PARIS, 23 août (Xinhua) -- Le scénario le plus probable pour la Libye post-Kadhafi est celui d'une « transition difficile, avec des dérapages plus ou moins maîtrisés », a estimé mardi Karim Emile Bitar, expert en monde arabe du think-tank français l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
« En tout état de cause, il faudra plusieurs années à la Libye pour panser ses plaies après 42 ans de dictature et une intervention militaire extérieure (OTAN) », a indiqué M. Bitar, interrogé par Xinhua sur la situation en Libye.
Alors que la chute du régime du colonel Kadhafi semble imminente, suite à l'entrée hier des forces rebelles dans la capitale libyenne Tripoli, M. Bitar a souligné qu'il y avait « plusieurs questions en suspens » concernant l'évolution du pays.
« Comment va se répartir le pouvoir ? Va-t-on réussir à éviter les représailles ? Une « épuration », c'est-à-dire une élimination par les armes des proches de Kadhafi sera-t-elle évitée ? (..) Va- t-on se mettre d'accord sur une redistribution équitable de la rente pétrolière ou va-t-on punir les uns ou les autres ? » a-t-il notamment énuméré.
Il a, en outre, rappelé la composition « très hétéroclite » du Conseil national de transition (CNT, opposition libyenne), où se côtoient « (..) des jeunes idéalistes, des avocats, des universitaires, des travailleurs qui ont pris les armes pour en finir avec la tyrannie » et « beaucoup de gens moins recommandables », tels que d'anciens apparatchiks de Kadhafi ou encore des personnes liées à la mouvance islamiste internationale.
Pour le directeur de l'IRIS, Pascal Boniface, interviewé lundi sur la chaîne française TF1, la diversité des membres du CNT ainsi que ses divisions contribuent à « la grande inconnue », qui est « de savoir si la coalition qui existe (au sein du CNT) survivra à sa victoire, si elle pourra se maintenir une fois la victoire militaire contre Kadhafi obtenue ».
Le CNT a affirmé, dans son programme, « qu'il se dissoudrait lui-même 8 mois après avoir chassé Kadhafi du pouvoir et donc après avoir organisé la vie politique en Libye », a souligné M. Boniface.
Concernant l'avenir économique du pays, M. Bitar a déclaré à Xinhua que « la Libye est un pays très riche, avec des réserves de pétrole estimées à plus de 45 milliards de barils de pétrole. Elle a bénéficié d'une croissance très correcte au cours des dix dernières années ».
Reconnaissant qu'il s'agit d' « une économie de rente, très dépendante du pétrole », l'expert a cependant indiqué qu' « une Libye libre et bien gérée pourrait assez vite se diversifier », en développant par exemple le tourisme, à l'instar de ses Etats voisins tels que la Tunisie et l'Egypte.
Pour l'heure, « la Libye a de quoi voir venir et faire passer les jours difficiles puisque le fonds souverain libyen est estimé à plus de 70 milliards de dollars », a-t-il affirmé, tout en ajoutant que « la Libye dispose d'importantes réserves en or, estimées par le Fonds Monétaire International à 4,6 millions d' onces, soit au cours d'aujourd'hui l'équivalent de près de 9 milliards de dollars, ce qui fait près de 1.400 de dollars par personne puisque la Libye ne compte que 6,4 millions d'habitants ».
S'agissant de l'influence de la chute imminente de Kadhafi sur la région, M. Bitar a constaté que les manifestants syriens et yéménites ont été redynamisés par cette information et se sont mis à « scander des slogans rappelant à leurs présidents qu'ils risquaient à leur tour de suivre la trace de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi ».
« Après 40 ans d'attentisme au nom de la stabilité, (les citoyens arabes) sont aujourd'hui prêts à prendre des risques et à payer le prix de la liberté. La chute de Kadhafi renforce l' enthousiasme des nouvelles générations pour les révolutions arabes », a-t-il conclu.