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Libye : Al-Qaïda renaît de ses cendres

22092012
Comment la diffusion d'un navet sur internet peut-elle provoquer l'attaque du consulat américain de Benghazi et embraser le monde arabo-musulman ? Un 11 septembre, onze ans après les attentats de 2001... Faut-il y voir le signe de la résurgence de l'organisation jihadiste ?

Il aura suffi de treize petites minutes pour mettre le monde arabo-musulman au bord d'un abîme de fureur et de destruction. Précisément 13 min 51 s d'une vidéo, diffusée sur YouTube, présentant un extrait de film. Ou plutôt, un navet, insultant et vulgaire, doublé en arabe. Son titre ? « L'Innocence des musulmans ». La succession des événements est désormais connue. Après la diffusion de cet extrait, des appels ont été lancés pour manifester devant l'ambassade des États-Unis au Caire, le 11 septembre, puis devant le consulat américain de Benghazi, en Libye. Une sorte de réédition de la crise planétaire qu'avait suscitée, en 2005-2006, l'affaire des caricatures du prophète Mohammed.

Des rassemblements, parfois très violents, ont eu lieu de Nouakchott à Dacca, en passant par Tripoli (Liban), Khartoum et Londres. À Tunis (le 14 septembre), plusieurs centaines de manifestants ont pris d'assaut l'ambassade américaine, incendiant deux bâtiments et hissant le drapeau noir des islamistes radicaux. Manifestations antioccidentales pour les uns, colère spontanée pour les autres. C'est oublier un peu vite qu'il n'y a pas d'action de masse sans mobilisation, sans commanditaire et sans organisation. La mort de Christopher Stevens (à gauche sur la photo ci-contre), l'ambassadeur américain en Libye, est un événement aux répercussions aussi dramatiques que la crise des otages à Téhéran, en 1979. Sans doute un coup d'éclat pour Al-Qaïda, qui n'est toujours pas morte...

Que s'est-il passé exactement à Benghazi ?

La manifestation organisée le 11 septembre en fin d'après-midi devant le consulat américain de Benghazi devait être pacifique. Mais la situation dégénère rapidement avec l'afflux de milices salafistes. Des tirs en l'air lancés de l'intérieur du consulat éveillent la colère de la foule. « L'armée libyenne a dû affronter un groupe lourdement armé, à l'extérieur de la représentation diplomatique », explique Abdel-Moneim el-Hurr, porte-parole du Conseil suprême de sécurité, avant d'ajouter que les gardiens américains présents à l'intérieur du bâtiment « ont tiré sur la milice alors qu'elle essayait d'y pénétrer ». Une roquette a été lancée contre le consulat, lequel a été envahi par les manifestants aux alentours de 22 heures avant d'être pillé et incendié. Deux diplomates américains sont décédés à ce moment : Sean Smith, tué par balles, et l'ambassadeur Christopher Stevens, mort asphyxié.

Les forces de sécurité libyennes sont parvenues à évacuer 37 Américains et à les transférer dans une villa du club équestre de Benghazi, à 2 km de là. Un endroit tenu secret et censé constituer un refuge sûr, le temps que des renforts arrivent : une unité des Opérations spéciales libyenne et un groupe de huit soldats américains, venus, eux, de Tripoli.

Quand ils sont enfin arrivés à la villa, ils se sont heurtés à des tirs de mortiers. « Cette attaque était planifiée. La précision avec laquelle nous avons été visés est bien la preuve que nos assaillants n'étaient pas de simples révolutionnaires », a affirmé le capitaine Mansour el-Obeidi, commandant en chef de l'unité des Opérations spéciales, à l'agence Reuters. Ces affrontements, très violents, ont fait deux morts parmi les soldats américains, et plusieurs blessés, américains et libyens.

Ce n'est qu'à l'aube, après l'arrivée de milices progouvernementales et de véhicules supplémentaires, que le convoi a pris la route pour l'aéroport de Benghazi, où un avion attendait les Américains afin de les évacuer à Tripoli. Selon Wanis el-Charif, vice-ministre de l'Intérieur, la présence des rescapés au club équestre aurait été communiquée aux assaillants par des éléments infiltrés au sein de ses forces de sécurité.

Quel rôle a joué Al-Qaïda ?

Un 11 septembre... Onze ans, jour pour jour, après les spectaculaires attentats de New York et Washington. La date n'est pas fortuite. En reconnaissant, la veille, la mort d'Abou Yahya el-Libi, le numéro deux d'Al-Qaïda, Ayman el-Zawahiri, son chef, adressait aux Libyens - et, au-delà, à la Oumma - un appel direct à la vengeance : « Son sang versé vous incite à lutter et à tuer les Croisés », avait lancé le successeur de Ben Laden.

