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Le « juste empalé », ou la leçon libyenne, par Pierre Dortiguier

L’on sait chez les familiers de la philosophie politique qu’au second livre de la République de Platon (à 361c), est présenté un « juste » souffrant du dernier supplice, au point que l’on a soupçonné l’auteur de ce passage d’avoir eu une vision analogue à celle que la conscience chrétienne cultive du Christ. Cette idée fleurissait cependant dans la tragédie grecque où les héros, même enfantés dans l’Olympe, doivent passer par le supplice pour accéder au rang des immortels. Dira-t-on qu’une succession d’injustices sont des marches vers l’enseignement d’une plus haute équité ? Et que celui qui la subit met la vertu en lumière au milieu des contrariétés et donc agrandit, s’il est un chef, l’âme populaire? La grandeur se révèle alors par comparaison avec la médiocrité et l’avilissement, chez « ceux qui sont endurants et font de bonnes œuvres », selon la Sourate 11, v.11. Et c’est ce témoignage rendu en fait à Dieu devant les hommes, qui a reçu le nom de martyre. « Et vas-tu déshonorer l’appel qu’Il t’a fait l’honneur de t’adresser, te jugeant digne d’être convoqué pour un si grand témoignage (martyrian) », lit-on au premier livre des Entretiens d’Epictète !

Nos contemporains, des Grecs nouveaux, peut-on dire, volontiers endettés dans leur goût d’acquérir par de l’ argent fictif, et qui se voilent la face sur les crimes quotidiens, dont le plus criant aura été en octobre l’anéantissement de Syrte par l’aviation otanienne et ses robots humains au sol, ont été gênés d’apercevoir furtivement le sort fait, ce même mois, à des dignitaires, et notamment à des soldats d’une troupe régulière obligés, les mains liées, à manger ce qu’il y d’impur au regard de toutes les nations, sans que nous ayions à y insister ! Car le supplice accepté d’un homme abattu est inconcevable à nos mœurs, et les croyants eux-mêmes deviennent incrédules quand il s’agit d’admettre la possibilité qu’un puissant du jour ne se dérobe pas à une épreuve injuste. C’est ainsi que l’illustre professeur M. Tarik Ramadan, homme mûr et réfléchi, a cru bon de mettre en doute, il y a plusieurs semaines, devant une journaliste de la télévision française qui l’interrogeait sur le sort possible du leader libyen maintenant défunt, que ce dernier affrontasse la mort, sur la foi du caractère fantasque qu’il lui attribuait. Rien d’étonnant à cela puisqu’un orateur ou quelque doctrinaire contemporain exposé aux médiats, est plus généralement occupé de vraisemblances, pour pouvoir convaincre ou se défendre de suspicions, que d’une vérité difficile à atteindre ailleurs que dans l’épreuve amère de la solitude méthodique: en face d’un injuste scélérat d’excellente réputation , et comme nous dirions, humanitaire, propose le philosophe athénien, plaçons un homme simple et généreux, mais ôtons lui auparavant son apparence : « Dépouillons-le donc de tout, excepté de la justice, et pour que le contraire soit parfait entre cet homme et l’autre, faisons en sorte que sans être coupable de la moindre faute il passe pour le plus scélérat des hommes, afin que sa justice mise à l’épreuve se reconnaisse à la constance qu’il aura devant la mauvaise réputation et les suites qu’elle comporte ; qu’il reste inébranlable jusqu’à la mort, toujours vertueux et paraissant toujours criminel, afin qu’arrivés tous deux au dernier terme, l’un de la justice, l’autre de l’injustice, on puisse juger lequel des deux est le plus heureux »

Qui ne reconnaîtrait dans ces lignes la situation de ceux qui sont en certains endroits désignés comme l’axe du mal ou les rogue states par Mme Clinton, les objets de l’actuelle constante persécution et du lynchage médiatique à mort produisant les apparences de l’injustice, convertissant une perverse agression externe et un complot préparé en révolte interne, habillant des mécréants réels en croyants islamistes de parade, en gens auréolés des meilleures dispositions, instruits, pourris et armés par Londres et ses satellites? Telle est la magie du verbe médiatique et en face que voyons nous à opposer, sinon la certitude d’une idée de l’Etat nécessaire aux peuples, qui ait non pas seulement une forme, car les organisations criminelles en ont obligatoirement une pour être efficaces, mais possède de soi-même une représentation idéale, ait sa propre « idéalité » bref une vérité interne, non pas une représentativité de comités élus par les affairistes du dehors et leurs dupes du dedans.

A défaut de séparer l’apparente justice de sa réalité injuste, les peuples et leurs élites entraînés par les illusions médiatiques et la corruption mensongère vérifieraient cette expression que Voltaire aimait bien lire dans la traduction d’un vers arabe portant sur Giafar le Barmécide : «Contemple Barmécide, et tremble d’être heureux ! ».
Source:IRIB
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