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Les passages obligés, par Ahouansou Séyivé

23092012
Au regard de la récession frappant l'économie globalisée, il faut être armé d’une bonne dose d’optimisme ou de naïveté ...

...pour accepter les annonces des sirènes mondialistes établissant une baisse de la pauvreté en Afrique, en tout point conforme à l’enfumage sémantique et idéologique contenu dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).Grand-œuvre de la Banque Mondiale et Gosplan à la sauce libérale, les OMD proposent, à des pays Africains sous tutelle, de réduire de moitié la grande pauvreté frappant leurs populations à l’horizon 2015. Chacun prêchant pour sa paroisse, il est vain de reprocher aux fonctionnaires, officiant au sein d’organismes internationaux apôtres de la conversion des masses au Dieu marché, d’user d’artifices discursifs masquant leur impéritie et leur nocivité.Cependant, ce constat n’exonère nullement le continent d'une salutaire introspection.Les responsables Africains ne peuvent éviter l'aggiornamento les amenant à redéfinir la réponse, globale et éminemment politique, qu’ils sont en devoir d’apporter à leurs populations martyrisées par un déclassement et une pauvreté n’en finissant plus de se pérenniser.

La nécessité d’une révolution paradigmatique, renversant les postulats acceptés par les décideurs politiques et économiques continentaux, n’est plus une hypothèse d’école.Elle est la seule voie envisageable permettant à l'Africain de demain de nourrir et d’élever dignement sa progéniture, de se soigner, d’accéder à l’éducation et ainsi participer activement au relèvement du continent.

Elles sont loin les années 80, temps béni où les zélateurs béats d’un développement occidental mâtiné de correctifs locaux, pouvaient se prévaloir d’un soi-disant pragmatisme et de la raison déraisonnable pour tenter d’imposer un parallélisme économique reposant, in fine, sur une abdication rédhibitoire de la pensée et de l’humanisme endogènes.Plus soucieux de courber l’échine que d’émanciper leurs peuples, dans l’optique coupable de ramasser les quelques miettes disséminées çà et là, par un système de prédation reposant sur l’asservissement et le déclassement de la majorité au bénéfice d’une minorité, les fossoyeurs des destinés des peuples Africains ont accentué la pente empruntée par ceux désignés aujourd’hui par le vocable fourre-tout de pauvres.Une litote sonnant plus agréablement aux oreilles que les termes infamants mais néanmoins véridiques, de miséreux ou de crève-la-faim.

Le hiatus se situe en amont des années 80, où le fantasme du "développement" était de rigueur. Il est daté du tournant crucial des indépendances de façade, simples redistributions cosmétiques du pouvoir entre les colonies et la métropole, ayant accouché de larbins stipendiés à la tête des Etats Africains.Corrélativement à l'imposition de l'indirect-rule sur le plan politique, les indépendances ont marqué une démission massive des élites intellectuelles Africaines dominantes, qui ont alors choisi par mimétisme et paresse, de concevoir l’Afrique et ses besoins dans le cadre exclusif des paradigmes philosophique, politique, et malheureusement économique, occidentaux. Oubliant que l’état dans son acception libérale était la création du marché (monstre froid reposant sur l’idée fallacieuse d’autorégulation), nombre d'intellectuels et décideurs à la réflexion anémiée, ont conceptualisé la perte et le déclin de l’Afrique et ses populations.Refusant de voir l’affrontement ontologique, voire tellurique, opposant une civilisation occidentale agressive et violente dans son rapport à l'autre, dominatrice sur les plans géostratégique et économique, et une civilisation africaine en capilotade, provisoirement vaincue, se débattant dans les cendres de l’esclavage et la colonisation, elles ont de fait, par manque de radicalité dialectique et idéologique, nourri et poursuivi l’œuvre multiséculaire d’asservissement et de pillage des peuples noirs. Il apparaît aujourd'hui avec clarté que les raisonnements ayant amené à accepter le progrès occidental et subséquemment le marché, à plier sans conditions devant les ordres juridique et économique internationaux, également d’essence occidentale, ont été des fautes principielles et majeures, déclassant la pensée dominante d'alors. Les guerres, les coups d’état et les famines importés, résultats directs de la faiblesse endémique de communautés Africaines pompeusement appelées Etat et souveraines a minima, ont fait émerger une pensée en devenir, s’imposant progressivement dans les têtes Africaines :l’autonomisation.Principe traduisant la nécessité de définir l'Afrique de demain selon des cadres conceptuels puisant leurs racines dans les réalités continentales, qu'elles soient historiques, politiques, économiques et culturelles*.

