28122011
IRIB
"Libya Free !" "Le chien est mort !" "Merci Sarkozy !" "Merci Qatar !" "Vive le peuple libyen !" Ce sont quelques slogans, parmi tant d’autres, que j’ai pu lire, à la suite de mon retour, en Libye, après 10 mois …
Au jour d’aujourd’hui, le «leader» n’est plus là. La Libye est Libérée. Mais libérée de quoi ? De qui ? On peut voir le nouveau drapeau, partout. D’ailleurs, il paraît que c’est un Tunisien plus malin que les autres qui a eu la géniale idée de fabriquer des millions de drapeaux, casquettes, tee-shirts et même boutons de manchettes aux couleurs de la nouvelle Libye.
Les rebelles libyens rendront-ils les armes ? Croyez-vous vraiment que la construction de ce pays va être aussi facile qu’on le pense? A mon avis, la mission va être extrêmement difficile et risque de prendre des années, voire, des décennies, pour mettre en place une administration «acceptable», qui permette de faire tourner les affaires du pays, à l’instar de ce que nous avons trouvé, en Tunisie, après le départ de Ben Ali. Parce que sans son administration (informatisée), et, surtout, sans ses hommes bien formés, notre pays aurait connu le chaos (voulu) qu’a connu la Libye, pendant 42 ans. Je commence par l’état civil.
Savez-vous que la Libye est, actuellement, incapable de donner le chiffre exact de sa population ? Les livrets de famille, les cartes d’identité et les passeports sont d’un type moyenâgeux. Les permis de conduire sont «achetés» à 250 dinars.
Très rares sont ceux qui ont vraiment passé le test, et quel test ! Le niveau d’éducation est pitoyable. Les diplômes, comme les permis, sont, souvent, achetés. Vous risquez de perdre la vue, pour avoir consulté un ophtalmo. Vous risquez de perdre votre enfant et/ou votre femme, lors d’un accouchement.
Vous risquez d’être contaminée, lors d’une transfusion (rappelez-vous les infirmières bulgares). Vous risquez de ne pas avoir la maison que vous imaginiez, car l’ingénieur ou l’architecte ont fait des calculs approximatifs. Et surtout, ne demandez pas conseil à un pharmacien, pour qu’il vous conseille quelque chose !
D’ailleurs, quand j’étais, en Libye, je disais à ma femme et à mes enfants que nous n’avions pas le droit de tomber malades, en Libye. Ce ne sont pas les médecins tunisiens qui me diront le contraire, puisque leur «chiffre d’affaires» dépend, énormément, de nos voisins qui viennent chez nous se faire soigner.
La douane, les impôts, les banques, le tourisme, l’agriculture, les transports, etc. doivent faire l’objet d’une structuration totale commençant à la base. Les rebelles vont-ils rendre leurs armes ? Le pays n’a, ni Constitution, ni code du travail, du commerce, etc... Les lois changeaient du matin au soir. Le seul secteur que j’ai vu fonctionner, plus ou moins, convenablement est le secteur pétrolier, et ce, grâce à la présence massive des boîtes étrangères.
Il faudra, cependant, des années, pour remettre en état les exploitations détruites par la guerre. Inutile de vous parler de la corruption, qui continuera d’exister, à tous les niveaux ! A mon avis, la Libye pourrait être classée, dans ce domaine, dans le Top 3 mondial ! Maintenant, une nouvelle source d’inquiétudes s’ajoute. La présence des armes ! Des petites affiches sont collées, partout, pour appeler les Libyens à rendre leurs armes…
A ma connaissance, et d’après ce que mes yeux ont pu voir, c’est peine perdue ! Il y a plus d’armes que de Libyens, en Libye. On continue d’entendre des coups de feu, le soir. Hier (25 décembre), sous mes yeux, une catastrophe a été évitée à l’aéroport, contrôlé par les troupes de Zintan…
Pistolets 9mm et Kalachnikov, brandis à cause d’une simple altercation, en plein hall. Je me croyais assister à une scène d’un film de Quentin Tarantino ! Vous pouvez acheter vos munitions, librement, (en présence des militaires bien barbus qui ne disent rien), aux arcades de la rue Omar Mokhtar, qui se termine à la place verte, renommée place Tahrir. Les écoles sont, pour la plupart, fermées. La jeunesse n’a pas changé.
On parle du nouveau Nokia, de la nouvelle BMW. Des queues interminables, devant les banques, qui donnent du cash, au goutte-à-goutte, quand les employés de ces mêmes banques ne se mettent pas en grève. Braquage, qui s’est terminé en bain de sang, devant une grande banque.
Des fonctionnaires, qui arrivent au bureau, à 11 heures, pour en sortir à 14 heures. Des interlocuteurs, dont on doute des aptitudes à prendre des décisions. Des délégations d’hommes d’affaires de tous pays (y compris, la Tunisie) se sont déplacées, pour signer des conventions. Je doute fort que les 150.000 emplois de Tunisiens verront le jour rapidement. J’entends dire, aussi, que les Tunisiens, grâce à leur comportement exemplaire, vont «profiter» de l’ère post-Kadhafi. Je le souhaite du fond du cœur, mais je continue de croire que cela prendra des mois et des mois.
En conclusion, je réitère ici ma fierté d’être Tunisien et de faire partie de cette fameuse société civile, si précieuse et si enrichissante, pour la construction de notre pays. Ce qui n’est pas le cas, en Libye. Kadhafi a tellement bien bourré le crâne aux 95% de la population, qu’il faudra une bonne cinquantaine d’années, pour former une génération de Libyens aptes à comprendre que l’argent est un moyen et non pas une fin…