05022012
Sanusi Lamido Sanusi est le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria. Garant des équilibres financiers nationaux, il soutient la décision gouvernementale de ne plus subventionner les carburants. A 50 ans, deux ans et demi après son entrée en fonction, il trace les grandes lignes de son action et détaille les défis à venir.
Solidarité sans faille. Le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria soutient à 100 % la décision de supprimer les subventions aux carburants prise par le président de la République, Goodluck Jonathan, et la ministre des Finances, Ngozi Okonjo-Iweala, et effective depuis le 1er janvier. Pour cet inconditionnel de la discipline budgétaire, chargé de veiller aux grands équilibres financiers nationaux, le gouvernement n'a pas eu le choix. Le pays, qui compte parmi les premiers producteurs d'Afrique (2,4 millions de barils/jour), manque de raffineries. « Au cours des onze premiers mois de 2011, le Nigeria a utilisé 16 milliards de dollars [12 milliards d'euros, NDLR] de ses réserves de change pour importer du pétrole raffiné ; la moitié de cette somme a été payée par des banques aux importateurs et l'autre moitié par le Trésor sous forme de subventions. C'est insoutenable », a expliqué Sanusi Lamido Sanusi à l'agence Reuters.
La fin des subventions applaudie
L'information était passée inaperçue, mais elle alimentera la polémique sur les agences de notation. Le 29 décembre, Standard & Poor's (S&P) relevait la perspective du Nigeria (noté B+/B) de « stable » à « positive ». « Le gouvernement, sous la présidence de Goodluck Jonathan, a engagé plusieurs réformes importantes et resserre sa politique fiscale et monétaire », a justifié l'agence. Cerise sur le gâteau : les autorités « prévoient de supprimer une subvention sur le carburant... Il s'agit de l'une des réformes importantes promues par le président ». Une politique encouragée par le FMI. L'arrêt des subventions avait été envisagé par l'ancien président Obasanjo, mais il s'était heurté aux syndicats. Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des Finances, est donc passée à l'acte, avec l'aval des agences de notation, du FMI et de la Banque mondiale (dont elle était directrice générale jusqu'en juillet). S&P avait pourtant prévenu que le Nigeria était affecté par « des tensions politiques internes ». On connaît la suite. J.-M.M.
Avec cette décision, le gouvernement compte économiser 4,8 milliards d'euros dès 2012, et les investir notamment dans la construction de raffineries. En supprimant des subventions qui profitent d'abord aux classes aisées, il veut aussi mettre fin à ce qu'il appelle le « cartel » des importateurs. Mais la mesure a presque doublé le prix du litre d'essence, passé de 0,31 à 0,57 euro. Et allumé la mèche de l'inflation, déclenchant des grèves générales durement réprimées. Dans un pays marqué par les conflits religieux, où la majorité des quelque 160 millions d'habitants vit avec moins de 2 dollars par jour et où le sentiment de corruption des élites est si élevé, la radicalité de la mesure a exacerbé les tensions.
« Être aux affaires n'est pas un concours de popularité », répond Sanusi Lamido Sanusi (en photo ci-dessous. Crédit : Reuters), sensible aux objectifs des autorités. D'autant que cette politique menée à la hussarde n'est pas pour lui déplaire. Arrivé à la tête de la Banque centrale en juin 2009, il a réformé le système bancaire à un train d'enfer, renflouant huit banques, limogeant autant de patrons et de nombreux salariés. L'institution qu'il dirige n'est pas là pour créer des emplois, répète-t-il souvent, mais un environnement propice au développement économique. Dans cette interview, réalisée avant la décision gouvernementale, Sanusi Lamido Sanusi fait le point sur les défis qui attendent le Nigeria. Jean-Michel Meyer.
Jeune Afrique : Dans quel état se trouve l'économie du Nigeria ? Et quelle a été votre action depuis votre nomination ?
Sanusi Lamido Sanusi : Quand je suis devenu gouverneur, en 2009, la priorité était de maintenir l'économie à flot. Les prix du pétrole s'étaient effondrés, passant de 147 dollars le baril à moins de 40 dollars, et notre production pétrolière était descendue de 2,3 millions de barils par jour à moins de 1 million. Dans le même temps, la capitalisation boursière avait baissé de 17 %, la moitié du secteur bancaire était déliquescente. Et les banques continuaient de prêter. Si l'État n'avait pas agi, notamment grâce à des incitations fiscales, elles n'auraient pas pu tenir le coup.
