Ouattara, cent jours après

À peine plus de trois mois qu’il a été investi, mais le temps presse pour Alassane Ouattara : épuisé par la crise postélectorale, la Côte d'ivoire est à reconstruire, la sécurité à ramener. Et les forces armées à remettre au pas.

(Jeuneafrique)-Dans le quartier d’Adjamé, à Abidjan, les trottoirs du boulevard Nangui-Abrogoua ont été débarrassés de leurs immondices. Pistolet sur la hanche, un homme en treillis monte la garde devant un magasin d’électroménager du Forum des marchés. Un peu plus loin, des policiers, impeccables dans leur uniforme kaki, font la circulation pour éviter un engorgement du carrefour emprunté par des fonctionnaires pressés d’arriver avant 7 h 30 à leurs bureaux du Plateau. La scène paraît banale en Côte d'Ivoire, mais, quelques mois plus tôt, l’endroit était encore jonché de détritus et surveillé par des miliciens prompts à racketter les automobilistes. Bienvenue dans la capitale économique ivoirienne, cent jours après l’investiture du président Alassane Ouattara. Le 21 mai dernier, alors que le nouveau chef de l’État prêtait serment à Yamoussoukro, personne ne doutait qu’il était face à une situation inédite. Cinq mois de crise postélectorale avaient profondément affecté le pays. Administration disloquée, système bancaire paralysé, graves problèmes de sécurité, infrastructures publiques saccagées, régies financières vides… La Côte d’Ivoire était à l’image du palais présidentiel : partiellement détruite et avec un besoin urgent de réhabilitation. Le maçon est aujourd’hui au pied du mur. Politique : main de fer, gant de velours Alassane Ouattara voulait une équipe solide pour régler des problèmes aussi nombreux que difficiles, mais la répartition des portefeuilles ministériels, rendue publique le 1er juin, a fait des déçus jusque dans les rangs de la coalition qui l’a porté au pouvoir : le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). La presse proche du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI d’Henri Konan Bédié) s’est inquiétée du nombre de postes confiés à des membres du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara. Amer, le plus petit des partis du RHDP, le Mouvement des forces d’avenir (MFA) d’Innocent Anaky Kobena, a critiqué la domination des cadres du Nord dans le gouvernement, où le Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti au pouvoir) n’a pas souhaité siéger. Début de crise désamorcé par le chef de l’État, qui s’est rendu, mi-juin, à Daoukro pour s’entretenir avec Bédié, qui est aussi le président de la conférence des présidents du RHDP. Mais en sous-main, ce qui se négocie, ce sont bien les élections législatives, qui devraient avoir lieu avant la fin de l’année. Le FPI, occupé à se battre pour une hypothétique libération de Laurent Gbagbo, n’a pas commencé à préparer ses troupes, mais Liberté et démocratie pour la République (Lider), le parti de Mamadou Koulibaly, ex-FPI et président de l’Assemblée nationale, va présenter des candidats. Il y a par ailleurs fort à parier que le PDCI et le RDR, les deux poids lourds du RHDP, iront en rangs dispersés. Enfin, le sort de Guillaume Soro alimente, lui aussi, les spéculations. Certains de ses proches assurent qu’il s’apprête à quitter la primature pour laisser la place à un cadre du PDCI, comme convenu avant le second tour de la présidentielle. D’autres qu’il devrait être candidat à Ferkessédougou, sa ville natale, située dans le Nord, et qu’il vise le perchoir. Le plus probable étant tout de même qu’il conserve son poste encore quelques mois : il donne satisfaction et demeure indispensable pour « tenir » les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). La Commission électorale indépendante (CEI) a besoin de 8 milliards de F CFA (12,2 millions d’euros) pour organiser les élections. Son président, Youssouf Bakayoko, doit rapidement proposer une nouvelle liste électorale intégrant les nouveaux majeurs et ceux qui figuraient sur la « liste grise » (les informations qu’ils avaient données n’ayant pas pu être vérifiées, ils n’avaient pas obtenu de carte d’électeur pour la présidentielle). Reste Alassane Ouattara. Depuis le premier Conseil des ministres, qui s’est tenu le 4 juin, le chef de l’État s’est montré ponctuel, soucieux du détail et ouvert aux observations. « On sent, chez Ouattara et son gouvernement, une volonté de travailler », affirme Doumbia Major, président du Congrès panafricain pour le renouveau démocratique (CPR, proche de Ouattara). Le chef de l’État se montre ferme avec ses collaborateurs. Le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, arrivé avec cinq minutes de retard en Conseil des ministres, en a pris pour son grade (même s’il reste très proche du président). Le message est passé. Certains ministres et directeurs généraux éprouvent presque de la crainte devant le nouvel homme fort du pays. Voilà pour la méthode. Les ministres, eux, se sont attelés à reconstituer les mémoires saccagées de leur administration, tout en tenant à distance les anciens pro-Gbagbo, qui pourraient saper leur action. Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement, chargé de la Poste, des Technologies de l’information et de la communication (TIC), dit avoir mis au moins un mois à retrouver une équipe opérationnelle. Gnamien Konan, à la tête de la Fonction publique, a joué de fermeté pour remettre les fonctionnaires au travail, et obtenu – à la surprise générale – qu’ils commencent leur journée à 7 h 30. « C’est un miracle, se réjouit un homme d’affaires ivoirien. Auparavant, pour trouver un fonctionnaire dans son bureau, il fallait attendre 10 heures. » Ouattara a dit vouloir des « institutions fortes et indépendantes ». Il a pris soin de remplacer les personnalités réputées proches de Gbagbo. Ainsi Marcel Zadi Kessy et Francis Wodié ont été nommés respectivement à la tête du Conseil économique et social et à celle du Conseil constitutionnel. Mais certains pouvoirs peinent à s’affranchir de la tutelle de l’exécutif. L’appareil judiciaire tarde ainsi à être réformé et est soupçonné d’appliquer une justice des vainqueurs : les 128 civils et militaires inculpés jusqu’à présent dans le cadre des enquêtes sur les violences postélectorales appartiennent tous au camp Gbagbo. De quoi compliquer la tâche de Charles Konan Banny, nommé début mai à la tête d’une Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation qui n’a toujours pas été officiellement installée.
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