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Moussa Konaté : "Le coup d'État au Mali était prévisible"

26032012
Moussa Konaté est un romancier, dramaturge et essayiste malien, auteur notamment des ouvrages suivants : "Le Prix de l’âme" (1981), "Une Aube incertaine" (1985), "Fils du Chaos" (1986), "Chronique d’une journée de répression" (1988), "Les Saisons" (1990), "Goorgi" (1998), "L’Assassin du Banconi" (2002), "L’Honneur des Keïta" (2002), "L’Empreinte du renard" (2006) et "La Malédiction du Lamentin" (2009).

Le coup d’État du 22 mars a été une surprise désagréable pour certains, douloureuse pour d’autres. Comme si, encore une fois, l’Afrique noire donnait la preuve de son incapacité à vivre en démocratie. Les condamnations n’ont pas tardé à fuser, provenant aussi bien des institutions sous-régionales et continentales que de la France, l’ancien pays colonisateur. Paradoxalement, la voix la plus légitime, celle du peuple malien, demeure inaudible.

L’argumentation des jeunes militaires qui se sont emparés du pouvoir et une analyse superficielle de l’événement pourraient faire croire que c’est l’incapacité d’Amadou Toumani Touré (ATT) à contrer la rébellion touarègue qui est à l’origine du putsch. Certes, les revers subis par l’armée malienne face à quelques centaines de rebelles sont humiliants, aussi bien pour les soldats que pour le peuple malien, si fier de son histoire, mais ils ne sont, en réalité, que le révélateur d’une situation beaucoup plus inquiétante et plus générale : celle du Mali.

Il est indispensable de faire un rapide tour d’horizon de l’histoire récente de ce pays pour comprendre le problème. En 1991, quand tombe le régime militaire de Moussa Traoré, l’espoir s’était installé dans le cœur des Maliens, convaincus qu’avec la liberté retrouvée, le bonheur était à portée de main. Hélas, ce fut au contraire le commencement d’un long calvaire. Certes, le multipartisme avait pris la place du parti unique, mais les maux qui gangrenaient le régime militaire avaient continué et n’avaient cessé de s’aggraver depuis. La corruption, le détournement des deniers publics, le népotisme, entre autres, avaient fini par devenir l’essence du moteur étatique.

Le malheur des Maliens fut d’avoir remplacé un régime militaire par une mafia pour laquelle les intérêts personnels sont au-dessus de l’intérêt public. Les élections ne furent plus que des parodies, car ceux qui étaient supposés rivaliser pour obtenir le suffrage des populations, s’entendaient en secret pour installer au pouvoir celui qui était susceptible de défendre leurs intérêts. La comédie était tellement bien jouée que le monde applaudissait la « démocratie malienne ». Et ATT fut de ces élus. Il n’avait pas l’étoffe d’un chef d’État, mais peu importait. Peu à peu, l’État malien est devenu la propriété privée de la classe politique et de ses complices de l’administration et des affaires.

Pour assagir les trublions, au lieu d’utiliser la force, comme Moussa Traoré, les nouveaux politiciens usèrent de la corruption.

Pour assagir les trublions, au lieu d’utiliser la force, comme Moussa Traoré, les nouveaux politiciens usèrent de la corruption. C’est ainsi que les étudiants, qui furent au cœur de la révolte contre Moussa Traoré, eurent les poches pleines de Francs CFA et se virent promis des hauts postes dans l’administration dès la fin de leurs études. Pour se faire élire, il suffisait et il suffit d’offrir quelques billets de banque aux chefs de villages et à des chefs religieux pour que les populations votent les yeux fermés, d’autant plus que plus de la moitié des Maliens est analphabète et vit dans la misère.

Désormais, au Mali, tout s’achète, de l’acte de naissance à l’acte de décès, en passant par les notes de classe, le permis de conduire, etc. Et cela au su et au vu de tous ! Il faut se rappeler que Senoussi, l’ancien chef des services de renseignements libyen, était muni d’un passeport malien « falsifié » et que l’ancien président Amadou Toumani Touré avait déclaré qu’il n’humilierait pas des « chefs de famille » en les emprisonnant pour détournement de deniers publics. N’est-ce pas une incitation au vol et à la corruption de la part du plus haut responsable de l’État ?

Quoi d’étonnant dès lors que, dans un pays où l’État appartient à une mafia, l’armée soit minée par la corruption, le vol et le népotisme ? Si les rebelles remportent des victoires, c’est parce qu’ils font face à une armée où les galons se distribuent comme de petits pains. Le putsch était donc prévisible. La rébellion touarègue ne fut qu’un révélateur du marasme dans lequel est plongé le Mali. L’état de l’armée malienne n’est que le reflet de l’état de la société malienne. Le consensus, qui a fait la force du Mali, où les ethnies se côtoient fraternellement, finit par être sa faiblesse du moment qu’elle est détournée par les politiciens.

Source:Jeune afrique
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