28052012
La France reste la première destination choisie par les étudiants africains en mobilité. Une place qui pourrait être remise en question.
Le débat engendré par la circulaire dite Guéant, qui souhaitait limiter la possibilité pour les diplômés étrangers de rester travailler en France a éclairé le rapport paradoxal qu’entretient la France avec les élites étrangères.
Le pays tout en revendiquant son attractivité internationale semble parfois avoir du mal à mettre en œuvre ses ambitions et les assumer.
Au-delà de cette circulaire, on peut ainsi s’interroger sur l’attractivité réelle dont la France bénéficie encore auprès des étudiants africains.
La France reste la première destination choisie par les étudiants africains. En 2010-2011, selon les chiffres de CampusFrance, l’agence française pour la promotion de l’enseignement supérieur, l’accueil et la mobilité internationale, le pays a accueilli 284.659 étudiants étrangers dont plus de 100.000 étudiants africains, ce qui représente le tiers des étudiants africains en mobilité.
Certes les étudiants africains ont une propension à étudier à l’étranger très élevée, compte tenu d’un enseignement supérieur lacunaire voire dégradé dans certains pays d’Afrique. Mais la France devance tout de même très largement l’Afrique du Sud (43.000 étudiants), les Etats-Unis (34.000), et le Royaume-Uni (33.000).
La première destination
Dans les enquêtes réalisées par CampusFrance, les étudiants interrogés expliquent avant tout le choix de la France par les qualités académiques qu’offre le pays: la qualité de la formation, la valeur des diplômes, ou la réputation de l’établissement choisi.
Les matières de prédilection de ces étudiants sont les sciences dures (biologie, physique…), devant les sciences économiques et sociales, puis les lettres et sciences humaines.
La langue française est aussi un critère essentiel dans leur choix puisque que plus de la moitié des étudiants africains qui poursuivent des études en France sont de langue maternelle française.
Amadou est étudiant en master biologie-environnement à l’Université Paul Verlaine de Metz. De nationalité sénégalaise, il explique qu’il a d’abord choisi la France pour la langue:
«c’est d’abord la langue française qui a compté. Au Sénégal, un pays francophone, on apprend le français à l’école. Ce n’est pas le cas de l’anglais qu’on découvre au lycée. Il était donc plus facile pour moi de venir en France qu’ailleurs. Et cela m’a permis d’accéder à une formation de qualité, avec beaucoup de pratique, ce qui est essentiel dans un parcours consacré à l’environnement et la protection de la biodiversité. Au Sénégal, faute de moyens matériels, la formation est essentiellement théorique dans ce domaine.»
La proximité linguistique et culturelle, le «legs colonial» en somme, joue donc beaucoup: les étudiants africains qui étudient en France sont principalement originaires du Maghreb et d’Afrique francophone. Et le premier pays d’origine de ces étudiants est de loin le Maroc avec près de 30.000 étudiants en France.
Une concurrence renforcée
Mais cette attractivité globale est à relativiser comme le révèlent plusieurs indicateurs. La tendance est en effet au tassement du nombre d’étudiants africains en France ces cinq dernières années, avec une stagnation voire une légère baisse.
Au niveau mondial, la France a perdu sa troisième place de pays d’accueil d’étudiants étrangers (derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni) au bénéfice de l’Australie.
En Afrique, on voit la place de la France reculer dans plusieurs pays, parfois nettement. C’est le cas au Maghreb, au Maroc notamment, malgré le nombre d’étudiants marocains qui continuent à choisir la France chaque année. On constate également un recul dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale: au Sénégal, au Togo, au Bénin ou au Congo.
Les étudiants africains se tournent vers de nouveaux pays à l’intérieur du continent, où les complications administratives (visas, logement…) sont moindres tandis que le niveau des établissements progresse.
L'attrait de la langue anglaise
L’Afrique du Sud accueille ainsi de plus en plus d’étudiants africains et pointe aujourd’hui à la deuxième place en termes de destination choisie par les étudiants africains en mobilité, derrière la France. Le Maroc aussi est attractif, particulièrement dans certaines disciplines: administration, ingénierie, médecine.