Ce principe, décrié par les intellectuels à genoux, n’ayant à la bouche que louanges et adoration pour la déclinante puissance de l’Occident et de son veau plaqué-or, mirage d’une économie libérale bienfaisante, est absolu et incontournable.Ce principe-vérité s’applique donc à la pensée Africaine dans sa globalité, en tant que somme.Ainsi faut-il au-delà de la sociologie, sujet abordé avec profondeur et maîtrise par Mbombog Mbog Bassong, en faire une condition sine qua non: "Nous n'avons pas changé d'avis. Nous pensons que l'accès à la rationalité africaine impose une révision du cadre "classique de la démarche analytique". De fait, il ne peut y avoir de réponse valable, de solution pérenne sans respect des syncrétismes nègres, dépassant le simple port du boubou, s’affranchissant de cette conception réduisant l'Afrique à une terre sexuée, de safari et d’exotisme musical, de rente pour l'étranger, conception enfantant invariablement la dissolution de l’homme Africain dans un universalisme négateur et oppressif, dans une religiosité exogène et corrosive. En somme, un a-niversalisme tantoccidento qu'oriento-centré, pernicieux et mortifère.

Les velléitaires de l’approche systémique, révolutionnaires de circonstance, les Afroccidentaux convaincus, frileux lorsqu'il s'agit de déconstruire par l'analyse étayée, la prééminence occidentale bridant et orientant insidieusement l'approche conceptuelle Africaine, ne peuvent biaiser chiffres et données, qui, réservés aux spécialistes, établissent l’échec patent des politiques d’ajustements structurels et de « bonne gouvernance » imposés en Afrique par les petits télégraphistes de la mondialisation occidentale. A cette enseigne, l’actuel président-putschiste burkinabo-ivoirien, l'assassin de masse Alassane Ouattara, en est une emblématique représentation. A ceux, envoûtés ou hésitants, psalmodiant mécaniquement l'air à la mode de la baisse de la pauvreté en Afrique résultant de l’émergence d’une classe moyenne, la vérité inflige un démenti sans appel.

Alors que la France doit faire face à une hausse de l’indigence sur son propre sol, "L'observation des tendances de la pauvreté et de l'exclusion sociale depuis une dizaine d'années pointe d'abord des évolutions préoccupantes, souligne l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (Onpes) dans son rapport 2011-2012, qui a compilé et commenté une vingtaine d'indicateurs. Même si la France avait d'abord "plutôt bien résisté" à la crise 2008-2009, ses conséquences sont aujourd'hui "lourdes, multiples et échelonnées dans le temps", les grands prêtres de la mondialisation nous démontrent, chiffres décontextualisés à l’appui, que l’Afrique francophone, pourtant dépendante en financements et « aides au développement » extérieurs d'une ancienne métropole exsangue où le taux de chômage atteint des taux records, connaîtrait une courbe inverse.

