ABIDJAN, 14 juin (Xinhua) -- Après plusieurs mois d'une sanglante crise post-électorale, le président ivoirien Alassane Ouattara fait de la réconciliation des Ivoiriens la première de ses priorités tout en insistant sur la nécessité des poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs de graves violations des droits de l'homme, une position "équilibriste" qui divise les Ivoiriens.
Pour traduire, en actes concrets, sa volonté de rassembler les Ivoiriens, Alassane Ouattara a mis en place une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, à l'image de ce qui a été fait en Afrique du sud, pour faire la lumière sur les événements post- électoraux ayant fait plus de 3 000 morts et pour "panser les plaies" des victimes.
Parallèlement, la justice ivoirienne a ouvert des enquêtes préliminaires contre l'ex-président Laurent Gbagbo arrêté le 11 avril et assigné à résidence comme plusieurs personnalités de son régime.
ABANDONNER LES POURSUITES CONTRE LE CAMP GBAGBO
"Nous ne pouvons pas en même temps rassembler et réconcilier les Ivoiriens en traînant d'autres frères devant les tribunaux", estiment des Ivoiriens.
Pour le politologue Bernard Doza, il ne faut pas traduire en justice Laurent Gbagbo.
"C'est un risque de juger Laurent Gbagbo par notre justice ou une justice internationale", soutient-il soulignant que "depuis Houphouët-Boigny (premier président ivoirien, 1905-1993) on n'a jamais fait judiciairement le bilan d'un gouvernement qui a dirigé ce pays".
Se référant à la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du sud, il relève qu'"aucun chef d'Etat sud-africain ayant régné sous le régime d'Apartheid n'a été conduit devant une juridiction nationale ou internationale".
"Allons tous à la Commission Dialogue, Vérité, et Réconciliation qui pourrait être conclue par une loi d'amnistie générale", appelle-t-il de tous ses voeux.
Un éditorialiste du quotidien Notre Voie, le journal du FPI, dénonce "la justice sélective du nouveau pouvoir".
"Jusqu'à présent, seuls les proches de Laurent Gbagbo et les membres de la coalition de partis politiques qui ont soutenu sa candidature (à l'élection de novembre dernier) font l'objet de procédures judiciaires", écrit l'éditorialiste.
"Ouattara peut-il réconcilier les Ivoiriens ?", s'interroge le journal qui pense que le premier acte à poser par le nouveau président pour y parvenir est "la libération de Laurent Gbagbo".
Le journal cite également "l'arrêt immédiat de la chasse aux sorcières et des exactions à relent ethno-tribal, le rétablissement d'un régime de liberté et de la sécurité ".
Le président intérimaire du Front populaire ivoirien (FPI, parti de M. Gbagbo) et par ailleurs président de l'Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly ne dit pas autre chose.
"Si l'on veut aller à la réconciliation, il faut déjà renoncer à la vengeance justicière et permettre que l'opposition s'organise et que l'opposition ait le droit d'exister", estime-t-il.
Mamadou Koulibaly ajoute qu'"un bon geste de réconciliation serait aussi de montrer qu'il (le président Alassane Ouattara) est capable de pardonner à Gbagbo et à tous les militants de son parti " incarcérés à la Pergola (un hôtel d'Abidjan), Odienné, Korhogo ( nord) et à Bouna (nord-est).
"Se venger n'est pas forcément bon signe, ce serait créer des injustices, sources de nouvelles haines et de nouvelles frustrations qui sont des moteurs très puissants d'instabilité politique en Afrique", assène-t-il.
Mais d'autres Ivoiriens considèrent la justice comme un pan essentiel de la réconciliation et, pour eux, il ne peut avoir de réconciliation sans justice.
PRIORITE A LA JUSTICE POUR METTRE FIN A L'IMPUNITE
Le président Ouattara l'a répété à maintes reprises, "aucun crime ne restera impuni".
"Bien sûr, il faut que justice se fasse pour que l'impunité soit bannie à jamais dans notre pays", renchérit l'ambassadeur permanent de la Côte d'Ivoire auprès des Nations Unies à New York, Bamba Youssoufou.
Selon lui, "avant toute réconciliation, il faut qu'il y ait la justice".
"Il faut que les auteurs des crimes qui ont été perpétrés soient reconnus et qu'ils puissent se repentir. C'est après cela que le pardon va intervenir et la réconciliation aussi", explique- t-il.
Bamba Youssoufou pense que "la réconciliation doit être basée sur le respect et l'imprégnation d'une culture de l'Etat de droit, garantie de la fin de l'impunité".
"Réconciliation d'accord, mais vérité, justice et repenti d'abord, pour éviter qu'on n'ait plus à vivre ce qui s'est passé dans notre pays", souligne-t-il.
"Tous les crimes commis seront jugés et punis avant que nous n'allions véritablement à la réconciliation", croit savoir également le ministre du Commerce, Dagobert Banzio, originaire de l'ouest du pays où les exactions commises par les deux camps, les pro-Ouattara et le pro-Gbagbo, ont fait entre 300 et 800 morts, selon des organisations humanitaires et de défense des droits de l'homme.
Pour lui, "il faut que ces personnes qui ont commis de tels actes s'expliquent et soient sanctionnées".
"Si cela n'est pas fait, ce sera difficile de pardonner", répète-t-il insistant que "les actes sont déjà posés, il faut les juger avant d'arriver au pardon".
Un analyste ivoirien est catégorique et pense qu'"il faut laisser le temps à la réconciliation et consacrer toutes les énergies à la justice".
"Il faut accorder la priorité à la justice, si elle travaille en toute indépendance elle peut faire à elle seule le travail de réconciliation", note-t-il.
Dans une Côte d'Ivoire assoiffée de justice après une crise militaro-politique de près de 10 ans suivie d'un contentieux électoral de cinq mois et de deux semaines de guerre, comment parvenir à rassembler et à réconcilier les Ivoiriens devient un véritable casse-tête.
De fait, "réconcilier des frères n'est pas une oeuvre humaine, ce n'est pas à la portée d'un homme", avoue le président de la Commission Dialogue, vérité et réconciliation, Charles Konan Banny.
"C'est une oeuvre d'essence divine parce que c'est Dieu qui réconcilie", conclut-il un brin philosophique.
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