Paris, 13 avril (Xinhua) -- Suite à la récente arrestation du président ivoirien sortant Laurent Gbagbo, le rôle joué par la France dans la gestion de cette crise politique suscite de nombreuses interrogations et commentaires, dans la classe politique et parmi les observateurs, sur la diplomatie française en Afrique.
Cinquante ans après les indépendances africaines, la France, ancienne puissance coloniale, semble à nouveau être en première ligne sur le continent suite à son implication dans la crise ivoirienne.
Le gouvernement français a jugé légale et légitime sa récente intervention en Côte d'Ivoire, estimant qu'elle apporte un soutien aux processus démocratiques africains à la demande de l'ONU.
"La France est intervenue dans le cadre de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, à la demande de son secrétaire général", a déclaré mardi dernier le porte-parole du gouvernement français François Baroin sur la radio RTL.
Selon lui, "la France a été, du point de vue de tous les observateurs, absolument remarquable et inattaquable". Elle "n'acceptera aucune leçon de morale de quiconque ni aucune leçon politique".
"Lorsque vous avez des armes lourdes qui se positionnent autour de la résidence présidentielle et qu'elles frappent les populations civiles, on est strictement, exclusivement dans l'application de la résolution 1975 des Nations Unies", a-t-il insisté pour justifier la participation de la force française Licorne aux frappes contre la résidence où l'ex-président ivoirien a été arrêté le lundi 11 avril à Abidjian.
Pour sa part, Alain Juppé, chef de la diplomatie française, a estimé que la chute de M. Gbagbo est une "bonne nouvelle" non seulement pour les Ivoiriens, mais aussi "pour la démocratie" dans les autres pays africains qui se préparent à des élections (Nigeria, la RDCongo, le Liberia).
"Nous avons envoyé, avec l'ONU, un message symbolique extrêmement fort à tous les dictateurs. Nous leur avons indiqué que la légalité, la démocratie devaient être respectées et qu'il y avait des risques pour ceux qui ne le faisaient pas", a précisé de son côté le Premier ministre français François Fillon.
De nombreuses voix s'élèvent toutefois dans la classe politique et parmi les observateurs pour condamner cette intervention, considérant qu'elles renoue avec la "Françafrique", alors que le président Nicolas Sarkozy avait promis de tourner cette page.
A son arrivée au pouvoir il y a quatre ans, le chef de l'Etat français avait défendu le principe d'une approche nouvelle et "assainie" de la Françafrique. Mais aux yeux des observateurs, l'ex-puissance coloniale doit à nouveau gérer son image de gendarme de l'Afrique.
"Même encadrée par une résolution de l'ONU et soutenue par les pays de la région, cette mission de la France s'apparente aux interventions d'antan et risque d'être vue comme telle par les jeunes Africains", a ainsi commenté le quotidien français Libération.
"L'intervention militaire française constitue un nouvel épisode caricatural de la Françafrique", a jugé le député socialiste François Loncle.
"Tant que la France aura des soldats déployés sur le sol africain, l'ambiguïté demeurera", a estimé de son côté Antoine Glaser, auteur de l'ouvrage "Sarko en Afrique".
Etape décisive de la crise, l'épisode de l'arrestation du président sortant suscite notamment des commentaires, pointant le rôle particulier des forces françaises.
"Laurent Gbagbo a été enlevé par des éléments des forces spéciales françaises qui l'ont ensuite conduit à l'Hôtel du Golf", QG de son rival Alassane Ouattara, a déclaré à Paris le conseiller du président sortant, Toussaint Alain.
Selon Roland Dumas, ancien ministre français des Affaires étrangères et conseiller de l'ex-président ivoirien, "la vérité, elle est claire, c'est que l'armée française, sur ordre politique, a livré à son adversaire M. Laurent Gbagbo. Elle l'a même amené au domicile de l'adversaire, un peu comme dans les traditions d'autrefois, de l'Antiquité".
Les questionnements ont également trait aux futures relations du nouveau président Alassane Ouattara avec la France, vu le rôle joué par l'armée de cette dernière.
En 2008, Nicolas Sarkozy avait annoncé la renégociation de tous les accords militaires liant la France à des pays africains, rappelle-t-on. L'accord de défense franco-ivoirien de 1961 est le seul dont la renégociation n'a pas débuté. La France souhaite, au préalable, le retour de la stabilité à Abidjan, selon des sources diplomatiques.
Les discours français laissent supposer que Paris ne souhaite pas s'impliquer davantage en Côte d'Ivoire et projette, à terme, le départ de ses soldats.
Les partisans de Laurent Gbagbo estiment de leur côté que la chute de ce dernier crée de nouvelles conditions de violence dans le pays.
Le chef du Front populaire ivorien (FPI), parti de l'ex-chef d'Etat, Pascal Affi N'Guessan, a dénoncé "un coup d'Etat perpétré par l'armée française" et condamné une opération "qui vise à installer par la force M. Ouattara et qui ne règle aucun problème, ni celui de la légitimité, ni celui de la légalité constitutionnelle".
"Le pays est coupé en deux, on ne peut pas contraindre par la force les partisans de Laurent Gbagbo à soutenir M. Ouattara", a souligné M. Affi, qui a demandé la libération de M. Gbagbo et "l'ouverture de négociations en vue de réunir les conditions de l'apaisement et jeter les bases de la réconciliation nationale et de la stabilité du pays".
Les quatre mois de crise en Côte d'Ivoire ont fait au moins 800 morts dont la moitié à Abidjan, selon l'ONU. La ville était encore le mardi 12 avril le théâtre de pillages et dans certains quartiers des coups de feux se faisaient entendre, selon de nombreux correspondants de presse présents sur place.
La situation humanitaire serait alarmante à l'intérieur du pays, notamment dans l'Ouest où les combattants des deux camps ont été accusés par l'ONU et des ONG d'exactions.
Les partisans du président Ouattara "doivent cesser toutes représailles et violences" à l'encontre de ceux de M. Gbagbo, a déclaré Véronique Aubert, directrice adjointe du Programme Afrique d'Amnesty International.
"Alassane Ouattara doit rétablir la loi et l'ordre en donnant des instructions strictes à toutes ses forces afin qu'elles respectent les droits humains et protègent quiconque contre ces exactions", a-t-elle ajouté.
La force Française Licorne, forte de 1 700 hommes, a officiellement agi en vertu d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies, voté à l'unanimité. Celle-ci incluant les trois pays africains qui y siègent actuellement. Ce mandat impliquait la protection des civils contre les tirs à l'arme lourde.
Le président sortant Laurent Gbagbo a été arrêté le lundi 11 avril au douzième jour de la bataille entre ses troupes et celles d'Alassane Ouattara, à l'issue d'une offensive des forces de ce dernier appuyées par les moyens aériens et blindés des forces françaises et de la mission des Nations Unies.
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