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La concorde perdue, en Libye, par Pierre Dortiguier

08072012
Le mot de concorde n’est point l’indication d’une identité idéologique ou d’une même capacité intellectuelle entre les membres d’une société, comme d’une famille ou des ethnies.

Et l’on a pu, par exemple, en Libye, marquer la relative simplicité des vues contenues dans « le livre vert», version musulmane du livre rouge de Mao, chez l’ancien guide, sauvagement, assassiné, sur ordre, croit-on savoir, d’un prince du golfe Persique, et en déduire qu’il n’y avait point d’idée propre au gouvernement qui avait supprimé, avec la monarchie, les bases militaires anglaises du pays, en 1970 ; il y avait, néanmoins, à côté d'une modernisation, d'une indépendance relativement aux exploitants étrangers, et d'un accroissement démographique fulgurant, des institutions connues et efficaces, au témoignage des voyageurs et des experts en poste, comme ces comités populaires qui avaient un parfum de socialisme, ou d’administration de proximité, et tout était animé ou symbolisé, plutôt, par un homme qui n’avait pas même voulu occuper de fonction officielle, dans un Etat réduit à sa plus simple expression : quel était donc le moteur du pays que l’on dit, maintenant, sortir de l’obscurantisme et marcher vers la lumière démocratique ?

A en croire les déclarations officielles d’alors, c’était un certain attachement affectif, celui, précisément, que l’analyste politique, par excellence, Aristote nommait la «concorde» ; le philosophe la distinguait de l’identité d’opinions : "Nous disons que la concorde règne dans les cités, quand les citoyens sont unanimes sur leurs intérêts, choisissent la même ligne de conduite et exécutent les décisions prises en commun".

Cela s’est-il produit, en Libye ? Quarante ans de silence ont-ils été quarante ans de répression, comme on le voit à Bahreïn où le peuple est traité comme un étranger, et où la dynastie est une importation, la police elle-même ou l’armée, dans ses grades supérieurs, interdite aux habitants chiites !

L’Histoire montrera ce que la Libye a eu comme niveau de vie, et ce qu’elle peut perdre, dans l’état de stagnation et de révolte dont témoigne le foyer insurrectionnel de Benghazi. Cet Orient de la Libye proche de l’Egypte, a été le plus abusé, politiquement, sans revenir sur les violences raciales et autres exécutions sommaires depuis le début de ce qu’il faut bien nommer une invasion du pays.

C’est en spéculant sur l’opposition ethnique des deux régions de la Cyrénaïque –qu’il fut question, autrefois, de rattacher, pratiquement, à l’Egypte, dans une confédération des deux pays- et de la Tripolitaine, que la discorde s’est introduite et a, surtout, trompé le monde extérieur, plus qu’une population terrorisée et désarmée, ou écrasée par les bombardements.

Car ce fut une guerre que l’on a vendu comme une révolution, qui a été imposée au pays, avec ses meurtres, et violences sans fin.

Le bilan ne sera pas favorable à ceux qui, par leur passivité, chez les cadres, ont ouvert les portes à l’OTAN :, et naturellement, le nouvel apprentissage de la vie démocratique se fait, dans l’éclosion de partis ou de factions qui se déchirent par ambition, et, pour le profit des compagnies pétrolières qui ont leur armée et leurs ouvriers, neutralisent, par leurs différends, toute action, paralysent le pays !

Dans cette fameuse concorde, dont traite le Philosophe, et que l’on voudrait détruire, en Syrie, et ailleurs, «les volontés demeurent stables et ne sont pas le jouet du reflux comme les eaux d’un détroit».. "Les hommes pervers, au contraire, sont impuissants à faire régner entre eux la concorde, sinon dans une faible mesure, tout comme ils sont incapables d’amitié, du fait qu’ils visent à obtenir plus que leur part dans les profits, et moins que leur part, dans les travaux et les charges publiques. Et comme chacun souhaite ces avantages pour lui personnellement, il surveille jalousement son voisin et l’empêche d’en bénéficier : faute d’y veiller, l’intérêt général court à sa ruine. Le résultat est que des dissensions éclatent entre les citoyens, chacun contraignant l’autre à faire ce qui est juste, mais ne voulant pas s’y plier soi-même". (Ethique à Nicomaque, livre IX, ch.6).

Que dirait de moins un voyageur ou un expert parcourant, non seulement, la Libye, mais l’Irak et l’Afghanistan ?, partout où la lumière portée par les avions US aurait remplacé les ténèbres, selon une métaphore que filent, communément, les Clinton et les Hollande ; bref, tous ceux pour qui la politique est, comme la justice, chez les âmes basses, un art de dissimuler ce qui n’est que le droit du plus fort ! Lequel a toujours de la peine à se justifier par lui-même.

Source:IRIB
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