé et que ces derniers ont déclaré à la presse que la situation en Côte d'ivoire et en Libye avait constitué l'un des principaux sujets de leurs entretiens avec le numéro un camerounais.
A Yaoundé, la mission diplomatique libyenne dirigée par un chargé d'affaires est officiellement fermée depuis le début de la crise politique en Libye. Les relations économiques entre les deux pays se résument au Cameroun par un grand nombre de stations- service aux couleurs de la société pétrolière libyenne Oil Libya et un bureau de la compagnie de transport aérien Afriqiyah.
Déjà observé avec la crise ivoirienne, le sentiment anti- occidental a grandi avec les frappes aériennes déclenchées par la coalition internationale emmenée par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, à la faveur de la résolution 1973 votée le 17 mars aux Nations Unies et portant instauration d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye.
Contrairement au mandat élaboré sous le couvert de l'organisation mondiale, la mission, qui n'a pas daigné solliciter l'avis de l'Union africaine (UA), a vite pris la forme d'une croisade contre le "guide" libyen et son régime, au profit du Conseil national de transition installé à Benghazi et reconnu par les autorités françaises, britanniques et américaines comme leur désormais seul interlocuteur libyen.
"J'ai l'impression, toutes proportions gardées, qu'à travers cette manifestation et ce déploiement de violences l'Occident à travers l'Europe vient de nous montrer qu'il ne s'est pas éloigné et qu'il n'a même pas changé les motifs qui ont à l'époque justifié la conférence de Berlin. Il s'agit en réalité d'une conférence, celle au cours de laquelle ces interventions ont été décidées, qui, à bien regarder, ressemble bien à la reprise de la conférence de Berlin", a estimé le Pr Ntuda Ebodé.
"C'est un partage de l'Afrique, a-t-il poursuivi, qui ne tient pas compte de l'Afrique. On parle de l'Afrique, on dépèce l'Afrique, on divise l'Afrique au profit des puissances autres qu'africaines. Ça s'est passé dans les années 1800 et maintenant nous sommes au 21e siècle. C'est déplorable que ça parte des personnalités occidentales qui se présentent généralement comme les porte-parole de l'Afrique, comme les amis de l'Afrique".
De l'avis du politologue, "les conséquences seront énormes, puisque l'Union africaine est majoritairement financée par deux pays d'Afrique du Nord et deux pays d'Afrique noire, en l'occurrence l'Egypte, la Libye, l'Afrique du Sud et le Nigeria. Et lorsque vous vous rendez compte de ce qui s'est passé en Egypte et que vous voyez ce qu'on est en train de faire en Libye, vous constatez bien que, de par même la personnalité du guide libyen et de son action vis-à-vis de l'Union africaine, c'est en réalité l'Union africaine qu'on vise comme structure".
En clair, "c'est une manière d'empêcher notre continent de se réunifier, de se solidifier et une manière de l'affaiblir durablement pour que les uns et les autres continuent de faire ce que la conférence de Berlin a décidé que l'Afrique doit être. On ne veut pas que l'Afrique ait une capacité d'influence sur la scène internationale, alors même que par ailleurs on dit qu'on va défendre les positions de l'Afrique pour entrer au Conseil de sécurité".
Evidemment, a-t-el encore observé, c'est une stratégie planifiée. "Ça a commencé par la Côte d'Ivoire, ça a continué par la Libye après l'Egypte et la Tunisie. Le problème en Libye, c'est que ce n'était pas des manifestants, c'était des insurgés qui ont été armés, que le colonel Kadhafi a laissés, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés aux portes de Tripoli avant que l'armée nationale ne commence à répliquer".
Avant la conférence internationale du groupe de contact mardi à Londres avec une quarantaine de pays et d'organisations, Nicolas Sarkozy, David Cameron et Barack Obama ont prévenu qu'ils n'accepteraient pas un plan de sortie de crise qui n'envisage pas le départ immédiat du pouvoir du colonel Kadhafi. Pourtant, lors d'une réunion consultative sur la Libye le 25 mars à Addis-Abeba au siège de l'organisation continentale en Ethiopie, le président de la Commission de l'UA, Jean Ping, a présenté une "feuille de route" appelant "une action africaine urgente" articulée autour, entre autres, de l'arrêt immédiat des hostilités, la coopération des autorités libyennes concernées pour faciliter l'acheminement diligent de l'assistance humanitaire aux populations dans le besoin.
Les propositions de résolution du conflit intègrent aussi la protection des ressortissants étrangers, y compris les migrants africains vivant en Libye, puis l'adoption et la mise en oeuvre des réformes politiques nécessaires pour l'élimination des causes de la crise actuelle. Dans une série d'interviews dans divers médias internationaux, M. Ping a annoncé l'approbation de ces mesures par Mouammar Kadhafi. S'interrogeant sur l'opportunité de l'action des puissances occidentales, il s'en est fermement opposé. "Dites-moi, parmi les guerres que avez engagées, quelles sont celles où vous avez réussi. Dites-moi", a lâché sur un tom d'amertume le président de la Commission de l'UA dans un entretien à la chaîne de télévision de BBC.
"C'est la première fois que le président de la Commission prend une position aussi ferme et je crois que dans nos relations avec ce monde-là il va falloir regarder deux fois avant de signer n'importe quoi, avant d'accepter n'importe quoi et que si véritablement ils ne peuvent pas nous respecter, je crois que nous allons aboutir à des conflits d'intérêts assez perturbants", a averti Ntuda Ebodé.
De la même manière, il juge incompréhensible l'attitude des puissances non occidentales qui dans la situation libyenne comme d'ailleurs dans la situation ivoirienne avaient une carte à jouer, mais ne l'ont pas fait, alors que ces pays qui ont le droit de veto savent bien que ce qui est en train d'être préparé par les puissances occidentales ne peut être fait que s'ils n'opposent pas leur veto.
"On doit bien s'interroger de savoir si au-delà même de l'Occident il n'y a pas un complot international pour exploiter et asservir l'Afrique. Ça amène à suspecter quiconque vient en Afrique et l'intelligentsia africaine a le droit de se poser des questions sur ces relations qui semblent être des relations aussi d'orientation plutôt d'exploitation", commente Ntuda Ebodé, par ailleurs chef du Centre de recherches d'études politiques et stratégiques (CREPS) de l'Université de Yaoundé II.
Selon lui, l'Afrique se trouve aujourd'hui dans une position où elle doit véritablement approfondir et élargir son intégration. " Sinon, non seulement aucun Etat ne pourra se défendre mais aussi tous les Etats vont passer à tour de rôle, en raison des richesses qui sont exploitées à ciel ouvert en Afrique.D'ailleurs, on peut observer que dès qu'un problème commence, on décide qu'on bloque les avoirs. Est-ce que ce n'est pas une stratégie pour arracher toutes les richesses africaines? C'est du brigandage international ".
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