J'ai donc accepté une diminution des réserves, mais seulement jusqu'au redémarrage de l'économie. Aujourd'hui, alors que les prix sont revenus à de bons niveaux et que notre production s'est stabilisée, nous sommes revenus à plus de rigueur pour tenir notre objectif de stabilité des prix. Pour cela, nous cherchons à piloter l'évolution des taux de change, l'une des rares choses dont nous ayons la maîtrise. On ne peut pas contrôler les prix de l'alimentation, de l'énergie, mais les taux de change, si.
La situation économique internationale est préoccupante. L'Afrique et le Nigeria en particulier vont-ils réussir à éviter la récession ?
Tout le monde va ressentir, d'une manière ou d'une autre, les effets de la crise en Occident. Selon moi, l'impact sur l'Afrique ne sera pas de la même ampleur qu'en 2008, lors de l'éclatement des bulles spéculatives sur les matières premières et immobilières. La crise européenne va plutôt ralentir la croissance du continent africain, mais pas le faire entrer en récession.
Quant au prix du pétrole, il est à un niveau élevé mais raisonnable [111 dollars le baril en moyenne en 2011]. Je ne crois pas à un effondrement des cours. De plus, le Nigeria a résolu une partie de ses problèmes de production : nous ne souffrirons pas à nouveau de la conjonction d'une baisse des cours et d'une diminution de la production.
En août 2011, vous avez nationalisé trois banques menacées de faillite. L'effet salvateur a-t-il touché l'ensemble du secteur ?
Je n'ai jamais aimé ce mot de « nationalisation » pour qualifier ce que nous avons fait. Je préfère dire que ces trois banques [Afribank, Spring Bank et Bank PHB] ont été recapitalisées par le fonds public Amcon [Asset Management Corporation of Nigeria]. Nous avons choisi de monter à leur capital car nous étions convaincus qu'elles ne parviendraient pas à remplir dans les temps impartis les critères mis en place pour assurer la stabilité du système bancaire. Pour protéger les intérêts des épargnants et des salariés et garder la confiance des marchés, mieux valait agir vite plutôt que de laisser planer l'incertitude sur notre capacité à le faire. Même si, pour cela, les actionnaires de la banque, responsables de sa situation critique, doivent tout perdre.
Nous favoriserons le développement pour le plus grand nombre, mais aussi la stabilité financière.
Aujourd'hui, êtes-vous serein concernant la santé des établissements nigérians ?
Au final, la Banque centrale a dû prendre la main sur huit des dix banques qui étaient sous-capitalisées, en plaçant à leur tête de nouvelles équipes. Chacune d'entre elles a fait un véritable nettoyage. Contrairement aux directions précédentes, elles n'avaient aucun intérêt à cacher les pertes. Elles ont sorti les dettes les plus mauvaises des bilans [en les transférant au fonds Amcon], dénoncé la fraude, restauré les comptes et reconnu les pertes réelles. À l'issue de ces opérations, nous avons obtenu des banques fiables et restructurées. Aujourd'hui, je ne crains plus de mauvaises surprises.
Vous avez supprimé la durée minimale pour les investissements étrangers, qui était fixée à un an. Ne craignez-vous pas une fuite de capitaux ?
Tous les banquiers centraux se préoccupent comme moi de l'« argent chaud » [les investissements instables qui ressortent rapidement des pays]. Il faut, bien sûr, trouver un moyen de retenir les investisseurs, mais il faut d'abord les attirer. Pour cela, il est nécessaire de prendre en compte l'image du pays. Aujourd'hui, les investisseurs étrangers sont très mal informés sur le Nigeria. À chaque élection, ils ont peur... Le risque de voir leur argent bloqué pendant douze mois était un frein important. Il fallait le lever, à partir du moment où nous avions suffisamment de réserves pour faire face à d'éventuelles fuites de capitaux sans faire perdre de la valeur à notre monnaie.
Avec plusieurs réformes en cours, dont une loi sur l'industrie pétrolière, quel message lance l'État aux acteurs économiques ?