Ainsi, "Le nombre de personnes pauvres en Afrique ne cesse de diminuer selon la Banque mondiale, qui pilote depuis trois ans une étude sur la pauvreté dans 130 pays en développement". Belle fumisterie idéologique ! Confronté à la paupérisation des populations autochtones, l'homme sensé vient inévitablement à se demander quels sont ces Pays Africains échappant miraculeusement à la récession mondiale. En fait ils n’existent pas. Les chiffres, ne tenant pas compte de l’accroissement des populations, sont à relativiser et pondérer. Nous en voulons pour preuve ces deux exemples : "Le taux de pauvreté monétaire au Bénin en 2006 demeure encore élevé et semble même avoir augmenté par rapport à 2002 (résultat de l'enquête QUIBB)" ( "Selon le rapport de la 3e Enquête camerounaise sur les ménages (ECAM), 7 millions des quelques 18 millions d’habitants, soit environ 40% de la population, vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 700 FCFA par jour. Le document, cité par l’Institut national de la statistique (INS), montre une nette augmentation de la pauvreté dans le pays, qui était de 37% il y a quelques années.

Cette situation mettrait le pays dans la difficulté d’atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2015 dont une des dispositions est de faire reculer d’au moins 5% l’état de pauvreté". Certes, ces chiffres sont à analyser avec les décalages inhérents à l’exercice de la prospection statistique, mais ce qui n’allait pas lorsque ça allait "bien ", ne peut aller mieux lorsque ça va mal. Ajoutons à cela, le dynamisme nataliste des populations africaines et nous arrivons à cette conclusion évidente : la pauvreté avance inexorablement en Afrique. Les Afro-mondialistes dogmatiques, convertis au cauchemar occidental, ne seront pas en reste d’opposer un déficit de propositions.

Nous répondrons simplement, avec assurance et détermination, en conformité avec le positionnement qui est le nôtre. La voie sûre et unique est l’imposition d’un modèle reposant sur un paradigme respectant les intérêts de nos populations et une pensée pro-africaine désoccidentalisée dans ses énoncés, réellement révolutionnaire en ce qu’elle renverserait les postulats de soumission actuels, intellectuellement parlant, et ne prenant en compte que le bien-être des nôtres. Un paradigme afro-déterminé, et non plus afro-centré, émerge lentement, repoussant à ses frontières une vision occidentale de l’homme, de l’économie et des rapports inter-Etats régissant ce monde. Au surplus, il s’agit pour l’Afrique, de se donner les moyens de son émancipation, en coordonnant les forces vives locales et celles déracinées de la diaspora, en créant les conditions du retour de la majorité des membres de cette dernière, en définissant un modèle économique africain, basé sur le partage et une la solidarité profitable à la masse, conformes à son identité réelle et à une défense farouche de ses intérêts. Il n’y a pas de prérequis pour le retour (à part la prescience du prix à payer), cependant la mise en place des cadres économique et politique idoines, exige l’élimination si besoin par la force, des élites paresseuses, dispendieuses, et servilement rattachée à la sphère française, guidant les destinées africaines depuis plus de soixante ans. Il va sans dire que la sortie des accords de défense hérités du gaullisme mafieux, de la francophonie cette continuation de la colonisation par d'autres moyens, du système monétaire du Franc CFA, stigmate humiliant d’un chapitre historique non clos, sont des passages obligés. La nationalisation des potentialités africaines, en clair l’expropriation progressive des multinationales allogènes, ne peut être sujet à débat.

Parallèlement, ces actes forts ne sauraient précéder une prise de conscience, intellectuelle et collective, amenant chaque citoyen, chaque penseur et décideur Africains à se déterminer, non pas en opposition, mais en soutien des syncrétismes autochtones. La définition d'un cadre conceptuel, ying du yang, de celui oppressant depuis plus de cinq siècles directement ou indirectement les peuples noirs, est à forger. Les moyens d’expression de cette volonté de bouleversement des rapports de force actuels ne sont pas à chercher dans de grandes ambitions ou des envolées lyriques propres aux révolutions de salon. Une multiplicité d’engagements individuels, à hauteur d’homme et fidèles au principe d’autonomisation*, générera tout naturellement la vague balayant, frilosité, crainte et ennemis. Il n'y a nulle fatalité, cette page d'histoire encore blanche, ne demande qu'à être noircie. Nous reconnaissant dans cette encre, nous incarnons un de ces multiples engagements, et nous nous sentons d’ores et déjà portés par la vague…

Ahouansou Séyivé

Source:http://blogs.mediapart.fr
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