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La Libye, et maintenant ? par Eva-Maria Föllmer-Muller

212012
IRIB
Le livre «Libyen – Hintergründe, Analysen, Berichte» (La Libye – les dessous, analyses et reportages), édité par Fritz Edlinger, Président de la Gesellschaft für österreichisch-arabische Beziehungen, GöaB (Association pour les relations austro-arabes), en vente, depuis septembre 2011, n’est justement pas un pamphlet, pour ou contre l’une ou l’autre des partis du conflit.
Mais il donne une analyse du contexte, d’un point de vue neutre, et crée, ainsi, une base réelle, pour la construction de la paix. Au-delà de toute partialité des reportages des mass médias, ce livre remonte aux racines des problèmes de la Libye.

Honnêtement: Qui est-ce qui connaî,t vraiment, la structure interne de cet Etat nord-africain, avec ses 140 tribus différentes?

Les questions sont examinées, à partir des points de vue de politique économique, démographique, ethnologique, anthropologique et des sciences politiques. La question se pose de savoir ce qui a conduit aux événements récents, mais aussi, comment continuer. Divers aspects de la société libyenne et de l’histoire sont analysés et expliqés, pour pouvoir mieux comprendre le pays et ce conflit récent. Sur la jaquette du livre, on peut lire: «En premier lieu, l’objectif de cette publication est d’analyser les aspects les plus importants de l’histoire de la Libye, de caractériser les spécificités de la situation ethnique, religieuse, sociale et économique, de décrire les intérêts des divers centres du pouvoir, dans le pays, et des puissances externes, et de présenter les scénarios de développement, pour les années à venir».

Les auteurs des contributions couvrent une large variété: Ainsi, le lecteur apprend l’histoire des 42 ans de la Jamahiriya populaire (pouvoir des masses) et sa relation avec la société tribale. Il apprend, aussi, que la Libye est parmi les pays arabes le pays qui est le plus marqué par la culture tribale pré-moderne. Ils thématisent, aussi, le chapitre sinistre du pouvoir colonial italien, en Libye, jusqu’à la déportation forcée des derniers Italiens, en 1969, par le Conseil militaire révolutionnaire. Le pétrole, comme moteur du programme de modernisation, ainsi que la politique extérieure de Kadhafi, la crise économique et le changement de front politique, la guerre civile et l’intervention, sont des thèmes importants, pour comprendre ce qui se passe en Libye.

Les relations entre la gauche européenne, les Verts et la droite et Kadhafi

Dans sa contribution, Konrad Schliephake donne un très bon aperçu de la façon de vivre et de travailler des Libyens, de la démographie et du marché du travail, en Libye. C’est, seulement, depuis les années 1960, qu’on peut faire des affirmations concrètes, sur la structure et les tendances du développement de la population, en Libye. Mais, aujourd’hui, encore, le public en sait très peu sur le territoire de cet Etat africain, quatrième, d’après son étendue, avec ses 6,5 millions d’habitants, sur une étendue de 1,775 millions de km2, comprenant 97% de désert. Fritz Edlinger expose, de façon critique, les relations de la «gauche européenne, des Verts et de la droite» avec le dirigeant d’Etat décédé, Kadhafi. La sincérité de la contribution de l’éditeur, lors de cette discussion doit être soulignée: Lorsque l’ancien colonel de l’armée Mouammar al-Kadhafi a, tout juste, 27 ans, et s’est laissé confirmer comme commandant en chef des forces armées, et qu’il a entrepris, avec le mot d’ordre «Liberté, socialisme, unité», le processus de modernisation radicale de la société libyenne, la gauche européenne l’a salué comme exemple d’une révolution anti-impérialiste et anticolonialiste. En 1974, beaucoup d’entre eux ont accepté l’invitation, à Tripoli, pour fêter le 5e anniversaire de la révolution, et ils en étaient enchantés. Que le pays se développe dans une autre direction que vers la démocratie, n’était pas prévisible, à cette époque-là. Celui qui lit le livre avec attention comprendra mieux pourquoi le processus de modernisation, commencé par Kadhafi, a échoué, et, aussi pourquoi, la Libye n’a jamais été gouvernée par le peuple: Parce que, dans le fond, la révolution libyenne n’a été portée que très peu par le peuple.

Schéma de la culture politique, en Cyrénaïque

Dans sa contribution, l’ethnologue Thomas Hüsken analyse le schéma de la culture politique, en Cyrénaïque, en tenant compte des événements révolutionnaires, depuis février 2011. Sa contribution sera présentée, de façon plus extensive, car il donne, avec ce modèle, une clé importante, pour la compréhension fondamentale de ce pays, la vie en commun des gens et de sa culture politique. La Cyrénaïque, à part la région de la Tripolitaine et du Fezzan, dans le Sud, est une des trois grandes régions de la Libye. A l’exemple de cette région, dans l’Est de la Libye, l’auteur explique la complexité du jeu d’ensemble des acteurs de la société tribale, de l’Etat bureaucratique, islamique et de la société civile urbaine. Le lecteur apprend pourquoi les politiques de modernisation antitribales ont, déjà, dû être arrêtées, dans les années 1970, comment, dans les années suivantes, une pratique politique non étatique et non révolutionnaire s’est formée, contrôlée par Kadhafi et certains membres des tribus. «A partir de ce moment-là, les principes de la politique tribale, comme l’appartenance de parenté, ainsi que des alliances intertribales, sont devenus un élément central de l’intégration politique, en Libye.