Nous voulons, dans l'ordre, restructurer nos institutions et les infrastructures, puis réorienter l'argent public et celui du système bancaire vers l'économie réelle, et non vers les grands projets immobiliers ou l'investissement en Bourse. Ainsi, nous favorisons le développement pour le plus grand nombre, mais aussi la stabilité de notre système financier. Nous ne voulons plus jeter sans discernement de l'argent public dans les infrastructures, mais bien les planifier et les gérer, en nous appuyant sur des partenariats public-privé (PPP), avec l'aide d'institutions financières internationales et de compagnies privées.
Le soutien financier à l'agriculture est une autre priorité. Pourquoi ?
Nous sommes partis d'un constat : alors que l'agriculture représente 42 % du PIB nigérian, seul 1,4 % des crédits bancaires va à ce secteur. Notre PIB croit d'environ 7 % chaque année depuis dix ans. Dans le domaine agricole, cette progression n'est due qu'à l'extension des surfaces cultivées et du nombre d'agriculteurs. La productivité, elle, n'a pas augmenté. La croissance pourrait être à deux chiffres si nous améliorions nos techniques agricoles, mettions à disposition des semences et engrais performants, rendions les marchés plus accessibles... Et, surtout, si les cultivateurs avaient accès à des prêts. Il y a là un levier de croissance exceptionnel pour le Nigeria.
Les banques ne veulent pas prêter aux agriculteurs par peur du risque et par méconnaissance du secteur. Pour changer cela, nous avons créé un système incitatif d'aide aux prêts agricoles, baptisé Nirsal ; les prêts sont garantis par des subventions de la Banque centrale et appuyés par des experts. Si on regarde le travail des gouvernements qui ont un bon bilan en Afrique, comme au Ghana ou en Tanzanie, l'agriculture a toujours été au centre de leurs préoccupations. Il était logique que le Nigeria fasse de même.
Quelles sont vos relations avec Ngozi Okonjo-Iweala, l'ancienne directrice générale de la Banque mondiale, aujourd'hui ministre des Finances ?
Ngozi est, selon moi, le meilleur ministre des Finances que nous ayons eu [elle a déjà occupé ce poste de 2003 à 2006 avant de le reprendre en juillet dernier]. S'il y a quelqu'un qui peut, à cette fonction, nous aider à résoudre nos problèmes, c'est bien elle. Elle a l'expérience, la motivation, l'intelligence et l'intégrité nécessaires.
Nous nous respectons, mais cela ne nous empêche pas d'avoir des désaccords. Quand elle était à la Banque mondiale, nous ne partagions pas les mêmes idées à propos des taxes sur le change, par exemple. Maintenant qu'elle n'est plus à Washington, je pense que nous réussirons à nous accorder sur la plupart des sujets, ce qui ne nous empêchera pas de continuer à nous dire franchement les choses. Il y a toujours une tension naturelle entre les autorités monétaires et fiscales...
En mai dernier, vous avez affirmé la nécessité de protéger l'industrie nigériane. N'est-ce pas en contradiction avec les options libérales prises par le gouvernement ?
Protéger l'économie nationale n'implique pas forcément d'instaurer des barrières douanières ou des quotas. Il y a d'autres voies. Les responsables économiques africains doivent être pragmatiques et défendre leurs intérêts. C'est ce que les Chinois ont toujours fait. Et ils se débrouillent bien ! Au lieu d'écouter les Occidentaux prêcher le libre-échange, nous ferions mieux de nous inspirer de ce qu'ils font, en particulier dans le domaine agricole. Quand ils jugent un sujet stratégique, ils n'hésitent pas à subventionner.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : fournir une réelle protection à l'économie nationale, pour moi, c'est d'abord mettre en place des infrastructures publiques efficaces, permettant le développement. Comment le producteur nigérian de textile peut-il résister face à la concurrence asiatique alors qu'il n'a pas d'accès permanent à l'électricité ou que les routes sont mauvaises ? Il faut rendre nos infrastructures suffisamment efficaces pour que les Chinois eux-mêmes viennent installer leurs industries chez nous ! C'est cela, le « protectionnisme » que je défends.
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Propos recueillis à Abuja par Nicholas Norbrook
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