De fait, l'attaque à la roquette accrédite l'idée d'une opération exécutée par des professionnels. « Les détails restent flous, mais la signature d'Al-Qaïda ne fait aucun doute », a confié Mike Rogers, président (républicain) de la Commission du renseignement au Congrès, juste après avoir été briefé par les services de sécurité américains. Mais l'implication d'Al-Qaïda « commandement central » n'est pas prouvée, parce qu'elle a récemment été très affaiblie. Prise de court par le Printemps arabe, l'organisation est à genoux depuis la mort d'Oussama Ben Laden, en mai 2011. Pourtant, l'hydre résiste et ses têtes repoussent, au Yémen ou au Pakistan. L'activisme de plusieurs « franchises » d'Al-Qaïda, au Sahel et au Moyen-Orient, l'atteste. Tout comme la détérioration de la situation sécuritaire dans l'est de la Libye, depuis quelques mois.

Pour Geoff Porter, directeur de North Africa Risk Consulting, les risques de voir Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) s'implanter en Libye sont cependant ténus. « On verra plus probablement émerger de nouveaux groupes salafistes », explique l'analyste. En réalité, la plupart évoluent déjà dans la mouvance Al-Qaïda, qu'ils fassent directement allégeance à l'organisation, ou qu'ils en partagent seulement l'idéologie. « D'autres salafistes ont déjà pris la place du Groupe islamique combattant libyen (GICL) depuis sa dissolution, confirme Noman Benotman, un jihadiste repenti, qui dirige la Quilliam Foundation, un think-tank spécialisé dans la lutte antiterroriste. On y trouve des admirateurs d'Ayman el-Zawahiri, même s'ils ne prennent pas directement leurs ordres auprès de lui. »

Parmi les documents retrouvés dans la maison d'Oussama Ben Laden à Abbottabad (Pakistan) après son exécution figuraient des lettres dans lesquelles le chef d'Al-Qaïda fustigeait l'indiscipline des franchises et s'inquiétait de voir l'image de son organisation en pâtir. Pourtant, à la même époque, les services de renseignements occidentaux se sont alarmés de la multiplicité des contacts entre différents mouvements jihadistes et de leurs connexions (entre le Sahel et le Nigeria, entre pays du Maghreb, avec les insurgés syriens...).

Qui sont les salafistes libyens ?

Présentée comme une terre de jihadistes par la propagande kaddafiste, la Cyrénaïque - région dont Benghazi est la capitale - a vu prospérer des groupes militants radicaux, dont le célèbre GICL. Sous l'égide de Seif el-Islam Kaddafi, une partie de ses chefs avait renoncé à la violence, et le groupe s'est alors dissous. Certains ont rejoint la rébellion et tentent aujourd'hui de faire carrière en politique, à l'instar d'Abdelhakim Belhadj, ex-émir du GICL et fondateur du parti El Watan (« la Nation »). Mais plusieurs milices salafistes sont accusées de profiter du vide sécuritaire pour imposer par la force leurs convictions religieuses au reste du pays. Ces groupes exigent une application rigoriste des préceptes du Coran.

Chef de file de ce mouvement, Ansar el-Charia est soupçonné d'être l'instigateur de l'attaque du 11 septembre contre le consulat américain de Benghazi. Dans un communiqué publié le 14 septembre sur sa page Facebook, la milice a nié toute responsabilité. Composé d'anciens rebelles qui ont combattu les forces loyalistes de Kaddafi, le groupe avait déjà été accusé, fin août, de la destruction d'un mausolée soufi à Tripoli. Ansar el-Charia avait démenti toute implication, approuvant néanmoins la démolition.

Autre suspect : la brigade du Cheikh Omar Abdel Rahman, du nom du terroriste condamné à la prison à perpétuité pour une tentative d'attentat contre le World Trade Center en 1993. Cette milice s'est fait connaître publiquement en revendiquant une attaque au lance-roquette qui a pris pour cible les bureaux de la Croix-Rouge à Benghazi, le 22 mai. Le 6 juin, cette même milice a perpétré un attentat contre le consulat américain de Benghazi, en représailles à la mort d'Abou Yahya el-Libi. Le groupuscule avait laissé des tracts sur place, dans lesquels il menaçait les intérêts américains. « Les éléments de langage de ce groupe et ses cibles attestent de ses influences jihadistes. Le calendrier des attaques démontre qu'il suivait de très près les activités des missions diplomatiques dans le pays », avertissait Noman Benotman le 13 juin. Les autorités avaient cependant choisi de minimiser la capacité d'action de la milice. À tort.

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Youssef Aït Akdim et Tony Gamal Gabriel

Source: Jeuneafrique.com
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