Les apparitions publiques de Kadhafi, ses mises en scène symboliques, ses habits, son comportement ont changé, pas à pas, d’une direction plutôt militaire vers une direction expressément tribale. Dans ses discours, il a désigné la nation, comme une grande tribu et plus comme une société qui serait marquée par des structures étatiques. C’est pour cette raison qu’il n’est pas étonnant qu’un des cercles du pouvoir les plus importants de Kadhafi soit désigné comme Rijal Al-Kheima (‹Les hommes de la tente›) et porte, donc, une connotation tribale explicite.» (p. 51). Avec leurs valeurs et leurs orientations éthiques, les tribus de la Cyrénaïque représentent un échafaudage culturel de base et servent de bases d’identité: «La politique tribale ne signifie pas, inévitablement, un tribalisme conflictuel. A sa place, les politiciens tribaux locaux ont créé, en Libye, un système d’ordre transnational, qui transforme des éléments tribaux et étatiques en une pratique unique. Ce système d’ordre a joué un rôle essentiel, pendant le régime Kadhafi, et contribue, aussi, à l’heure actuelle, considérablement, à la stabilisation de l’Ordre transitoire à l’Est du pays. A mon sens, ces acteurs joueront un rôle central, dans la construction de l’avenir politique, en Libye». (p. 53)

Thomas Hüsken nous explique plus loin le jeu d’ensemble, en filigrane, entre les politiciens tribaux et leurs associations (ce sont des «réseaux corporatifs et interpersonnels») – entre eux, avec le Conseil national de transition, à Bengazi, et leurs partenaires internationaux.

«Entrepreneurs politiques»

Actuellement, parmi les dirigeants des associations, ce sont les «entrepreneurs politiques» qui dominent. On désigne, ainsi, une variante spécifique de politiciens locaux, actifs, politiquement et économiquement, et très orientée vers la concurrence. Ils se trouvent comme médiateurs entre l’Etat et la population régionale et locale: «Pour réaliser leurs objectifs et pour remplir les devoirs politiques, ils se servent d’un large répertoire d’éléments tribaux, étatiques et bureaucratiques, musulmans et d’entrepreneurs, qu’ils ont acquis, pendant des années d’activité politique». (p. 57) Cette forme de politique tribale est d’une importance centrale, pour la stabilité de l’Ordre transitoire, depuis la rébellion, et la nouvelle Libye, après Kadhafi doit s’y rallier: «Les représentations politiques des entrepreneurs politiques ne correspondent certainement pas aux modèles habituels de démocratie et de société civile, comme le propagent des couches de population, avec laquelle une formation urbaine, certains groupes de jeunes et de féministes, politiquement, actives. Pour cette raison, ils ne sont pas parmi les partenaires favorisés des agences de développement internationales et multilatérales ou bien des représentants d’organisations non gouvernementales mondiales, qui se pointent, dans le pays, de façon très affairée. Pour les entrepreneurs politiques, il s’agit de participation politique et de maintien de l’autonomie relative du local et du régional. La prévisibilité et la stabilité politique de l’Etat sont, donc, plus importantes que la démocratie, dans le sens occidental». (p. 59)

Ce qui est tout aussi important, dans le processus politique d’après Hüsken, ce sont les prédicateurs musulmans, dont la légitimité se nourrit, essentiellement, d’activités caritatives et sociales. Ils donnent à l’Islam une orientation conservatrice pour la population à laquelle les émissaires des "Frères musulmans", rentrés au pays, peuvent renouer: «La légitimité de la tradition musulmane, l’effet pacificateur de certaines terminologies religieuses, et non pas, en dernier lieu, l’habitus de la modestie, transmettent, dans ces temps de transition, de la sécurité et de la fiabilité». (p. 61)

L’auteur considère qu’un autre défi, pour la nouvelle Libye, serait l’intégration sociale, politique et économique de la jeunesse, car ses possibilités de participation étaient et sont, radicalement, limitées. En Cyrénaïque, par exemple, les 16 à 35 ans représentent la moitié de la population, et, en plus, ils ont une mauvaise formation. Hüsken voit un autre défi, dans les relations futures entre les dirigeants tribaux et la société civile urbaine, qui a une position critique envers la politique tribale et dont les capacités d’organisation et institutionnels sont limitées.

L’échec de la politique méditerranéenne de l’UE

Les contributions de l’anthropologue, Ines Kohl, «L’instrumentalisation des Touaregs par Kadhafi», ainsi que la contribution rédigée ensemble avec Rami Salem, «Les Berbères libyens, un peuple renié», donnent un bon aperçu de la situation de deux tribus non arabes, vivant, partiellement, en Libye.

