24122011
IRIB
Comme tout printemps qui se respecte, celui qui est qualifié d’«arabe» a, évidemment, permis la perpétuation d’idées de lignées pures, mais, phénomène surprenant, a, également, facilité et catalysé l’hybridation de schèmas de pensée qu’on a, jusqu’à, très récemment, jugés non «hybridables».
Ainsi, voici deux illustres personnages que tout aurait dû séparer : Youssef Al-Qardaoui et Bernard-Henry Lévy (BHL). L’un est un pur produit de l’Orient, alors que l’autre est un Occidental invétéré. L’un se drape, dans l’austère costume traditionnel serré au cou des savants d’Al-Azhar, (longue gallabeyya, caftan et turban), alors que l’autre est un vrai dandy, arborant une éternelle chemise blanche immaculée de chez Charvet, spécialement, conçue pour lui, et qu’il porte, largement, déboutonnée. L’un est égyptien d’origine, Qatari de nationalité, orphelin de père, d’origine paysanne modeste, de confession musulmane, membre des "Frères musulmans", emprisonné, jeune, pour son militantisme, déchu de sa nationalité, et vivant, au Qatar, depuis plusieurs décennies. L’autre est Français, citadin né avec une cuillère en or, dans la bouche, se disant de confession juive et de gauche, qui n’a jamais été inquiété, même après s’être immiscé, dans de nombreux conflits armés, à travers le monde. L’un est un fervent défenseur des Palestiniens, opiniâtrement, opposé au Sionisme. L’autre est un ardent défenseur d’Israël et l’un de ses meilleurs ambassadeurs, dans le monde. À la suite de la sauvage agression israélienne contre le Liban, en 2006, il entreprit un voyage au Nord d’Israël, qui lui inspira un article qualifié de «tourisme de propagande de BHL, en Israël». Il répéta sa technique, en 2009, pendant le massacre de Gaza. Il raconta son «aventure», dans un article, qui a été perçu comme un tract de propagande pro-israélien, et consacra un autre billet à la justification de la brutale et inhumaine opération «Plomb durci», internationalement, condamnée. Il persista et signa, en défendant l’attaque israélienne du 31 mai 2010 contre la "Flottille de la liberté" qui fit neuf morts et vingt-huit blessés, parmi les militants transportant de l’aide humanitaire vers Gaza. Sur le dossier de la guerre d’Irak, BHL trouva cette guerre «moralement justifiée». Pourtant, en y regardant bien, il est aisé de déceler de nombreuses similitudes entre les deux personnages. En voici quelques unes.
Primo, tous les deux ont été de brillants étudiants : Al-Qardaoui a été major de sa promotion, à l’Université d’Al-Azhar, et BHL a été reçu 7ème, au concours d’entrée à l’École normale supérieure. Secundo, ce sont tous deux des auteurs prolifiques, des hommes de lettre et des philosophes (quoique ce statut soit très critiqué, dans le cas de BHL). Tertio, sans avoir aucune fonction politique, ils possèdent une indéniable influence, sur les dirigeants de leurs pays respectifs, et le pouvoir d’infléchir, dans certains dossiers, la politique de leurs gouvernants. Quarto, ce sont des vedettes médiatiques, l’un, sur Al-Jazira, avec son émission «La charia et la vie», qui est regardée par plus de dix millions de téléspectateurs, à travers le monde ; et l’autre, avec son omniprésence, sur les plateaux de télévision français et étrangers. Quinto, et non des moindres, par les temps qui courent, tous les deux sont d’impénitents va-t-en-guerre. Mais en fait, c’est le «printemps arabe» et ses soubresauts, qui ont révélé les similitudes les plus «originales» entre ces deux célébrités.
En matière de religion, Youssef Al-Qardaoui revendique sa foi dans ses actions. Cela se comprend par son érudition, en sciences islamiques, ses nombreuses responsabilités et ses diverses activités et engagements reliés à la religion musulmane. Cela était moins évident, dans le cas de BHL, jusqu’à ce qu’il confesse, à propos de son rôle, dans la guerre civile libyenne : «C’est en tant que Juif que j’ai participé à cette aventure politique, que j’ai contribué à définir des fronts militants, que j’ai contribué à élaborer, pour mon pays et pour un autre pays, une stratégie et des tactiques». À propos d’Israël, une récente déclaration d’Al-Qardaoui laisse perplexe : «Les pays qui connaissent un réveil islamique et ont vu l’accès des islamistes au pouvoir traiteront avec l’Occident et Israël». Serait-il possible que le célèbre théologien n’ait plus envie d’en découdre avec le régime sioniste? D’ailleurs, les rumeurs d’établissement de relations diplomatiques entre la Libye «nouvelle» et Israël, sous la probable médiation de BHL, semblent confirmer les dires du Cheikh (…).
Ahmed Bensaada
Montréal, le 20 décembre 2011