En dehors du continent, des pays comme le Royaume-Uni mais surtout le Canada, se font plus offensifs et dynamiques pour les élites africaines. La langue anglaise apparait ainsi fortement recherchée par l’ensemble des étudiants africains, francophones compris.
Saturnin est doctorant en promotion de la santé publique à l’Université de Poitiers. Béninois, il est très impliqué dans le milieu associatif africain en France, membre de collectifs et organisateur de la journée de l’étudiant africain à Poitiers.
Pour lui «avec la mondialisation, les diplômes d’Harvard ou de Montréal commence à prendre de la valeur en Afrique. Personnellement après le bac j’ai souhaité partir étudier au Canada. Finalement j’ai commencé ma formation initiale au Bénin, et sur les conseils d’un professeur lui-même chercheur en France, je suis venu terminer mes études en France à Poitiers. Ces échanges sont facilités par les conventions existantes entre les universités françaises et africaines.»
Les difficultés d’intégration
Face à cette concurrence renforcée, la France souffre de faiblesses structurelles comme l’indiquent les enquêtes réalisées par CampusFrance. Les étudiants interrogés rencontrent des difficultés pour se loger et s’insérer et sont déçus par le manque de débouchés professionnels à l’issue de leur formation en France.
Ainsi seuls 64% des étudiants originaires d’Afrique interrogés estiment que leur séjour en France a favorisé leur insertion professionnelle.
Pour Amadou, «le plus difficile c’est d’avoir un stage».
«Tu fais face au blocage dans la sélection des entreprises. Et tu ne reçois pas vraiment d’aide de l’administration de l’Université ou de l’Etat pour trouver. Pour ma part, je souhaitais revenir au Sénégal, pour faire mon stage et préparer mon insertion professionnelle là-bas, et cela est apparu très compliqué».
Avec l’organisation de la journée de l’étudiant africain à Poitiers, Saturnin a souhaité répondre à ces difficultés. Cette journée permet aux étudiants de rencontrer des professionnels mais également de suivre des séances de «coaching» et de «speed dating» pour être mieux armés lors d’entretiens d’embauche. Elle est aussi un lieu de rencontres et de débats pour partager les difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants:
«l’une des questions essentielles est celle du statut de l’étudiant. Nous ne sommes pas toujours considérés comme des étudiants avec les mêmes droits que les autres étudiants étrangers, ERASMUS par exemple, mais comme des migrants, vus sous l’angle du risque migratoire, et placés devant nos échéances de renouvellement de titre de séjour».
Un climat politique délétère
Au-delà de la circulaire Guéant et des mobilisations étudiantes qu’elle a suscitées, plusieurs intellectuels africains ont également pris la parole pour dénoncer le climat qui règne dans la société française depuis quelques années et mettre en garde le pays de manière plus globale sur le peu de place qu’il accorde à l’altérité.
Parmi eux, Souleymane Bachir Diagne, professeur d'études francophones et de philosophie à l'université Columbia de New York, exprimait en avril dernier à Mediapart son désarroi d’«intellectuel musulman» devant les stigmatisations à l’égard de l’islam et de l’immigration en France.
«Il est douloureux de se sentir ainsi fixé, jugé, banni, par certains secteurs de la société agités par une droite et une extrême droite, qui trouvent expédient de manœuvrer en ce sens» expliquait-il au journal, ne reconnaissant pas le pays dans lequel il a étudié à la fin des années 70.
Alain Mabanckou, écrivain et professeur à l’université de Californie a lui aussi dans son récent ouvrage Le sanglot de l’homme noir mis en garde la France contre un recroquevillement sur soi et appelé l’Europe à réinventer son projet politique et redéfinir la relation qu’elle veut entretenir avec l’Afrique.
Force est de constater que les deux intellectuels cités ont étudié en France et sont aujourd’hui enseignants… aux Etats-Unis.
Adrien de Calan