Pendant le dernier conflit, les Touaregs ont combattu, aux côtés de Kadhafi, pendant que les Berbères se joignaient aux rebelles. Les auteurs voient une raison de ces faits, dans la politique des minorités de Kadhafi, qui a donné aux Touaregs une position privilégiée, tandis que les Berbères ont toujours été opprimés. L’ingénieur économique irakien, Awni S. al-Ani, a passé, en tout, 9 ans de sa vie, comme diplomate de l’ ONU, en Libye. Dans sa contribution, «La Libye, fille de l’ONU», le lecteur peut suivre le chemin de la Libye, jusqu’à l’indépendance, en 1949. Les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale ont, d’abord, voulu partager le pays entre elles, ce qui aurait continué la domination étrangère; cependant, cette tentative a échoué, à cause de l’engagement courageux du petit Etat insulaire d’Haïti, qui a voté, à l’époque, contre cette proposition, et pour l’indépendance de la Libye. Vu de la perspective d’un fonctionnaire de l’ONU, le lecteur reçoit un aperçu de la politique de l’ONU, depuis la fondation de l’Etat, jusqu’au début du dernier conflit. Il donne, aussi, un aperçu des efforts de l’ONU, pour aider le pays à sortir d’une pauvreté incroyable – la Libye appartenait aux pays les plus pauvres du monde. La Libye n’avait, en 1948, pas d’écoles supérieures, seulement, trois avocats, et ni médecin, ni pharmacien, ni ingénieur; 95% de la population étaient des analphabètes. Décevant, mais pas surprenant, la contribution de Stefan Brocza, sur «L’échec de la politique méditerranéenne de l’UE»: «Du partenariat méditerranéen», en 1995, jusqu’au grand sommet africain, du 29 au 30 novembre 2010, à Tripoli, l’auteur nomme les stations de cet échec, mais aussi, la malhonnêteté, dans les relations avec la Libye.

Dans la dernière partie de ce livre, les contributions de Peter Strutynski et Karin Leukefeld s’occupent du dernier conflit.

L’Allemagne ne participe pas aux tirs

Le chercheur, en matière de paix, Peter Strutynski, analyse, dans sa contribution, «L’Allemagne ne participe pas aux tirs», le rôle de l’Allemagne, dans la guerre de l’OTAN contre la Libye. L’abstention de l’Allemagne, lors de la votation de la résolution 1.973 du Conseil de sécurité de l’ ONU, le 17 mars 2011, est considérée, de façon critique, dans les discussions de politique interne, en Allemagne. Sa contribution s’est occupée, aussi, de la question de savoir dans quelle mesure la résolution est compatible avec la Charte de l’ ONU et avec le droit international.

Karin Leukefeld s’occupe des reportages incroyablement mensongers sur la Libye, tels qu’ils ont été faits, par la plupart des médias, et, y compris, nouvellement, aussi, par Al-Jazira. Elle en donne une multitude d’exemples concrets. Lorsque des reportages sont manipulés, de façon à ce que les engagements guerriers deviennent légitimes, lorsque les médias et les reporters font des alliances avec la politique et les armées, des limites éthiques et légales sont dépassées. Elle rappelle ce qui serait le vrai devoir des médias: informer, montrer les dessous, et expliquer les intentions et les plans.

Les contributions de ce livre ont été rédigées, au moment où les engagements guerriers avaient commencé, depuis quelques mois. Il faut remercier Fritz Edlinger et les auteurs, pour leur courage. Il faut, aussi, remercier l’éditeur Hannes Hofbauer et les éditions autrichiennes "Promedia", qui ont publié ce livre. Ce livre doit être recommandé chaudement à celui qui cherche des bases réalistes, pour une construction de paix réelle, dans ce pays secoué par la guerre. •

«Lors de la plupart des interventions occidentales des dernières décennies (par exemple, en Afghanistan ou en Irak), on a à peine élucidé les conséquences de telles interventions. Ils ont eu comme conséquences des démêlés armés, pendant des décennies, qui ont causé des centaines de milliers, si ce ne sont pas des millions de victimes innocentes, et, en plus, englouti des sommes astronomiques, en moyens financiers. La Libye pourrait se développer vers une semblable aventure occidentale irréfléchie. Il semble que les planificateurs de l’OTAN ont oublié que ce pays se trouve au milieu d’une région hautement instable, et qu’en plus, Kadhafi avait fait avancer une politique de l’unité africaine, saluée par beaucoup de politiciens africains. Des observateurs critiques supposent que les régisseurs de cette campagne de l’OTAN – en première ligne, la France, (qui soutient des intérêts massifs, en Afrique de l’Ouest, datant de l’époque coloniale), poursuivent des objectifs qui vont bien au-delà de la Libye. Ceci sans parler des intérêts de ces Etats occidentaux, dont les sociétés pétrolières se pressent plus fortement sur le marché libyen, et à des conditions bien meilleures qu’à l’époque de Kadhafi». (p. 10–11, Traduction Horizons et débats)
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